Avec à peine 100 000 ventes sur Wii U-la-maudite, le RPG J-POP mélangeant les univers de Shin Megami Tensei et Fire Emblem, bien que reçu très cordialement par la critique, a peiné à marquer les esprits. Par bonheur, Tokyo Mirage Sessions se voit doté d’une ressortie mondiale sur Switch, quatre ans après sa première version, enrichi d’une quantité importante de contenu.
J’avais eu l’occasion de toucher au RPG d’Atlus avant qu’il ne devienne Tokyo Mirage Sessions #FE Encore de son nouveau nom complet. Gros jeu de rôle sur une console qui en manquait cruellement, ce titre étonnait par son emballage J-POP ultra soigné et son histoire beaucoup mieux ficelée que le synopsis ne le laissait à penser. L’expérience en était cependant plombée par des graphismes peu engageants, un rythme haché, une absence de VF et des temps de chargements pénibles. Mais cela restait à la fois ce qui se rapprochait le plus de Fire Emblem et de Persona sur Wii U, ce qui était déjà pas mal : les possesseurs de Wii U que nous étions se raccrochions à ce que nous pouvions. C’est donc avec plaisir que j’attendais cette ressortie de Tokyo Mirage Sessions, histoire de redécouvrir le titre du fond de ma couette, en version ultime. J’en attendais peut-être trop, et pourtant, je n’ai pas été déçu.
Chante et mets tes baskets
Quelques avertissements préalables : si vous venez pour du contenu Fire Emblem, renoncez immédiatement, il est beaucoup plus symbolique qu’autre chose dans Tokyo Mirage Sessions. Et si vous êtes allergique à la J-POP, aux idols, aux vocaloids et à tout l’emballage Japon-Pop-Sucré qui va avec, renoncez encore plus vite. Si le titre d’Atlus sait avoir les habituels côtés sombres qu’on connaît à l’éditeur, l’ambiance est ici plus légère, plus acidulée, et tout entière tournée vers la représentation fantasmée du monde du divertissement japonais.
Les sept personnages jouables du jeu, gravitant autour d’une agence d’artiste idéale avec sa patronne sexy à gros lolos, son IA hologramme mignonne et son coach américain otaku, représentent tous un aspect immédiatement reconnaissable des stéréotypes du monde de l’entertainement nippon : le jeune acteur passionné et un peu rebelle, la jeune idol pure et naïve, la vedette un peu froide, la métisse mystérieuse. Les personnages de Tokyo Mirage Sessions sont tous, presque sans exception, correctement écrits et attachants, mais n’ont jamais une profondeur qui dépasse de beaucoup leur utilité. Le jeu est beaucoup moins ambitieux scénaristiquement qu’un Persona 5, aussi ce côté un peu figé et monochrome sous des couches de vêtements fluo ne devient jamais vraiment gênant : le casting est réussi, et c’est ce qu’on demande à une agence de talents. Après tout, cette superficialité et ces traits au crayon épais sont aussi ce qui caractérise le monde de la J-pop, un monde apolitique, coloré, joyeux, et peuplé d’archétypes réconfortants. Nous y reviendrons : ce n’est pas si gênant que cela, mais c’est aussi une des limites de l’exercice.
Ce qui fait fonctionner l’ensemble à merveille, c’est l’énergie manifeste qui a été injectée pour faire fonctionner le tout : les six grands chapitres de l’aventure sont autant d’univers musicaux à explorer, et s’ouvrent et se ferment par des clips musicaux assez ambitieux, donnant énormément de substance à l’agence d’événementiel pour laquelle les héros travaillent. Cela donne l’impression sensible de suivre de jeunes vedettes attachantes dans leur ascension vers la célébrité, laquelle est rythmée par des combats contre un bestiaire varié, en particulier les boss de fin de donjon, mémorables et inattendus.
Je ne sais faire que chanter
Je trouve étonnant qu’à peu de choses près, Tokyo Mirage Sessions ne fasse guère plus que ce que je viens de vous décrire : vous proposer une aventure à la sauce Persona-light dans un univers où les personnages chantent et dansent, le tout rythmé par une succession de chapitres qui sont autant d’occasions de vous envoyer de la musique et des interludes émotionnellement prescriptifs en pleine poire. À peu de choses près, et à quelques allers-retours pour boucler des quêtes annexes souvent dispensables, vous n’allez rien faire d’autre que de suivre des starlettes en plein début de carrière tout en enchaînant les combats sur fond de bande-son frénétique et urbaine.
Ces affrontements sont composés comme autant de chorégraphies au tour par tour, et vous demanderont de gérer de nombreux paramètres qui, ô miracle dans le monde souvent mal designé des JRPG, savent à merveille fonctionner en harmonie et se faire oublier. Au cœur de la mécanique, une sorte de simulation de chorégraphie et de rythme qui continue de filer la métaphore du clip et de la comédie musicale. Les ennemis sont, à peu de choses près, aussi forts et brutaux que vos personnages, et une confrontation tournera immédiatement au vinaigre si vous n’utilisez pas le système de « Sessions ». Pour faire simple : attaquer le point faible d’un ennemi déclenchera, si vous avez équipé les bonnes compétences à vos partenaires, une attaque automatique et gratuite, laquelle pourra en déclencher une troisième, et ainsi de suite, jusqu’à créer des combos pouvant parfois dépasser les 15 attaques consécutives « bonus » qui se déploient comme autant de danses effectuées par des personnages habillés de leurs vêtements de scène.
Un peu confus au début, le système se déploie de manière assez fluide pour qu’on apprenne peu à peu, et sans atteindre la lourdeur des gambits d’un FFXII, à programmer ses attaques pour faire face à des boss à priori insurmontables, mais qui pourront être étalés en un ou deux tours avec des sessions bien programmées. S’ajoutent à cela des systèmes d’attaques critiques utilisant une jauge qui récompense votre capacité à bien chorégraphier vos attaques et un simili système d’invocation, et vous voilà aux commandes d’une équipe dont vous avez l’impression d’être avant toute chose le directeur artistique.
Deux bémols cependant : forcer le trait à ce point sur la notion de mise en scène jusqu’à placer la plupart des combats dans le même décor de stade de corrida finit par manquer un peu de variété, d’autant plus que de légers problèmes d’équilibrage subsistent, et forcent de temps à autre à pratiquer un peu de leveling dont on se passerait volontiers. De même pour l’évolution des armes et autres compétences spéciales des personnages, qui nécessitent de temps en temps un peu de farming pour trouver tel ou tel élément. Aucune gravité, mais le jeu n’aurait pas démérité un équilibrage un peu plus fin pour éviter ces rares moments de « piétinement » poussant à faire parfois quelques quarts d’heure de grind un peu mous.
Une Version Censurée ?
C’est délibérément que j’aborde à part la question de la « censure » de cette version, une légère polémique ayant entachée la sortie américaine sur Wii U dès 2016. En effet, lors de l’annonce de la date de sortie du jeu, Atlus a affirmé que la version définitive sur Switch serait basée sur la version censurée du titre, y compris au Japon. Le contenu altéré tourne essentiellement autour de certains DLC cosmétiques qui ont été retirés du jeu, et par cosmétique, entendez « les filles du casting en maillot de bain extrêmement échancré ». Un donjon a également été modifié en profondeur, et quelques ennemis redessinés de manière plus prude. Enfin, l’âge des héroïnes a été légèrement relevé, pour éviter toute polémique lié à la sexualisation des adolescentes en Amérique du Nord. Mis bout à bout, les changements sont néanmoins assez marginaux et ne changent quasiment rien à l’expérience Tokyo Mirage Sessions. Un des défauts du jeu, cependant, au-delà de cette simple censure, me semble être de ne jamais frontalement aborder la question de la mise au travail de manière souvent brutale et parfois hypocritement sexualisée de jeunes starlettes « pures » et « fraîches » dans une industrie de mass media musical encore souvent tourné vers un public de jeunes hommes esseulés et frustrés par la pression sociale japonaise, dans un contexte de culture de fans s’avérant parfois toxiques. La notion du rapport au corps dans la J-pop n’est qu’à peine questionnée par le jeu : sa version originale japonaise sur Wii U se contentait de mettre en scène de manière complice le voyeurisme, sa version définitive l’enterre carrément en refusant d’aborder le sujet pour préférer rallonger le tissu et cacher les poitrines des monstres sous un nuage de fumée. C’est un acte manqué.
Tokyo Mirage Sessions [2020 definitive mix]
J’ai une légère obsession pour les formes parfaites, les machines qui tiennent toutes seules, les produits assez épurés pour qu’aucune esbroufe ne soit nécessaire. Si Tokyo Mirage Sessions en est loin, il a tout de même une certaine sobriété que peu de JRPG se permettent : une interface claire, peu de menus et de sous-menus, une certaine unité de lieu et d’action, un casting resserré, tout est au service d’une intrigue simple et efficace, qui se boucle en une quarantaine d’heures en ligne droite. C’était déjà le cas de la version Wii U, mais un simple portage à la va-vite aurait été un peu cruel avec le jeu d’Atlus, qui ne manque pas de défauts (à commencer par des donjons qui souffrent cruellement d’une variété absente et de level design confus).
La variété musicale est plus que jamais au rendez-vous, puisque la bande-son a été largement étendue, mais c’est tout le polish qui a été appliqué sur tout le reste qui m’a marqué tout au long de ma partie : les temps de chargements, horribles sur Wii U, ont désormais quasiment disparu, les interactions entre les personnages ont été revues, la progression de l’expérience légèrement ajustée, et quelques quêtes supplémentaires donnent un peu plus de sel à l’ensemble. L’interface qui prenait en compte l’existence de la tablette de la Wii U a elle aussi été repensée de manière cohérente, bien qu’on souffre parfois de polices de caractère ridiculement petites en mode portable. En comptant une excellente traduction en français qui en démultiplie l’accessibilité et l’accès à l’ensemble des DLC parus sur Wii U, on tient ici l’occasion rêvée de découvrir enfin Tokyo Mirage Sessions. À peine regrettera-t-on une absence de retouche graphique qui, évitons les périphrases, souligne tragiquement la laideur relative dans laquelle baigne le jeu sur grand écran. On préférera la version portable, plus fluide, moins floue, et laissant moins voir les aplats grossiers sur des modèles 3D pas franchement inspirés. Et ce malgré le talent indéniable de Fumitaka Yano (FFXIII, SMT IV) au monster design et de Toi8 (.hack, I am Setsuna) au chara design.
Cette version souligne aussi, parfois cruellement, que cet habillage de comédie musicale en costume de Fire Emblem cache aussi un Donjon RPG parfois fastidieux, en ce qu’il lui manque les thématiques extrêmement fortes d’un Persona 5. Là où le chef d’œuvre d’Atlus parvenait à parler de viol, de deuil, de racisme ou encore de la corruption des élites, Tokyo Mirage Sessions pousse lentement et sans conviction un message de type « c’est dur la vie d’artiste » et peine à lui faire prendre corps sous forme de quoi que ce soit de mémorable. Cette unité de lieu et de thème aurait pu, aurait dû creuser beaucoup plus profondément le sillon des immenses difficultés économiques, sociales et sociétales que sous-tend l’entertainement de masse japonais. Mais dans Tokyo Mirage Sessions, il n’est presque jamais question de burn out, de vie ruinée par une célébrité soudaine, de la pression mise sur le mental, le corps et l’entourage des starlettes japonaises. Comme si, sous les atours parfois sombres de son scénario, c’était avant tout la fête qui devait battre son plein, et pas la remise en question de cette dernière. Sur le diamant brut qu’était le jeu sur Wii U, ce n’était pas si grave : les JRPG de qualité n’y couraient pas les rues. Sur Switch, la compétition est plus rude, et j’ai fini par me demander en reposant cette version polie si Tokyo Mirage Sessions n’aurait pas gagné à essayer de parler de quelque chose, au lieu de nous pousser à ramener l’ordre immuable d’un capitalisme musical prompt à mettre sous le tapis ses propres péchés véniels.
Tokyo Mirage Sessions #FE Encore a été testé sur Switch, via une clé fournie par l’éditeur.
Tokyo Mirage Sessions #FE Encore utilise à merveille le prisme de la musique pour délivrer une aventure pop et colorée dans un Shibuya volontairement saturé. RPG solide, il compense ses nombreux défauts par un habillage des plus réussis, sans pour autant se placer en alternative solide aux séries qu’il imite : Persona et Fire Emblem. Si vous venez pour l’un ou pour l’autre, vous serez forcément déçu, alors prenez Tokyo Mirage Sessions pour ce qu’il est : un rollercoaster chantant un peu kitsch, parfois mal rythmé, mais toujours plein de cœur. Ou juste, pour ceux qui ont eu la chance de le découvrir à l’époque sur Wii U, comme une façon d’en profiter enfin dans des conditions optimales.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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