Troisième et complète itération de point & click visant à raconter l’histoire de l’île coréenne de Jeju, Unfolded : Camellia Tales emporte le joueur en 1948 dans une aventure retraçant les tragiques événements survenus sur l’île de la fin des années 1940 à 1954. Le jeu des deux Coréens de COSDOTS nous montre sa volonté d’informer le public de cette histoire encore trop peu connue dans le monde dans un enrobage malheureusement trop bancal et manquant cruellement de maîtrise.
Histoire d’un massacre
Avant de commencer à parler de Unfolded : Camellia Tales (appelons-le désormais juste Camellia Tales), je pense qu’il est nécessaire de revenir sur les événements dits du « 3 avril » ou 4.3, sur lesquels j’ai en plus pu travailler lors de mon Master à la fac et si vous voulez en savoir plus n’hésitez pas à regarder ce petit documentaire fait par l’équipe dans laquelle j’étais winkwink (mais attention c’est du travail d’amateur alors ne jugez pas TROP).
Le 3 avril 1948, plus de 300 civils armés ont pris d’assaut des postes de police et des bâtiments liés aux milices d’extrême droite présentes sur Jeju, en réponse à une manifestation réprimée dans le sang un an plus tôt et à la tenue d’élections non voulues par la population, en majorité à gauche, de l’île. Le gouvernement coréen, poussé par les États-Unis, envoie l’armée pour rétablir l’ordre sur cette île catégorisée comme communiste.
Les militaires instaurent une « zone de sécurité » de 5km vers l’intérieur des terres et annoncent que quiconque se trouve en dehors de ce bandeau sera considéré comme rebelle communiste et abattu à vue. En novembre 1948, l’armée se met à attaquer aléatoirement les villages de Jeju lors de l’opération « terre brûlée », brûlant les maisons et tuant les habitants par centaines.
Beaucoup de villageois sont obligés de se réfugier sur les pentes du volcan Halla, plus grande montagne de cette île volcanique, ou dans ses cavernes creusées par la lave. Ces événements ne prendront fin qu’à la sortie de la Guerre de Corée et auront fait, selon les estimations, plus de 30 000 victimes, soit 10% de la population de l’île à l’époque.
Voilà pour l’histoire, mais il y a aussi un contexte à présenter sur ces événements aujourd’hui. Pendant près de 30 ans, la Corée du Sud a été une dictature. Les survivants de Jeju n’ont pu commencer à parler de leur expérience qu’à partir de la fin des années 1980, muselés avant cela par le gouvernement. Il aura fallu attendre 2003 avec la publication du rapport d’enquête sur les événements et les premières excuses du président sud-coréen pour que le massacre de Jeju commence enfin à véritablement sortir de l’ombre. Encore aujourd’hui, et ce malgré le travail d’artistes et de militants, ce qu’il s’est passé sur Jeju est assez peu connu du monde et des Coréens du continent.
Anglais LV 12
Camellia Tales veut donc nous en apprendre plus sur ce qu’il s’est passé. On y joue Herman, un jeune poète jéjuite de 12 ans qui va tenter de survivre, avec sa mère et ses amis, lors de l’opération terre brûlée. Les trois gros chapitres que compte le jeu nous amèneront à différents endroits de l’île qu’il faudra visiter pour remplir les objectifs qui nous permettront d’avancer.
Avec son style dessiné à la main et très peu de couleurs, Camellia Tales semble fortement vouloir rendre hommage à une des œuvres décisives dans le combat pour la reconnaissance du massacre du 3 avril : le film Jiseul, sorti en 2012 et réalisé par O Muel. Qu’on accroche ou pas à ce style graphique, je trouve que ce point est le plus gros point fort du jeu. Les traits sont fins et les environnements détaillés, donnant une certaine vie à cette île.
Tout au long de l’aventure, Herman va croiser un grand nombre de personnages, tous venant de l’île et tentant d’une manière ou d’une autre de survivre. Une certaine plongée dans l’intimité de la population avant et pendant les opérations de meurtres de l’armée. Chacun y va de son petit trait de personnalité assez bien senti (un vieillard ne voulant que boire son alcool qui l’endort, un commandant rebelle adepte de la sculpture sur bois, une jeune fille absolument désagréable…) et on arrive à y croire lorsqu’on leur parle.
Herman déambule pendant l’aventure entre les différents décors et les situations qui s’offrent à lui. Bien souvent, on fera appel à son aide et celui-ci, bien malgré lui, devra accepter car la survie de beaucoup d’habitants en dépend. On suit donc ce rêveur un peu naïf mais pas stupide dans ce jeu qui surprend à plusieurs niveaux. Tout d’abord, Camellia Tales nous donne à voir des scènes vraiment difficiles et fortes, comme l’assaut du village par les forces armées à la fin du chapitre 2 et le massacre des habitants. Une scène qui arrive après qu’on a tâtonné pendant bien trop longtemps sur les énigmes sur fond d’ambiance champêtre et heureuse. Mais le jeu de COSDOTS nous surprend finalement le plus par ce qu’il rate…
À commencer par sa localisation en anglais absolument immonde. J’ai joué une dizaine d’heures (ce qui est déjà bien trop long mais j’y reviendrai) à Camellia Tales et pas une minute j’ai pu lire une phrase en anglais bien écrite ou bien traduite. On peut se dire qu’il est difficile pour une petite équipe de deux développeurs venant d’un pays où l’anglais n’était que rarement enseigné en tant que 2e ou 3e langue à l’école, de localiser correctement pour pas trop cher son jeu vidéo. Mais le duo a voulu exporter cette histoire de Jeju au-delà des frontières de la Corée du Sud, et avec cette décision, il aurait fallu y mettre un minimum de moyens. Au lieu de cela on a très régulièrement l’impression, en jouant en anglais, d’être face à des textes écrits par un enfant de 10 ans ou pas terminés. Pire, Herman est un jeune poète. Il peut alors s’inspirer d’éléments qu’il voit pour composer des poèmes dans son carnet. Lire un poème mal traduit fait un peu mal aux yeux et celui-ci en perd toute sa substance. Tout le message du jeu, qui veut nous montrer que Herman voit la beauté de l’île et de l’humain malgré les événements atroces qui s’y déroulent, part complètement en fumée à cause de cette traduction.
Le père Fouras en pls
D’autre part, Camellia Tales souffre d’un cruel manque de rythme. La faute d’abord au sound design trop léger se résumant aux bruits de pas et à quelques sons de nature, ou à sa musique répétitive et très peu inspirée, qui nous donne des boucles génériques vite agaçantes tant et si bien que j’ai désactivé le son pour jouer avec ma musique à côté. Mais surtout les énigmes, loin d’être logiques, m’ont fait perdre beaucoup trop de temps.
Comme je le disais plus haut, j’ai joué une dizaine d’heures. Pour ce qu’il a à raconter, le jeu est beaucoup trop long et propose trop d’énigmes à la fois, avec souvent ce sentiment d’inutilité des choses. Le premier gros chapitre nous demande de construire un drapeau de signalisation. On nous demande de rassembler un mat en bambou, une corde et trois morceaux de tissu de couleurs différentes. Une mission simple en apparence mais qui m’a fait buter pendant au moins 2h.
Par exemple, pour récupérer la corde il faut : aller voir le vieil homme devant sa maison, il nous demande de lui trouver de l’alcool, on lui en trouve mais il dit que ce n’est pas celui qu’il veut, on va alors chercher une recette de distillation dans un livre chez le maître d’école, on récupère les ingrédients, une bouteille et un couvercle pour le distillateur puis on fabrique l’alcool, on le donne au vieux qui le boit et s’endort instantanément et enfin on lui vole sa corde.
Des étapes fastidieuses et beaucoup trop nombreuses à mon sens pour la simplicité de ce que l’on nous demande. Et bien souvent, on se retrouve à tâtonner sur tous les écrans, à cliquer sur tous les points d’intérêt ou à essayer de combiner tous nos objets en espérant trouver ce qui marche. Il y a bien un système d’indices, mais très maigre, et ceux-ci ne nous aident pas souvent, nous disant simplement ce qu’il faut faire. Mais en général on sait ce qu’il faut faire, juste on ne sait pas comment le faire.
On peut imaginer plusieurs choses concernant le niveau relevé de ces énigmes :
1 – C’est un de mes premiers point & click et je n’ai donc pas encore développé la logique pour résoudre ce genre de choses. Mais bon, même en faisant appel à certains moments à mes petits camarades de The Pixel Post, on n’avançait pas plus facilement.
2 – Les développeurs ont voulu retranscrire le côté survie et débrouillardise de ces habitants obligés de se cacher dans un environnement et un contexte alors assez hostiles.
C’est ce sentiment que j’ai eu en jouant. « Les habitants devaient faire avec ce qu’ils avaient et déborder d’imagination pour ne serait-ce que passer la journée, alors pour vous ce sera pareil ». Mais si c’est le cas, je me questionne sur l’utilité d’une telle chose. Un jeu vidéo, s’il a aussi pour but d’éduquer et de sensibiliser sur les thèmes qu’il aborde, doit, à mon sens, le faire en faisant s’amuser le joueur. On ne parle pas de produit vidéoLUDIQUE pour rien. Dans Camellia Tales je n’ai pris que peu de plaisir. Peut-être aussi que je me cache derrière la petitesse de cette équipe et le sujet dont elle a voulu traiter pour leur pardonner finalement un manque de savoir faire dans la création d’énigmes. C’est tout à fait possible que ça soit juste raté.
Unfolded : Camellia Tales a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Unfolded : Camellia Tales a pour lui qu’il traite d’un sujet peu connu du grand public mondial et dans son pays d’origine et qu’il essaie par la même occasion de nous en apprendre plus sur Jeju, cette île paradisiaque (et pour y être allé, je vous confirme que c’est un des endroits les plus reposants que j’ai pu visiter dans ma vie) qui aurait très bien pu se transformer en Iwo Jima bis si la guerre ne s’était pas arrêtée à temps. On apprend donc pas mal de choses sur ses particularités géologiques qui ont été exploitées par les Japonais lors de l’occupation et ensuite par ses habitants lorsqu’ils devaient se cacher. Malheureusement, tout ceci est couvert par un manque de maîtrise à quasiment tous les niveaux. Musique, écriture, traduction, énigmes… Trop de points noirs dans Camellia Tales qui font de ce jeu une expérience ludique ratée. Et pour en apprendre davantage sur les événements du 3 avril, plein d’autres œuvres sont disponibles, à commencer par Jiseul, qui se regarde très bien.
Benjamin "Noodles"
Faire des jeux de mots c’est mon dada. J'aime bien tous les jeux aussi. Sauf les mauvais ou ceux qui nous prennent pour des glands.
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