Je pourrais totalement sauter à pieds joints dans la facilité de la nostalgie et vous conter, les yeux embués de larmes et des trémolos dans la voix, à quel point me lancer dans un jeu Tortues Ninja en 2022 est une madeleine de Proust, combien ça me ramène à mon enfance quand, en rentrant de l’école ou du collège, je me collais devant le dessin animé en compagnie de mes copains ou de mon petit frère. Ce récit serait factuellement véridique, mais omettrait un détail : je n’en ai finalement jamais eu grand-chose à cirer des Tortues Ninja, malgré mon intérêt élevé pour la bagarre, les pizzas et les blagues ringardes.
Il y a cependant une bonne nouvelle : malgré mon absence absolue d’attachement pour l’univers et les personnages – mais aucun rejet non plus –, j’ai passé un très bon moment devant la nouvelle production de Tribute Games et Dotemu, et je pense sincèrement qu’à moins de vomir les Tortues Ninja ou les beat them all de tout son être, il sera difficile de ne pas au moins apprécier TMNT: Shredder’s Revenge.
Hommage, ô des espoirs
On le sait depuis un petit moment : Tribute Games porte vraiment bien son nom. Le camarade Seastrom l’avait déjà noté dans sa critique du chouette et très rétro Panzer Paladin, et on s’était fait la même réflexion en parcourant leurs Scott Pilgrim vs. The World, Mercenary Kings et autres Wizorb : les productions du studio débordent d’un amour sincère du vieux jeu vidéo, du beat’em all en 2D au run & gun, en passant par le casse-briques. Des jeux à l’aspect profondément rétro – on est sur du plus ou moins gros pixel, le game design reprend tous les gimmicks du style et de l’époque cités – mais un gameplay et une accessibilité de plus en plus modernes et accessibles au fur et à mesure des épisodes.
TMNT: Shredders’s Revenge en est le pinacle. Pour comparer ce qui est comparable, Scott Pilgrim vs. The World proposait déjà toute la base : un pixel art très joli, une excellente BO (Anamanaguchi dans mes veines), du beat them all 2D en side scrolling à tendance arcade, des références à l’œuvre d’origine en veux-tu en voilà. Mais le jeu pêchait par des combats un poil mous et une difficulté pas tout à fait assez juste pour être amusante. TMNT, c’est globalement tout ça mais en plus abouti, plus fin, plus fun, plus équilibré et, étonnamment, plus subtil.
Étonnamment car, au premier abord, et à commencer par toute la com’ autour du titre, TMNT sonne comme un gros jeu de forceurs. Et que ça y va sur les jeux de mots senteur années 80/90, les pizzas et les Cowabungas partout, les clins d’œil appuyés aux fans de la série et des vieux jeux en remplissant les décors d’easter eggs et de références, en reproduisant la carte du culte TMNT sur NES ou en reprenant quasi tout le déroulement et gameplay de Turtles in Time ; l’appel du pied aux quadras nostalgiques ne pouvait être plus fort. On remerciera Tribute Games de ne pas avoir poussé l’hommage jusqu’au niveau aquatique, mais on les remerciera surtout d’avoir rendu le titre totalement accessible et même sympathique aux personnes ne connaissant pas ou se fichant éperdument de tous ces détails.
Êtes-vous le gardien de la porte ?
Un paquet d’entre vous n’auront pas la ref de tel ou tel décor, mécanique ou design, ne sauront probablement pas qui est ce personnage débloqué, etc., et à vrai dire peu importe. Peu importe, car même sans reconnaître les clins d’œil disséminés dans les environnements, ceux-ci restent magnifiques. Le pixel art est d’une finesse incroyable, l’animation est fluide, la DA est colorée, c’est un plaisir visuel constant et si les premiers niveaux restent très sages en termes de lieux visités et d’ennemis, le titre se permet quelques fulgurances par la suite. Et mince, même quand les environnements sont convenus (oui d’accord, les bureaux, la ville, les égouts, on connait), ces derniers regorgent de petits gags, de petits détails – j’adore tous ces ninjas occupés à manger des glaces, taper au clavier ou tenir des stands de foire – et d’animations de combat.
Ces références se retrouvent également dans le gameplay et Tribute Games n’hésite pas à reprendre telles quelles des séquences entières de niveaux en véhicules ou des mécaniques de boss de Turtles in Time. Encore une fois, ce n’est pas bien grave, je dirais même : bien au contraire. La plus évidente reste encore celle du combat contre le Chrome Dome (que je ne spoilerai pas), dont la technique et la mise en scène sont intégralement repiquées du jeu NES. Si vous avez déjà touché au jeu, vous reconnaitrez immédiatement et à vous le shot de nostalgie ; si comme moi vous découvrez avec Shredder’s Revenge, c’est très cool, car la mécanique était intelligente en 91 et reste intelligente en 2022. Ainsi, Tribute Games réussit là un petit exploit, celui de mêler dans un même titre une extrême nostalgie à grands coups de références et de citations, et retranscrire quasi tel quel le plaisir de la découverte au nouveau public, ne laissant presque jamais personne sur le carreau.
C’est, je pense, la meilleure manière de faire du rétro actuellement, encore plus quand le matériel de base est aussi connu et génère autant d’affect pour une partie de son public. L’usage de références est bien trop souvent un prétexte pour le gatekeeping le plus bête et méchant, et Tribute Games démontre avec TMNT qu’il est entièrement possible de se vautrer dans le fan service tout en se montrant accueillant envers son nouveau public. Certains studios feraient mieux de prendre des notes.
Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin
D’autant que cette accessibilité, disons, culturelle, s’accompagne d’une accessibilité en termes de mécaniques et de difficulté. Le jeu se traverse assez aisément en modes facile et normal (encore plus en coopération, il faut l’avouer) et a ainsi la meilleure utilité que je puisse trouver à un beat them all : être un parfait candidat de jeu canapé lors d’une visite familiale ou amicale. Avec ses décors et ennemis variés, son aventure assez courte pour ne pas s’essouffler et sa base de gameplay simplissime (sauts, esquives, chopes automatiques, coups faibles et coups puissants), c’est totalement le style de jeu que l’on peut mettre entre les mains de personnes plus ou moins novices afin de passer un bon moment en discutant.
Les acharné·es du Streets of Rage 4 de Lizardcube et Dotemu regretteront peut-être son manque de technicité et un feeling un poil moins nerveux, mais les modes de difficulté les plus élevés s’avèrent tout de même assez exigeants, d’autant plus quand on quitte le mode histoire pour se lancer dans l’arcade. C’est peut-être cela qu’on lui reprochera véritablement : de ne pas proposer grand-chose d’autre que la même aventure dans deux modes de jeu différents. Certes, chaque personnage dispose de ses propres coups et de sa fin personnalisée, mais à moins d’avoir des compagnons de jeu différents à chaque partie, parcourir sept fois d’affiler le mode histoire sera plus lassant qu’autre chose. Et ce ne sont pas les quelques missions annexes, simplistes et sans grand intérêt, qui viendront remettre une pièce dans la machine.
TMNT: Shredder’s Revenge a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur Switch, PS4 et Xbox One.
TMNT: Shredder’s Revenge est avant tout un pur fix d’amusement immédiat. Aussitôt démarré, aussitôt pris en main, il se permet au fil de l’aventure quelques folies et variations de gameplay, quelques petites fulgurances de difficulté et un rythme soutenu. Le titre de Tribute Games et Dotemu réussit le difficile grand écart entre titiller la nostalgie des trentenaires et quadras ayant grandi avec la licence, et accueillir comme il se doit un public encore étranger ou seulement neutre vis-à-vis des Tortues Ninja. On lui regrettera un aspect technique légèrement moins poussé qu’un Streets of Rage 4 et un contenu un peu léger si l’on se contente du solo, mais son mode coopération promet de belles heures de bagarre brainless et décomplexée entre ami·e·s.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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