Spécialisé dans « l’écriture de dialogues, la construction d’univers et de personnages », le studio canadien Copychaser Games lance avec Times and Galaxy son troisième jeu qui illustre avec brio les talents du studio.
L’année dernière, je commençais la critique de The Pale Beyond (et si vous pensiez en avoir fini avec moi qui parle de ce jeu, désolée ce n’est pas pour tout de suite) ainsi : « Il arrive parfois qu’on demande des jeux à tester et qu’on ait complètement oublié de quoi il s’agit lorsqu’on le reçoit. Si j’avais consulté le catalogue de l’éditeur Fellow Traveller, à qui je dois un nombre conséquent d’heures de jeu, ou que j’avais lu le synopsis, je me serais sans doute lancée dans l’aventure avec plus d’entrain, mais quand bien même ç'aurait été le cas, il m’aurait été impossible de finir l’aventure plus enchantée que je ne le suis. » Il se trouve que s’il s’agit de deux jeux bien différents, je pourrais reprendre mot pour mot cette intro et tout serait vrai dedans (et oui, c’est ce que je viens de faire).
Trial and Gossips
L’univers de Times and Galaxy ne semblant pas traversé par le questionnement du remplacement des êtres organiques et sentients par des robots dans le monde du travail, tout le monde doit faire des stages, robots compris. C’est une vision rafraîchissante d’une société absolument pas exempte de problèmes, mais où les questions de « race » et d’automatisation ne sont pas les enjeux principaux. Robot ou pas donc, et même premier robot reporter de la galaxie ou pas, il va falloir faire ses preuves au cours d’un stage d’environ deux semaines. Entre le très égocentrique éditorialiste, l’autre stagiaire qui ne rêve que de le voir échouer en passant par Copybot qui a l’obsession de la virgule bien placée, reporterbot va devoir décider quel type de journaliste il sera. La programmation ne fait pas tout.
Le déroulement est assez simple. Au début de chaque cycle (17 en tout) notre robot se réveille, discute avec les membres de l’équipage (oui la rédaction du Times and Galaxy est un vaisseau spatial, ce qui est : très cool et probablement le rêve pas si secret d’une partie de la rédac de The Pixel Post), récupère sa mission du jour, s’y rend en vaisseau, interroge les témoins, explore la scène et compose son article. Retour à la rédaction et on recommence. S’il est assez facile de faire un article équilibré pour ménager à la fois sa réputation et gagner en lectorat, pour peu qu’on se donne la peine de creuser un peu, on se rend vite compte qu’expérimenter ou faire des choix moins éthiques a aussi un intérêt et participe à la construction de l’univers et de la personnalité de reporterbot.
Times and Galaxy mise sur deux aspects en termes de gameplay. D’abord, la liberté, outre un nombre de cycles et certains événements fixes, il n’y a pas beaucoup d’obligations. Parler aux autres vous ennuie ? OK, vous n’avez pas à leur parler, c’est dommage, mais c’est possible. Vous voulez au contraire découvrir les secrets de chacun ? Faites-vous plaisir. Être sympa et flirter avec absolument tout le monde ? Pas de problème. Vous voulez écrire des articles à sensation au détriment de la véracité des faits ? Écoutez, aucune idée de comment se finit votre stage, mais a priori c’est possible aussi. L’autre axe, c'est l’incomplétude, il est impossible de tout voir, de tout faire et d’explorer toutes les possibilités en une seule partie. Loin d’être frustrant, puisqu’on termine l’aventure sans avoir l’impression d’avoir été brimé, cet axe ouvre la porte à une bonne rejouabilité et incite aux expérimentations.
La beauté du journalisme local… galactique
Les développeurs auraient pu faire le choix d’un fil rouge qui se dessinerait au cours des reportages et nous mènerait vers une sorte de méta-affaire, ou se concentrer sur les défis du journalisme moderne, à savoir jongler entre profits, fiabilité et conservation du lectorat, mais c'est une troisième voie qui se profile ici. Au travers d’histoires somme toute assez banales, ici un concours de chats, là un fait divers, là-bas les gagnants d’un concours qui se font arnaquer, se dessine un univers vaste, complexe et très vivant traversé de contradictions et de problèmes, mais où finalement chacun a sa place, grâce ou malgré ses bizarreries personnelles. Les auteurs chez Copychaser sont d’ailleurs, selon la page Steam du jeu, d'anciens journalistes avec « un amour profond du journalisme local et des connexions qu’il crée dans les communautés dans le monde » et ça se sent.
Des humains aux robots en passant par les Xeels, chaque personnage possède une personnalité et une façon de parler qui lui est propre. S’il arrive que les événements scriptés donnent parfois des dialogues pas tout à fait en phase avec le statut de vos relations, c’est un léger défaut que l’on pardonne facilement. Au niveau des relations entre les personnages, pas vraiment d’enjeux majeurs non plus. Chacun a ses aspirations, ses contradictions, ses craintes et ses joies et c’est « juste » ça que l’on découvre au cours du jeu… et ça suffit. Comme l’a déjà démontré Die Gute Fabrik et le reprouve T&G ici, des histoires à hauteur « d’humain » suffisent, si elles sont bien racontées, pour captiver et émouvoir. On peut tout au plus regretter le fait que vos relations avec les membres de la rédaction ne semblent pas influer beaucoup sur vos missions ni sur la direction générale du jeu, mais l'écriture est suffisamment prenante et le jeu juste de la bonne longueur pour ne pas devenir trop répétitif (une dizaine d’heures environ).
Ne se limitant pas aux visuels et à l’écriture des personnages, l'univers regorge de détails absolument dispensables au déroulement de l’histoire, mais qui rajoutent de l’épaisseur et de la texture, tel le drama de la fourmilière du bureau des stagiaires, les différents jeux de la salle de repos ou le distributeur à eau déprimé. Si les enjeux ne sont pas spectaculaires, ce n’est pas pour autant que l’histoire est dépourvue de fond. Elle est traversée par des questions d’appartenance, de choix, de prédestination, d’importance du journalisme et de ses dérives, de mainmise de grands groupes sur les médias et, au travers de Copybot, de l’importance de la grammaire pour articuler des idées et de la nécessité de parfois s’en affranchir. Ces problématiques sont abordées avec naturel au détour des dialogues et des histoires à couvrir et laissent au joueur ou à la joueuse la possibilité de tirer ses propres conclusions.
Times and Galaxy a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Dans un univers original et coloré bénéficiant d’une très chouette direction artistique et d’une écriture aussi soignée que rigolote, Times and Galaxy permet de toucher à différentes problématiques tout en mettant l’accent sur la construction d’univers et les personnages. C’est au moins la promesse d’une promenade réjouissante d’une dizaine d’heures dans la peau du tout premier robot reporter de la galaxie. Il faut tout de même prévenir que la musique de lancement risque de vous rester en tête pendant six mois, mais dans la mesure où c’est un morceau super catchy, je ne pense pas que ça soit un problème.
Les + | Les - |
- Un univers original, vivant et coloré | - Des événements scriptés parfois en décalage avec l'état des relations entre les personnages |
- Une grande liberté dans les interactions | - Pas de traduction française |
- Une belle ode au journalisme local |
BatVador
Traductrice ascendante topiaire qui aime les city builders, les dystopies et les jeux avec des gens déprimés dedans.
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