Premier jeu du tout petit studio Professor Space Games, Things Too Ugly nous met dans la peau d'un employé de bureau lambda dans le Mississippi des années 1980.
« I want shorter games with worse graphics made by people who are paid more to work less and I'm not kidding » (Je veux des jeux plus courts, avec des graphismes moins bien, faits par des gens qui sont payés plus pour travailler moins et je suis très sérieux·se »). Si on m’avait demandé le mois dernier ce que je pense de cette phrase, j’aurais dit que je suis 100 % d’accord avec ça, de toute façon mon ordinateur ne peut pas afficher les hautes résolutions d’une bonne moitié des jeux qui sortent, donc ça ne me punirait pas beaucoup. Mais en jouant à Things Too Ugly et en lisant les commentaires sur Steam, je me suis demandé si je n’étais pas un peu hypocrite.
Things too short
Parce que voilà, il ne faut guère plus de deux heures pour terminer Things Too Ugly, trois en poussant vraiment ou alors en ayant vraiment du mal à saisir la logique des puzzles. Une heure seulement pour certain·e·s. C’était bien, cela dit, j’ai trouvé ça très chouette, ça se tient bien du début à la fin, il y a un travail d’ambiance très cool (je reviens sur tout ça après) et j’aurais bien aimé que ça dure un tout petit peu plus longtemps, allez quoi juste une ou deux énigmes de plus ? Et comme moi, la plupart des commentaires de Steam trouvaient que c’était vraiment très court et certains recommandaient d’attendre qu’il soit soldé. Moi-même, je me suis demandé si je pouvais le recommander aussi chaudement que j’en avais envie en raison du ratio prix/durée.
Puis j’ai revérifié le prix et Things Too Ugly est à moins de 8 € (7,79 € même). Ça m’a posé question, pourquoi ça m’aurait paru difficile de payer ce prix-là, pour une expérience à peine plus longue qu’un escape game et au prix d’une place dans mon cinéma de quartier ? D’abord, évidemment mes ami·e·s, le capitalisme et l’inflation qui font que je suis pauvre et que j’ai beau ne pas avoir des oursins dans les poches, chaque euro m’est précieux. Mais aussi, je crois, une vilaine habitude de consumérisme qui s’est installée petit à petit dans mes habitudes, faisant ressembler mes paniers Steam en période de soldes à un unboxing Shein. C’est-à-dire une grande quantité de choses à tout petit prix. La comparaison s’arrête là, les jeux que j’achète ne sont pas de qualité Shein, ce qui rend peut-être la chose encore plus triste. Ces achats viendront agrandir mon backlog parce qu’évidemment, je ne vais lancer qu’une petite moitié d’entre eux et recommencer aux prochaines soldes. Vous-même, vous savez le nombre de soldes sur Steam et autres plateformes, vous voyez bien le problème. Et ça se comprend, comme pour tous les autres médias, il y a tellement de titres qui sortent, une offre tellement grande qu’on a envie de tout faire, d’avoir accès à tout. C’est devenu si normal d’avoir accès aux jeux vidéo en permanence. Et puis, c’est tellement la misère en ce moment qu’on a envie de se faire plaisir et comme on n'a pas de sous ben, on préfère rentabiliser.
Je dis on, mais je parle de moi et j’extrapole, ne prenez pas la mouche, je ne vous accuse de rien. Puis j'ai continué d'y penser et je me suis trouvé des excuses, le cinéma ce n’est pas pareil, je n’y vais que très occasionnellement et puis il faut beaucoup de gens pour faire des films… et puis j’ai admis qu'au fond, c'était pour la même raison que j’achète encore souvent de la fast fashion plutôt que des vêtements plus durables et plus écologiques, parce que j’ai envie d’avoir de la nouveauté et du choix et pas de réfléchir mille ans avant d’investir l’équivalent du PIB d’un petit pays dans une robe et qu’il m’arrive encore d’aller dans des grandes chaînes de restauration pas chères, parce que je préfère sortir plus souvent et pas juste une fois très exceptionnellement pour quelque chose d’exceptionnel. Parce que c'est toujours trop facile de ne voir que le prix et pas le coût humain, écologique et matériel de fabrication et de création des choses. Things Too Ugly m’a donc renvoyé dans la face mes mauvaises habitudes de consommation et le fossé inconscient qu’il y a entre ce que je dis et ce que je fais concrètement. Car finalement, si on retire le rapport durée/prix de l’équation, est-ce que ça ne les vaudrait pas complètement ces 7 € ?
Le juste prix
Mais avant d’aller plus loin, un petit point intrigue et gameplay quand même, sinon on ne sait même pas de quoi on parle. Nous sommes en 1986, quelque part dans l’État du Mississippi, à côté du Mississippi d’ailleurs, on le voit par la fenêtre du bureau où l’on entame notre premier shift de nuit pour l’entreprise TEREBRO. Notre job, c'est de relire des dossiers et rentrer des données pour évaluer les risques. En vrai, c’est un peu flou, mais on s’en fiche. Avec l'interphone qui permet de communiquer avec le superviseur, l'ordinateur, le petit poste de radio et les dossiers, nous voilà paré pour une nuit longue et ennuyeuse. Ou peut-être pas tant que ça, parce qu’il va falloir fouiller et lire les dossiers pour trouver les données à rentrer dans l’ordinateur. À commencer par le mot de passe de celui-ci. Très simple sur le principe, il va par contre falloir lire les documents à disposition en pensant bien à les retourner dans tous les sens, on ne sait jamais, et déduire les données à entrer dans l’ordinateur. Peu de gadgets, si ce n’est un genre de GPS primitif et un disque de décodage. Il m’a fallu un peu de temps pour saisir la logique interne, mais après ça roulait tout schuss vers la résolution, avec une ou deux bosses sur le chemin. L’histoire, elle, se forme au fur et à mesure de la lecture des dossiers tandis que l’on commence à relier les points entre eux.
Et donc, est-ce que ça les vaut ces 7 € ? Eh bien oui. Comme beaucoup de jeux de cette catégorie d'ailleurs. C’est vrai, visuellement, c'est assez sobre, un bureau des années 1980, la nuit, à côté d’une fenêtre qui donne sur le Mississippi traversé par un large pont métallique. Sans fioritures donc, mais avec une attention au détail, les Post-it, les affiches, les prospectus posent l’ambiance, de même que la radio dotée de différentes stations. S’il est vrai que ces dernières n’ont pas une programmation très longue, c’est suffisant pour la durée du jeu et franchement, c'est un ajout plaisant. Les acteurs vocaux sont très convaincants et si l’histoire n’est peut-être pas la plus originale, elle fonctionne bien et je ne lui en demande pas plus.
Il y a bien quelques petits reproches que je ferais à Things Too Ugly, d’abord, il est conçu pour être joué en une session et donc ne permet pas la sauvegarde, ce qui est un peu ennuyeux. Même sur une durée de deux heures, on peut avoir besoin de couper. Ensuite, il lui manque un petit système d’indices et la toute première énigme à résoudre est presque la plus difficile tant on n'est familier avec rien de ce qu’on a devant nous. Ceci dit, ce n’est pas insurmontable et ne vous laissez pas décourager par le « complex maths » de la description, il y a effectivement des calculs compliqués, mais il ne sera jamais question de les faire. Une fois la logique acquise, il devient assez facile d’avancer. D’une certaine façon, Things Too Ugly me rappelle The Operator avec ce thème de l’horreur d’être un employé de bureau, mais sans l’impression d’être un mouton remis dans le droit chemin par un chien de berger aussi mignon que zélé à la moindre tentative de faire autre chose que ce qui était prévu.
Donc oui, maintenant que j’y pense, ce n’est pas absurde de payer ce prix pour profiter du travail d’un tout petit studio (ici d’ailleurs une seule personne) qui fait bien ce qu’il s’est donné pour ambition de faire et propose un jeu solide. Finalement, pour être vraiment honnête et s'engager moralement, on devrait dire « I want shorter games with worse graphics made by people who are paid more to work less and I am ready to pay the price they are worth. I'm not kidding » (Je veux des jeux plus courts, avec des graphismes moins bien, faits par des gens qui sont payés plus pour travailler moins et je suis prêt à payer leur prix Je suis très sérieux·se »).
Things Too Ugly a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Things Too Ugly oscille entre l’horreur de travailler dans un bureau à faire un job quelconque pour une grande corporation et l’horreur littérale de choses inconnues qui rampent dans les ténèbres. Il n’a pas d’ambitions démesurées, mais ce qu’il s’est fixé de faire, il le fait bien, avec une logique dans les énigmes qui n’est pas vue et revue, c'est rafraîchissant. Je vous le recommande donc, mais rappelez-vous qu’il est court avant de vous lancer pour ne pas être contrarié·e à la fin.
Les + | Les - |
- Des énigmes bien ficelées | - Très court |
- Un chouette travail d'ambiance | - Pas de version française |
- Des acteurs convaincants | - Pas de système de sauvegarde |
BatVador
Traductrice ascendante topiaire qui aime les city builders, les dystopies et les jeux avec des gens déprimés dedans.
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