Inspiré de grands puzzle game jouant sur la duplication et les déplacements comme Braid ou The Sweeper, Ugly entend vous mettre le cerveau en fusion en vous faisant piloter un petit prince hideux et son image miroir.
Dans Ugly, vous êtes donc ce personnage difforme et laid, isolé dans un château en ruines qui menace de s'écrouler sur lui-même à chaque instant. Assez rapidement, on vous explique en creux la problématique : vous avez été victime d'une injustice, maltraité et trahi. Désormais piégé dans un dédale inextricable, vous n'avez pour vous que votre capacité à créer un double de vous-même, qui va exécuter l'inverse de vos mouvements et avec qui vous pourrez intervertir votre emplacement. Un concept simple comme bonjour ici poussé jusque dans ses derniers retranchements logiques, dans ce qui s'avère un des jeux de réflexion à la courbe de difficulté la plus brutale de l'année.
Moche et Remoche
Donc, vous êtes moche. C'est votre principale caractéristique. Mais mieux vaut être moche ensemble que seul, aussi, vous voici face à un niveau tutoriel qui va vous apprendre tout ce que vous avez à savoir : si vous posez votre éclat magique devant vous, votre double se tiendra devant vous, comme dans un miroir. Si vous le posez au sol, il se tiendra en dessous de vous, comme si vous regardiez dans une flaque d'eau. Sautez, et il tombera. Allez à gauche, et il ira à droite. Appuyez sur une touche, et vous prendrez sa place, et lui la vôtre. C'est tout simple, on comprend tout très instinctivement, et surtout le fait que l'on possède un cerveau résolument incapable de penser à l'endroit et à l'envers en même temps.
De ce concept de déplacer son double, déjà vu dans nombre de jeux du genre, Ugly parvient à faire tout un tas de choses profondément déviantes. Des salles dans lesquelles on ne peut plus échanger sa place. Des surfaces pleines d'éclats de verre que le double ne peut pas traverser. Un métronome qui vous fait changer de place avec votre petit pote toutes les trois secondes, que vous le vouliez ou non. Vous allez apprendre à détester chaque nouvelle mécanique qui vient méthodiquement briser tout ce que vous pensiez avoir compris de la physique du jeu. Par bonheur : j'aime souffrir. Parce que dans son genre, Ugly est vraiment une belle petite torture.
Pour être honnête, la courbe de difficulté n'est pas non plus insurmontable (c'est juste moi qui suis bête). En particulier parce que pendant une bonne partie de l'aventure, il vous sera possible de choisir entre plusieurs énigmes si l'une d'entre elles vous bloque, et aussi lorsque l'on découvre qu'il est possible d'activer un très élégant système d'indices. S'ils ne font jamais le travail à votre place, ces derniers vous expliquent dans les grandes lignes l'esprit du puzzle qui vous fait face. C'est absolument charmant, et d'autant plus rageant quand on ne parvient pas à ses fins même en les utilisant (j'avais prévenu que j'étais bête).
T'as beau pas être beau
C'est probablement la plus grosse pilule à avaler avant de se plonger dans les sept à dix heures de durée de vie offertes par Ugly : il est de cette catégorie de puzzle game qui vous mettent assez vite de violents taquets derrière la nuque. Des pics de difficulté plus précoces que dans les récents Sokochess White et Humanity, à titre de comparaison. D'une certaine manière, je trouve même assez audacieux de la part du studio le fait d'avoir collé des tableaux assez brutaux dans les deux premières heures, s'exposant à quelques demandes de remboursement sous le coup de la frustration. Mais je crois aussi qu'ils ont eu raison de faire confiance à leur public, tant Ugly est davantage que la somme de ses énigmes imbitables.
J'ai ainsi été bluffé par la capacité continue (sauf dans les dernières heures un poil laborieuses) du titre à renouveler sa proposition, se permettant des combats de boss faisant largement varier le gameplay, un gros retournement scénaristique à mi-parcours et une quantité non négligeable de secrets et de bonus à dénicher partout avec un peu de persévérance. Ugly est un jeu beaucoup plus généreux qu'il n'en a l'air. Il se permet même quelques moments assez mémorables et spectaculaires, servis par une mise en scène redoutable d'efficacité.
Ce qui m'amène à un point qui me semble essentiel dans une année où un bon tiers des jeux indés comme majeurs que nous avons reçus à la rédaction l'ont été dans un état calamiteux : Ugly est un jeu qui ne manque pas de finition. Extrêmement beau et détaillé, à la frontière du dessin animé 2D interactif, il tourne comme un charme sans l'ombre d'un ralentissement sur ma vieille pomme de terre, peu importe le nombre de zooms et de dézooms improbables imposés par les différentes énigmes. Pas un bug, pas un plantage, c'est : exactement dans cet état que devraient sortir tous les jeux vidéo dans un monde idéal. Au moins, en voici un dont vous pourrez profiter sans attendre le prochain patch et la prochaine lettre d'excuses du studio.
Innover ou rénover ?
Ugly m'inspire aussi pas mal en ce qu'il parle sans le vouloir de quelque chose de foncièrement actuel dans l'industrie vidéoludique, toujours déchirée entre "l'innovation" (inventer un nouveau style ou une nouvelle tendance pour se faire remarquer) et la "rénovation" (tenter de proposer quelque chose de frais avec une formule déjà bien connue). Les deux approches ont leurs écueils, mais il me semble, au moins, qu'Ugly a choisi son camp. Parce que si vous avez un petit passif dans le domaine des puzzle game, vous avez déjà plus ou moins joué à Ugly. Et si vous avez fait tous les jeux que j'ai cités plus haut en tant qu'influences, et que vous avez aussi déjà touché, mettons, à Portal ou Teslagrad, vous avez COMPLÈTEMENT déjà joué à Ugly.
Cependant, vous n'y avez pas joué de cette manière. Ne formulant jamais aucune idée révolutionnaire, ce jeu arrive à tout moment à surprendre tout de même par la qualité immense de ses idées et de ses variations sur des thèmes a priori imposés. Parfois à la frontière mince entre l'influence et la redite, il ne tombe jamais du mauvais côté de la ligne et expose jusque dans ses dernières minutes sa vision très précise et très claire de ce que doit être "un puzzle game où on pilote plusieurs personnages" en 2023. Oui, c'est très spécifique, mais arriver à être le meilleur de sa niche, c'est déjà un exploit, et il n'en faut pas vraiment davantage pour faire un bon jeu qui restera dans les mémoires.
Ugly a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch et sur les consoles Xbox.
Je voudrais poser une réclamation auprès du studio espagnol Team Ugly. Parce que vous devriez le savoir : je n'ai pas une très bonne visualisation dans l'espace. Alors quand je dois visualiser à la fois le placement de mon personnage et de son image miroir dans des niveaux eux-mêmes conçus de telle sorte à ce que mes deux personnages se perdent, ma consommation d'aspirine augmente mécaniquement en flèche. Qui va payer pour ça ? Il est heureux que tout ceci se soit avéré une magnifique surprise de level design doublée d'une fort belle direction artistique, ça aide à faire passer la migraine. Néanmoins, ne me refaites plus jamais ce coup-là, il ne me reste plus un neurone en stock.
Les + | Les - |
- Concept simple, mais exploité à merveille | - La courbe de difficulté est trop raide |
- Le level design réserve de jolies surprises | - Trop de recyclage dans la deuxième partie |
- Boss originaux et variés | |
- Beau, fluide, et tourne à merveille sur une mini config |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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