Déjà responsable du très original The Council, chouette jeu d’enquête narratif seulement gâché par un dernier tiers grotesque, le studio bordelais Big Bad Wolf est de retour avec un Vampire : The Mascarade – Swansong qui va vous forcer à soigneusement diviser votre cerveau en deux : d’un côté, il s’agit de l’un des jeux à thématique vampirique à l’histoire la mieux troussée depuis un bail, de l’autre c’est aussi une aventure dont le manque cruel de finition et de polish vous fera parfois vous demander si on ne se moque pas un peu de vous.
J’espère que vous êtes à l’aise avec l’univers du jeu de rôle Vampire : La Mascarade, parce que sinon votre premier contact avec ce Vampire : The Mascarade – Swansong risquera d’être un peu rude, vous forçant (hélas) à vous avaler des kilomètres de codex et de notes pour comprendre le pourquoi du comment. Allez, je suis sympa, je vous donne une longueur d’avance : dans le monde se cachent des vampires, répartis en différents clans et se terrant dans l’ombre de la société humaine. Les morts-vivants ont un ensemble de règles et de codes destinés à ne pas se révéler aux mortels : c’est la Mascarade. Un beau jour, dans la ville bouillonnante de Boston, une série de drames sanglants pousse la dirigeante vampire locale à déclencher un Code Rouge. La Mascarade est compromise, et trois vampires (la mystique Leysha, la sensuelle Emem et le ténébreux Galeb) vont mener l’enquête et très rapidement réaliser qu’on ne leur a évidemment pas tout dit sur les tenants et aboutissants de l’affaire. Vous voici en route pour une vingtaine d’heures d’un jeu d’aventure essentiellement constitué de joutes verbales, parasitées par tout un tas d’autres choses qui ne fonctionnaient déjà pas très bien dans The Council et qu’on aurait aimé voir mises de côté.
Des dialogues qui ont de la goule
Vampire : The Mascarade – Swansong, on le lui concède avec plaisir, réussit là où il met le paquet, à savoir sur sa manière de dérouler son intrigue. Le jeu se découpe en scénettes nous faisant incarner tour à tour les trois personnages du jeu, ayant chacun leurs propres capacités et leur propre manière de résoudre les problèmes : là où Emem pourra utiliser son aura pour convaincre ou se téléporter, Leysha pourra par exemple espionner d’autres personnages en se rendant invisible.
La variété des situations, la qualité d’écriture des personnages et la manière dont nous est décrite la petite société d’élite des vampires de Boston fonctionnent ainsi à merveille : presque jusqu’à la fin du jeu (dans laquelle le dispositif s’écroule un peu), on est happé par le mystère et on essaye de démêler une toile de mensonges particulièrement dense et cohérente. Si les phases d’enquête et de récolte d’indices ne brillent pas par leur originalité, Vampire : The Mascarade – Swansong met en revanche l’emphase sur son système de dialogues, qui constitue l’essentiel de ce que vous aurez concrètement à faire dans le jeu.
L’idée centrale est simple mais franchement chouette : à chaque dialogue, vous pourrez augmenter votre chance de « gagner » un échange et de prendre l’ascendant sur votre adversaire en utilisant des points de concentration, des compétences glanées au gré du jeu ou des consommables. Chaque point investi augmentera votre pourcentage de chance de gagner un duel narratif, sachant que votre opposant peut faire exactement la même chose. Lors des premières scènes, j’étais complètement perdu, et puis petit à petit, j’ai appris à gérer le subtil équilibre entre investir des points de pouvoir, concentrer mes victoires sur des dialogues qui en valaient la peine et user de mes pouvoirs pile au bon moment. Tout juste regrettera-t-on un démarrage un peu frustrant : il faut attendre quelques heures avant que les personnages aient gagné assez d’expérience pour véritablement emporter des victoires importantes.
Un petit morceau de choix
Cette réussite du côté de la narration et des dialogues (si on omet que le jeu est un peu moche et que tous les PNJ sont un chouilla raides et inexpressifs) est néanmoins tempérée par une mise en scène des choix et des conséquences qui semble vraiment dater et être restée coincée à ce qui se faisait il y a une dizaine d’années au studio Telltale : souvent présentés de manière confuse, ces choix ont parfois des conséquences assez contre-intuitives ou pas très bien mises en scène, avec une tendance à nous renvoyer dans les cordes de la narration de manière pas toujours très satisfaisante, ou en tout cas bien trop maladroite et voyante.
Plus énervant encore, Vampire : The Mascarade – Swansong nous incite très fortement à beaucoup utiliser nos compétences et nos pouvoirs, ce qui est très bien, mais cela se double d’un défaut qui était déjà bien présent dans The Council : pendant la majeure partie de l’aventure, vos compétences vont vous coûter beaucoup trop cher pour que vous vous risquiez à les utiliser quand c’est possible, à moins de passer vraiment une quantité irritante de temps à fouiller dans les moindres recoins des moindres décors à la recherche d’objets consommables vous permettant de faire baisser votre jauge de faim, de remonter votre concentration, etc. On a parfois l’impression d’incarner des vampires obsédés à l’idée de fouiller dans les tiroirs, les poubelles et les casiers en métal à la recherche de cartes magnétiques vous donnant un bonus de hack de serrure et ça casse franchement le rythme.
C’est un petit peu comme si le studio Big Bad Wolf souhaitait à la fois nous faire fouiller partout, nous voir résoudre la moindre sous-énigme et nous faire avaler un maximum de lore éparpillé dans des livres opportunément abandonnés sur des pupitres et que dans le même temps, il nous poussait mécaniquement à passer à côté d’une bonne partie de ce que Vampire : The Mascarade – Swansong a à nous dire. Les premiers chapitres multiplient ainsi les dialogues impossibles à résoudre autrement que par l’échec, particulièrement si vous avec eu le malheur d’attribuer la mauvaise compétence au mauvais personnage. Il n’aurait sans doute pas été de trop de proposer au moins sous forme d’alternative un mode « histoire », avec une progression des personnages beaucoup plus automatisée et collant à la narration pour éviter de se retrouver dans des chapitres où on ne peut strictement réussir aucune confrontation ou quête annexe parce qu’on n’a pas investi dans les bonnes compétences, nous poussant même parfois à recommencer des chapitres entiers en « trichant » pour s’attribuer à l’avance les bonnes compétences.
Un jeu à la fois mordant et anémié
Ces défauts passeraient sans doute inaperçu si Vampire : The Mascarade – Swansong était une expérience brillant par sa fluidité, sa beauté et son rythme. Hélas, on passe beaucoup, beaucoup de temps à se cogner dans des décors, à flotter à la recherche du prochain point d’intérêt, à devoir naviguer dans des menus et des sous-menus trop nombreux et mal organisés… Ou pire, à pester contre les bugs et les problèmes de performance d’un jeu qui semble avoir manqué de finition (plusieurs gros patchs ont néanmoins déjà amélioré les problèmes les plus critiques).
On est donc en permanence en train de se réjouir de voir une histoire bien racontée, pleine de surprises, avec une dynamique intéressante se déployant entre les différents personnages, et exactement dans le même temps en train de se demander pourquoi tout est si raide, derrière quel mur invisible se faufiler pour faire avancer l’intrigue ou pourquoi, en 2022, dans un jeu narratif, on est encore et toujours en train de résoudre des énigmes d’un autre âge à base de leviers électriques à pousser, de codes de coffres blindés à récupérer dans des e-mails, de lire des informations essentielles fourrées au fin fond d’un fastidieux compendium dans un sous-menu de sous-menu et autres anachronismes vidéoludiques.
Vampire : The Mascarade – Swansong a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5 et sur les consoles Xbox.
Si je devais pointer l’élément le plus évident montrant la dichotomie entre les ambitions de Vampire : The Mascarade – Swansong et le résultat final, je n’irai pas forcément les chercher du côté des textures parfois hasardeuses, des bugs de collision, des problèmes de performance du jeu ni même de ses arènes extrêmement fermées et répétitives dans lesquelles les personnages évoluent : c’est hélas souvent le cas de ce genre de projets « double A » qui se donnent les apparences d’un jeu à gros budget sans avoir les moyens d’en atteindre le cahier des charges qualitatif. D’autant plus quand le jeu nous déroule une histoire suffisamment prenante et intelligente pour qu’on finisse par oublier tout ça. Non, ce qui me heurte bien davantage, c’est qu’il s’agit sans doute d’un des jeux à licence accompagnant le plus mal ses utilisateurs·ices, ne prenant jamais le temps d’installer correctement ni son univers ni de nous guider de manière cohérente dans ses différentes mécaniques. Dommage, car le résultat final n’est pas vraiment à la hauteur, même si on mesure avec joie les immenses progrès accomplis depuis The Council. Big Bad Wolf a incontestablement trouvé une formule, reste à la transformer en bon jeu. On espère que la troisième tentative sera la bonne.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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