Il y a des événements qu’on regrette dans la vie : avoir déguisé un homicide en accident, avoir perdu un enfant lors d’un accident dont on se sent responsable, ou avoir joué pendant quelques heures à Those Who Remain en sont des bons exemples. Les deux premiers font partie du scénario du troisième et c’est plutôt de ce dernier dont je vais vous parler aujourd’hui.
Tout a commencé lorsque j’ai regardé le tableau des jeux par lequel les rédacteurs de The Pixel Post font les demandes pour leurs critiques. Ce jour-là, j’avais décidé de changer mes habitudes, de prendre des risques dans mes choix pour ces prochaines semaines pendant le confinement. Alors j’ai commencé à regarder les trailers des jeux pour lesquels personne n’était inscrit : Wildfire, trop pixel art, Reky, trop réflexion, Resolutiion, trop mauvais choix de titre pour le référencement sur Google, j’ai pas trouvé le trailer, Those Who Remain, de l’horreur psychologique, ça ce n’est pas du tout dans mes habitudes, c’est parti. Si le confinement aura permis à la nature de se soigner, il m’aura également apporté quelques heures de jeu vidéo tel qu’on ne devrait pas en faire.
Avez-vous déjà participé à un escape game ? Ne répondez pas, c’est un texte, ça ne sert à rien de me répondre. Si c’est le cas, imaginez que celui-ci se résume à : entrer dans une pièce, trouver un objet pour débloquer une porte, entrer dans la pièce d’à-côté pour trouver un objet, revenir dans la première pièce pour utiliser cet objet et … répétez cette mécanique pendant plusieurs heures, tout seul, dans le noir. Ajoutez quelques jump scares à tout ça et vous aurez une idée de ce que le jeu vous réserve en termes de sensations. Avouez que vous n’iriez pas payer une séance de ce genre plusieurs dizaines d’euros sans amis, un samedi où vous vous ennuyez. C’est un peu limité dans les mécaniques, mais on peut trouver des jeux très simples dans leur game design qui trouvent une profondeur grâce à leur narration, leur scénario intelligent, un level design inspiré ou une direction artistique qui sublime la simplicité de l’œuvre. Ici, ce n’est pas le cas mais alors vraiment non, pas du tout.
Une nuit en enfer, mais pas vraiment
Parlons de l’ambiance visuelle tout d’abord : il fait nuit, il y a du brouillard, et la ville américaine de petite taille dans laquelle se déroule notre périple est telle que vous l’imaginez déjà. Un diner, un poste de police, quelques maisons vides, un motel sur le bord de la route, une caserne de pompier, une bibliothèque, une église, un hôpital, une scierie (pas le pays, l’endroit où on coupe du bois), une station service, un supermarché et un bureau de poste. Le tout relié par rien, juste un tour de passe-passe avec un monde parallèle, puisque chacune de ces zones est indépendante des autres et qu’il sera impossible de retourner visiter une zone déjà faite. C’est fade, sans imagination, et vous aurez l’impression de vous balader dans n’importe quel univers de fiction qui se passe dans une petite ville américaine avec un nom qu’on ne retient pas, ici c’est Dormont, mais vous l’aurez oublié avant d’avoir fini de lire cette critique. Les intérieurs des maisons visitées se ressemblent trop et pourquoi les placards sont presque tous vides ? Est-ce que les habitants ont eu des promotions sur les placards et ont choisi d’en mettre trop par rapport aux objets qu’ils avaient à y mettre, peut être, mais peu importe, ça a juste pour effet de ralentir la progression sans rien apporter.
Un autre point visuel qui passe à côté : l’éclairage. Pour un jeu qui veut jouer sur la peur du noir, l’éclairage est important, mais on peut le voir, ce n’est pas évident de bien faire un éclairage dans le noir. Les lampadaires éclairent moins bien que la lune, la lumière d’un néon bien pâle en lumière directe nous éblouit lorsque celle-ci est reflétée dans un miroir sale qui ne reflète rien de la pièce dans laquelle il se trouve, un lustre qui éclaire péniblement à deux mètres alors qu’on le voit de loin… encore raté. Oui, la partie technique n’est pas au rendez-vous non plus, mais une technique limitée peut être masquée par une utilisation intelligente des ressources (lumineuses, par exemple), ce qui n’est pas le cas. À part pour l’idée de limiter les zones accessibles en mettant des ombres aux yeux brillants pour bien matérialiser les endroits trop obscurs à ne pas explorer sans avoir préalablement trouvé un moyen d’allumer la lumière (sous peine de décès brutal et immédiat).
Ennui de folie
Mais trêve de considérations techniques, on parle ici d’un thriller psychologique, il doit donc y avoir une histoire sombre qui se trame dans cette ville sans habitants et plongée dans l’obscurité, qui nous amènera à des réflexions sur l’homme, son parcours, ses sentiments, la dépression, le remord, … non en fait surtout l’ennui, juste l’ennui et pas grand chose de plus. Ah si, le sursaut, un peu trop d’ailleurs, comme l’ennui en fait. Edward, notre héros tourmenté, est un personnage fascinant de complexité, allez savoir pourquoi mais au bout de 5 minutes de jeu on comprend que sous cet aspect invisible (oui il n’a pas de reflet dans le miroir, même avec de la lumière), se cache un homme au passé trouble qui a des blessures secrètes et… en fait on comprend très vite qu’il a eu un accident de voiture dans un passé récent. D’ailleurs, on le comprend encore mieux lorsqu’on voit régulièrement un monstre le poursuivre, qui a des morceaux de panneaux de signalisation dans le corps et un phare de voiture à la place de la tête. Subtil, non ? Oui subtil c’est le mot qui convient pour un scénario qui tient sur un demi post-it et qui permet de relier des zones sans transitions grâce à un monde parallèle qui ne se justifie pas vraiment. Les monstres sont dans ce qui s’apparente à la réalité et dans le monde parallèle, mais pas toujours, bref pourquoi deux mondes ? Aucune idée, puisque ça ne sert pas le propos, ni le scénario. D’ailleurs, on peut parler du propos rapidement : juger les autres sans les connaître, ce n’est pas très bien quand même. Il aurait été intéressant de creuser le sujet mais visiblement l’autre moitié du post-it n’étant plus disponible, ils ne sont pas allés plus loin.
Mais reprenons le scénario. Edward découvrira assez vite que Dormont (vous aviez déjà oublié ce nom, j’en suis sûr), a été le théâtre d’un drame : la mort d’une enfant de 13 ans suite à une chute de vélo. De maison en administration, on comprend qu’elle venait d’emménager avec sa mère, et que les autres enfants la rejetaient et ont causé sa mort, en coupant astucieusement les câbles de freins dudit vélo. Cet homicide involontaire sera alors maquillé en accident pour ne pas faire de vagues, puisque les enfants en question étaient des fils de notables de la bourgade, et que la mère de la petite est une étrangère, après tout. Sans beaucoup plus d’éléments, le jeu nous fera juger les personnes impliquées dans cette supercherie avec des choix moraux qui n’ont aucun sens, et ajoutera un twist final particulièrement mal écrit (mais je vous laisse le découvrir, j’arrête le spoil ici). Voilà pour la partie ennui, il reste la partie sursaut. Cette enquête sera l’occasion de parcourir un train fantôme avec portes qui claques, ampoules qui explosent, bruits de pas à l’étage et autres éléments pratiques pour vous faire sursauter de manière réflexe tout en revivant des fragments du passé d’Edward, qui est assez peu intéressant (il restait un peu d’ennui en fait). Les ressorts du jump scare sont usés jusqu’à la corde et une bonne partie ne surprennent même pas, tant ils sont convenus et attendus. L’ajout sur la fin d’une histoire de sorcellerie qui tente de raccrocher maladroitement les wagons du récit ne rendra pas le jeu plus intéressant, et il vous faudra une certaine abnégation pour ne pas laisser tomber la manette avant d… désolé je m’ennuie trop, j’arrête la.
Those Who Remain a été testé sur PS4 via une clé fournie par l’éditeur.
Qu’est ce qu’il reste de ce jeu au final ? Quelques heures d’ennui dans un mélange de train fantôme et d’escape game seul dans le noir, une succession de clichés sur une trame scénaristique pauvre et avec un propos mal amené, ça fait beaucoup. Les quelques rares bonnes idées sont peu exploitées, et il ressort juste de ce jeu l’impression du suivi sans imagination d’un cahier des charges à peine rempli, pour des streamers qui crient et sursautent pour amuser leurs abonnés. On quittera donc sans regret cette petite ville sans personnalité et son héros qui lui ressemble. Ce choix regrettable fait sur la base d’un trailer m’a fait repenser à mes achats de jeux en fonction de leurs jaquettes uniquement, lorsque j’avais 8 ans. Finalement, le trailer est au jeu dématérialisé ce qu’était la jaquette au jeu Megadrive de fond de rayon : une manière de (mal) juger au premier coup d’œil un titre dont on regrettera le temps passé dessus.
JoK
J'aime les chiffres, tous les chiffres, et aussi les jeux vidéo mais pas tous
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