Depuis quelques mois, le marché du jeu indé semble atteint par un tsunami de projets de simulateurs de villes tous plus ou moins inspirés. On pourrait reprocher à la tendance un manque d’originalité, avec en gros d’un côté les simulateurs de villes automatisées et de l’autre les clones de Cities: Skylines et de Banished. Et puis il y a Tinytopia et ses villes-diorama, qui prend une approche radicalement différente.
Il n’est pas anodin que Tinytopia soit le produit du studio argentin MeNic Games, dont tous les jeux précédents ont tourné autour de l’idée de produire des simulateurs « différents » : Sim City-like en 2D avec une physique réaliste, constructeur de structures dans les nuages ou encore gestionnaire de vie quotidienne où vous contrôlez des robots. Il n’est donc pas étonnant que leur première production majeure, Tinytopia, soit l’aboutissement de ces réflexions pour vous faire pratiquer la gestion municipale autrement. Si les développeur·euses s’étaient contenté·e·s de produire un simulateur de villes dans un espace réduit, on aurait vite oublié ce jeu sorti dans la grisaille de la fin des vacances d’été. Heureusement, Tinytopia possède plus d’un tour dans sa manche pour nous faire rester sur sa campagne principale, riche en surprises.
Dernière maison après le tourne-disque
il est très (très) largement recommandé de commencer Tinytopia par sa campagne principale et non pas par son mode libre, tant le jeu multiplie les couches de gameplays inhabituels dans un city builder. Cette campagne, longue d’une vingtaine de missions (comptez une demi-heure à trois heures par mission pour en boucler tous les objectifs) se divise dans les grandes lignes en deux types de villes à construire dans des espaces toujours miniatures.
Dans les premiers cas, il faudra reproduire très grossièrement une ville fonctionnelle dans un espace bonzaï plus ou moins familier (Paris, Shanghai ou encore San Francisco…), avec des objectifs précis liés à chaque lieu : construire un casino géant dans une ville balnéaire, fournir l’électricité à assez de monde dans un relief accidenté, ou encore construire un quartier comprenant un certain nombre d’immeubles luxueux. Dans le second cas, il s’agira de missions en « budget illimité » (vous n’avez pas à vous préoccuper des impôts et vous construisez ce que vous voulez) situées dans un environnement incongru et généralement impraticable : ville construite sur un tourne-disque en marche, sur une balançoire envoyant valser les maisons les moins stables ou encore à l’intérieur d’un pouce-pièce de fête foraine.
Si la logique des missions de villes « normales » reste assez proche des classiques du genre (construire des maisons, fournir des services et des infrastructures, récolter des impôts, gérer des crises), les missions spéciales misent davantage sur votre capacité de logisticien et votre vision d’architecte. C’est bien beau d’avoir un budget illimité, mais ce n’est pas pour cela qu’il est facile de faire une pyramide de maisons de plusieurs centaines de mètres de haut sans que tout s’écroule lamentablement. Si la variété s’estompe un peu au fil des missions, louons tout de même que l’alternance des deux propositions renouvelle sans cesse l’intérêt : aucune carte ne ressemble à la précédente. D’autant plus que la campagne a l’intelligence de dévoiler les différents bâtiments du jeu très progressivement, vous laissant appréhender lentement la mécanique centrale de Tinytopia : l’empilement et la fusion de bâtiments.
Laisse-moi mettre ton héliport sur ma caravane
Les premières minutes de Tinytopia peuvent décevoir face au peu de variété des bâtiments proposés : quelques types de maisons et de commerces, peu de sources d’énergie disponibles, des infrastructures minimalistes… Jusqu’à ce que l’on prenne bien en main la possibilité (qui devient vite une obligation) de fusionner les bâtiments pour en produire d’autres, plus performants. Par exemple, trois appartements soigneusement empilés deviennent un immeuble. Un immeuble surmonté de deux appartements devient un immeuble plus spacieux et luxueux. Autre exemple : un poste de pompiers offre une protection limitée. Mais trois postes collés les uns aux autres peuvent devenir une caserne fonctionnelle et couvrir une plus grande partie de la ville. Si vous ajoutez une piste d’atterrissage sur le toit, la caserne peut désormais éteindre des incendies via des hélicoptères spécialisés, etc.
Cette logique, déconcertante, est une manière de repenser complètement l’espace des simulations municipales. Tinytopia est un des seuls city builders à penser avant tout en termes de verticalité. Ici il n’est pas question de faire la ville la plus large ou la plus peuplée (les cartes sont de toutes façons trop petites), mais bien de réaliser un espace où la hauteur de chaque quartier est mise à profit pour offrir des services de manière optimale. Pas assez de place pour mettre une école au sol ? Pourquoi ne pas la mettre sur le toit d’un immeuble ? Vous vous sentez l’âme d’un savant fou de l’architecture ? Alors pourquoi ne pas mettre un immense parc de caravanes en pile désordonnée sur cette villa de luxe ? Et ainsi de suite, à la limite près que le jeu émule une physique relativement réaliste, qui fera rapidement écrouler vos tours les plus branlantes, vous forçant parfois à reconstruire un quart de votre ville sur un clic malheureux.
Tinytopia étonne par la variété des types de constructions déblocables dès lors qu’on a compris la logique, et par la variété des situations proposées pour les agencer au mieux. Un système d’aimant automatisé permet même de fusionner les bâtiments imparfaitement placés. Pas besoin d’agencer chaque structure au pixel près. On déplorera tout de même quelques petits écueils, comme une caméra placée en vue isométrique qui fausse souvent la perspective et tend à vous faire placer des bâtiments dans le vide, ou pas au sommet de la bonne maison. On s’y habitue en jouant avec la caméra (en qwerty sans possibilité de remaper les touches…), mais l’obligation de réparer cette perspective bizarre en abusant de l’outil de déplacement de maisons gâche un chouilla une expérience par ailleurs très originale.
Un jeu de gestion sans gestion
J’aurais du mal à définir Tinytopia comme un jeu « radical » dans son entièreté, même si son choix autour de la fusion et de la verticalité peut étonner. En revanche, il effectue UN choix délibéré particulièrement tranché qui pourra diviser selon votre profil de joueur ou de joueuse : il s’agit d’un des rares simulateurs de ville que je connaisse à totalement occulter la partie gestion. Dans Tinytopia, les problèmes d’argent sont réduits à portion congrue. Pour faire simple : spammer des maisons et des commerces suffit la plupart du temps à équilibrer vos comptes, le chômage se résout en un clic, et le bonheur de vos concitoyens peut être boosté en quelques clics pour bourrer le moindre espace vide de skate parks et de bacs de fleurs.
À vrai dire, pour peu qu’on arrive à comprendre les quelques trucs qui marchent à tous les coups, la dimension socio-économique de Tinytopia cesse complètement d’exister et on se noie dans l’argent au milieu de citoyens béats ravis d’habiter dans des piles de taudis cernés de commissariats. Ce simple constat fait de Tinytopia un jeu très facile, presque trop par moment, le manque cruel de challenge rendant les dernières heures de la campagne un peu soporifiques. J’ai beau avoir adoré le jeu, je ne peux hélas pas le recommander à ceux qui aiment les city builders pour leur amour des tableurs et des grands équilibres économiques, qui sont ici complètement absents du propos. Ceci dit, faire des tours de caravanes géantes pour les empiler sur d’autres tour de caravanes et faire un Megazord de trailer park au milieu d’un champ d’OVNIs est selon moi une activité assez distrayante pour me faire oublier l’absence d’une jauge pour régler les impôts et le financement des ambulances. À vous de voir.
Tinytopia a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
City builder à la philosophie différente de tout ce que nous avons vu jusque-là, Tinytopia est une grande réussite en tant que jeu de réflexion et de construction, en misant tout sur l’agencement logique et la verticalité des structures. On aurait peut-être aimé que cette simulation municipale en diorama prenne davantage soin de la partie « gestion » de l’affaire au lieu de la négliger complètement, donnant parfois l’impression d’un jeu sans véritable challenge ni épreuve qui pourra laisser froid certains puristes du genre.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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