Jeu d’action misant sur l’originalité de sa proposition, entre profondeur de systèmes et simplicité du récit, Unto The End est plein de paradoxes et, en un sens, unique.
C’est un fait : il y a trop de jeux qui sortent. Quand bien même on pourrait éclipser d’un clic le torrent de shovelwares, littéralement des « logiciels produits à la pelle », qui se déverse chaque jour sur Steam sans autre but que de soutirer ses trois kopecks à une âme errante ne sachant comment occuper son temps, on ne saurait pas par où commencer. Il faut prendre un instant et s’imaginer à la place des développeurs, prêts à se lancer dans un projet, pour se rendre compte de la pression à encaisser : est-ce que le jeu sera même visible par son public potentiel ? Au-delà des questions marketing et passé le processus de production toujours prompt à cumuler les imprévus, un titre doit, pour espérer attirer l’attention, avoir de quoi se démarquer. Cultiver ce qui va le rendre unique – oui, ça sonne comme un bien douteux conseil d’éveil à soi. Fruit de quatre années de développement au sein de 2 Ton Studios, structure réduite gravitant autour du couple à la ville Stephen Danton et Sara Kitamura, Unto The End s’ouvre sur un curieux panneau venant rassurer ou avertir les joueurs et joueuses ayant décidé de se lancer : ils ont bien affaire à un titre particulier, « différent ». Et pour l’apprécier au mieux, il va falloir « oublier [ses] préjugés ». Le résultat fait-il honneur à cette introduction ?
Sous les torgnoles, la rage
Unto The End se présente comme un jeu d’action narratif en 2D. On y incarne un homme qui part de chez lui et quitte sa famille dans un but inconnu. Sur le chemin, et après une ellipse marquant la seule rupture temporelle du récit qui, par la suite, se déroulera d’un seul tenant, le gaillard tombe dans une crevasse. À partir de là, il lui faudra trouver, et nous avec, un chemin viable, ponctué d’embûches, jusqu’à se trouver en lieu sûr et pourquoi pas retrouver la chaleur de son foyer. Par bien des aspects, le premier titre de 2 Ton Studios se revendique des jeux d’aventure dits cinématiques, dont Another World et Flashback sont les modèles les plus marquants ; en 2018, le chouette Planet Alpha s’aventurait sur ces plates-bandes. Par ce rapprochement, il faut comprendre que le déroulement du jeu sera linéaire, marqué par une suite de situations scriptées. De l’exploration à petites doses, des pièges à éviter et plus particulièrement des interactions avec les habitants de ce monde inconnu.
Passé la première zone, on a vite fait de cerner ce vers quoi tend 2 Ton Studios : l’immersion, par la cohérence établie entre son univers et ses systèmes. Et, ce faisant, s’éloigner le plus possible du ressenti mécanique, superficiel de ces derniers, effacer la moindre présence des rouages qui font tourner cet ensemble homogène, pour proposer une expérience fluide, naturelle pourrait-on dire. Plusieurs choix le montrent. Lorsqu’on lance Unto The End pour la première fois, l’écran-titre est également le premier plan du jeu, que la pression d’une touche animera d’un mouvement de caméra. D’ailleurs, une fois le titre disparu, l’écran sera vide de tout HUD, évitant ainsi de parasiter l’appréciation du cadre. Cette tendance à l’épure ne fait toutefois pas l’économie de certains menus et interventions du jeu à notre attention, mais presque tous sont cantonnés à des espaces à côté de l’aventure principale. On aura l’opportunité de se reposer à des feux de camp et, de là, accéder à diverses options (soigner ses blessures, fabriquer potions et morceaux d’armure, jeter un œil à l’inventaire) mais également de lancer un tutoriel pour les combats. Comme plongé dans le souvenir du personnage, on va y apprendre les rudiments des joutes à l’épée (une étape qu’on déconseille d’oublier) par l’intermédiaire d’un entraînement, où chaque mouvement sera détaillé, avant que notre grand barbu revienne à lui et se remette en chemin, haletant. Le jeu repousse dans les creux ce qui viendrait sortir de l’instant, de « l’expérience » qu’il entend proposer. À l’exception notable, cela dit, de sa dimension die & retry qui, bien qu’atténuée par un placement souple des checkpoints et la rapidité des temps de chargement, nous rappelle constamment à la nature logicielle plus que sensible de nos actions. Un paradoxe parmi d’autres contre lesquels se cogne le jeu, et qu’on fait pourtant bien d’assimiler sans tarder car on meurt beaucoup, dans Unto The End.
Tu fais moins le fjord, maintenant !
Dans la continuité de cette volonté d’immersion, le studio a opté pour un système de combat assez complexe (un petit guide est mis à disposition ici) à prendre en main de par la multiplication des options et la rythmique à appréhender. Pas question, en effet, de foncer dans le tas en charclant à tout-va, et ce n’est de toute façon pas possible. L’attaque et la garde se déclinent sur deux niveaux, haut et bas, pour nous et l’ensemble des ennemis, et il va falloir observer les mouvements de nos adversaires pour anticiper comment réagir. Plusieurs coups bloqués et l’ennemi laissera une ouverture le temps de quelques secondes, restant tout de même sur la défensive sur un des deux niveaux. Comptez seulement deux ou trois assauts pour en venir à bout mais l’inverse est tout aussi vrai, d’autant qu’il faudra parer au bon moment, sous peine de repasser en position neutre juste avant que le coup ne porte. La prudence est donc de mise, surtout que l’ensemble des rencontres est pensé comme un petit puzzle où le ou les opposants agiront différemment à chaque fois.
Les attaques lourdes, qu’on découvrira sur le tas, s’esquivent d’une roulade bien pratique sans toutefois être permissive : si le timing est mauvais, l’ennemi nous touchera ou on s’affalera contre lui, et si on roule contre un mur, c’est le mal de crâne assuré, avec perte de vie et d’épée à la clé. Régulièrement, en effet, un mauvais coup nous fera lâcher notre alliée acérée, qu’on devra prendre le temps de ramasser, le plus souvent grâce à une roulade, si tant est qu’on sache où celle-ci est tombée. Quand on ne le découvre pas alors même qu’on pensait pouvoir porter un coup et que le petit signal nous indique qu’elle est là-bas à trois mètres, trop tard pour réagir et éviter la patoune griffue qui vise entre les deux yeux.
S’ajoutent à cela la possibilité de faire tomber l’ennemi d’un coup d’épaule, de lui lancer un couteau, de simplement se baisser pour esquiver les coups hauts, et même de feinter l’assaillant pour le forcer à bloquer sur un niveau avant de frapper là où la garde fait défaut. En soit, pas mal d’options mais dans les faits, on est déjà assez concentré sur le déroulement du combat pour multiplier les passes d’armes habiles et il faut souvent se contenter d’un cycle « bloque/bloque/frappe » répété deux ou trois fois pour venir à bout de son adversaire. Arrivé en fin de jeu, et notamment après un boss final particulièrement relou (défaut de lisibilité ou de lecture de notre part, qui sait ?), on se dit que ce système, tout en tension et qui ne manque pas de saillies, n’est pas tout à fait exploité à la hauteur de son potentiel, la faute à un manque de variété dans les situations rencontrées et dans les patterns ennemis. On aura, par exemple, parcouru tout le jeu sans mettre en pratique la feinte, essentiellement car on a su se débrouiller sans. Unto The End paie certainement ici le prix de son ambition, déséquilibré entre ses mécaniques poussées et une mise en pratique qui peine à leur rendre honneur.
La cabane dans le froid
Au jeu de l’épure scénaristique et visuelle, rares sont les prétendants à atteindre la finesse comme l’ampleur des ténors du genre, Inside en tête. Unto The End fait le même pari : partir d’une base simple et universelle sous laquelle vont résonner plusieurs couches de narration, hors-champ ou à peine perceptibles, et nourrir l’univers dépeint. Ici, un père de famille part de chez lui et c’est son retour qu’on va suivre. Débarqué, comme nous, dans un environnement aux codes inconnus, il va devoir s’en tenir à l’observation et aux valeurs essentielles pour interagir avec des autochtones farouches mais pas forcément belliqueux. Si on arrive à les interpréter, certains signes vont permettre d’initier un échange de bons procédés et ainsi éviter de se taper dessus.
Ces quelques moments de paix instable, comme les différents jalons du récit qui introduisent conflits et éléments culturels qui nous dépassent totalement, ne suffisent pourtant pas à donner du corps à ce monde hostile. La faute à un manque d’envergure, et peut-être d’étapes supplémentaires, de ce voyage qui ne trouve pas le dosage idéal entre périodes de calme, où le danger gronde au loin, et montées d’adrénaline. Il faut quand même souligner l’impressionnant travail sonore qui a été fait, du silence oppressant, que le souffle de notre personnage blessé vient amplifier, à la tempête qui siffle aux oreilles, qu’une bande-son efficace vient, par petites touches, habiller. En fin de course, alors qu’une longue marche, bien calibrée, sépare le corps fumant du dernier ennemi vaincu et notre destination finale, on prend conscience de tout le travail abattu par 2 Ton Studios et qui loupe, par souci de moyens ou emboîtement malheureux de ses ingrédients, son but, de peu et beaucoup à la fois. C’est peut-être là le point le plus tragique de cette odyssée, et ses protagonistes ne sont pas ceux que l’on croyait.
Unto The End a été testé sur PC via une une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur PS4, One (actuellement sur le Game Pass) et Switch.
Tous les éléments sont là, au fond, qui auraient fait d’Unto The End « l’expérience » annoncée, un incontournable du jeu d’action narratif. La profondeur est là, l’envie, gigantesque, aussi. Mais l’ensemble manque de ce souffle qui fait la réussite incontestable des grands jeux. Reste un titre qui vaut qu’on se frotte à sa proposition, au moins le temps de savoir si son rythme bien à lui nous convient. Nul doute en revanche que, si 2 Ton Studios arrive à digérer ces quatre années de développement, on sera au rendez-vous pour le prochain titre.
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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