J’ai un peu hésité avant de savoir sous quel angle aborder le point and click chinois inspiré de la mythologie taoïste The Rewinder : j’ai des reproches tellement amers à lui formuler dans sa manière de présenter nombre de ses énigmes que j’ai failli me contenter de détailler ce qui en fait une plaie en termes d’accessibilité. Heureusement pour lui, The Rewinder reste aussi une formidable porte ouverte sur une mythologie souvent méconnue en Europe.
Reprenons du début : nous tenons là le premier jeu du studio chinois Misty Mountain Studio, en développement depuis 2017, plusieurs fois remarqué au cours de son développement pour sa volonté de proposer un jeu d’aventure sur un folklore souvent pastiché mais rarement exploré : celui du monde des morts chinois, bref le monde des talismans Tu, des incantations Zhou, et autres formules magiques Fulu (je vais pas faire semblant, je n’y connais rien non plus). On y incarne Yun, dernier des Rewinders, un sorcier spécialisé dans la délicate mission de retrouver des âmes perdues en les cherchant dans le temps et l’espace. Le voici mandaté par des puissances du monde des morts pour comprendre pourquoi le cycle de la réincarnation a été perturbé dans un village de pêcheurs reculé, qui semble désormais peuplé d’esprits vengeurs coincés sur place. Le début d’une quête passionnante, que Misty Mountain Studio a pris soin de rendre abordable même pour le novice en folklore chinois que j’étais. C’est alors que sont arrivés les premiers puzzles du jeu.
Ce que The Rewinder fait à merveille : me donner envie de dévorer des livres sur le folklore Taoïste
Le premier contact avec The Rewinder est un contact idyllique : on est rapidement plongé dans l’ambiance brumeuse et mystérieuse d’un village abandonné, bercé par une musique lente et nostalgique. Yun, assisté de Light, une sorte d’esprit-conseiller, va devoir faire toute la lumière sur les éléments ayant conduit les lieux à la ruine. Très rapidement, on est abreuvé de notions assez complexes sur les sanctuaires taoïstes, la manière dont fonctionne la vie, la mort et la réincarnation, et les différents types de fantômes et d’esprits liés à cette mythologie. On découvre vite que le jeu est livré avec un superbe codex évolutif expliquant simplement mais de manière complète les différentes notions rencontrées à mesure qu’on y est confronté. On est donc jamais perdu, même quand l’histoire aborde sur le ton de la conversation les liens entre la mort, le passé, le monde des esprits ou encore le bestiaire légendaire local.
De plus, le pouvoir central de Yun consiste à pouvoir voyager dans le temps et dans une certaine mesure l’espace pour pouvoir revivre certaines scènes-clés ayant mené à la catastrophe du village. Lors de ces phases de jeu, absolument exemplaires, The Rewinder met en scène le pouvoir principal de son personnage en nous permettant d’effectuer des « remix » des souvenirs des villageois. D’une part en leur « volant » certaines pensées (un villageois qui pense à un proche disparu pourra par exemple générer la pensée « Tante Huang n’est plus là »). D’autre part en « inspirant » des idées à des personnes indécises.
Un exemple concret : dans une scène, une catastrophe est causée dans le passé par la corde de pipa d’un musicien qui casse au même moment où une femme trébuche sur un sac de marchandises abandonné au milieu du chemin. Toute la logique de l’énigme consiste donc à faire en sorte que d’un côté, un marchand bouge ce sac au bon moment pour éviter l’accident, tandis que de l’autre côté le musicien ait l’idée de changer son instrument avant le concert sans se faire repérer par le chef de la troupe de musiciens. Quand un souvenir a été correctement « remixé », ouvrant vers un meilleur futur, les âmes perdues concernées par la scène sont retrouvées, et une partie de la ligne temporelle est « réparée », révélant ainsi une partie de la vérité recherchée par Yun et Light dans leur périple.
Cette mécanique vous permettra d’explorer les quelques lieux (deux villages, une montagne, un temple…) de The Rewinder à différentes époques et dans différents « états », afin de comprendre différents aspects du scénario, et de découvrir différents aspects du folklore local. On découvre par ailleurs que si le fond de l’histoire reste assez simple (une affaire de vol, de trahison, d’objet maudit et de sacrifice qui ne révolutionne pas le genre), l’intrigue est parcourue de nombreux rebondissements bienvenus, et bénéficie d’une mise en scène d’une efficacité redoutable tout au long des huit heures dont vous aurez besoin pour finir le jeu. Le problème, c’est que les autres types d’énigmes de The Rewinder font assez pâle figure au regard de ces séquences dans le passé.
Ce que The Rewinder rate complètement : prendre en compte l’accessibilité dans ses énigmes tout au long du jeu
Une demi-douzaine de séquences pour réparer le passé, c’est au final assez peu au regard de la bonne vingtaine d’énigmes basées sur des mécaniques beaucoup plus classiques qui ponctuent l’essentiel du reste du jeu. En soi, pourquoi pas : ce n’est pas le premier point and click à multiplier les séquences de codes secrets, ouvertures de cadenas, chasse aux objets cachés, tangrams à résoudre et autres puzzles mathématiques. Mais voilà : il faut prévenir les joueurs et les joueuses intéressé·es par le propos du jeu que The Rewinder ne fait, en la matière, que très peu d’efforts d’accessibilité, contrairement à beaucoup d’autres jeux du genre ces dernières années.
Je m’explique : si les premiers puzzles rencontrés dans le jeu bénéficient d’un système d’aide et d’indices assez bien pensé (vous pouvez cliquer sur Light qui vous donnera des indices pouvant aller jusqu’à une explication de la mécanique principale d’un puzzle), très rapidement, cette aide se fait plus rare, voire absente. Entendons-nous bien, je ne pense pas que la plupart des jeux d’aventure devraient nécessairement proposer une mécanique de résolution automatique des puzzles, à l’image de ce qui est souvent vu dans les jeux Daedalic, par exemple. Ce choix est, je pense, à la discrétion des développeurs. Mais The Rewinder m’a bloqué à plusieurs reprises en raison de ce que je considère être des erreurs de game design en la matière.
J’en parlais à propos d’un autre jeu sorti cette année, mais le point and click est l’un des rares types de jeux vidéo qui peut être facilement apprécié par des personnes à mobilité réduite, malentendantes, etc. Pas question pour quelqu’un n’ayant pas l’usage de ses deux mains de jouer de manière facile à Dark Souls ou Super Meat Boy. En revanche, un visual novel, normalement, ça passe. On peut donc regretter que The Rewinder propose, sans assistance ni mécanique de résolution alternative ni possibilité de les passer automatiquement, des puzzles basés sur le son, les réflexes ou encore les couleurs.
En tant que daltonien, il m’a par exemple été impossible de terminer sans solution un puzzle de coloriage (comme si le coloriage avait un intérêt diégétique…) consistant à reproduire en symétrie un masque de couleur en utilisant des mélanges de couleurs… que j’étais incapable de reproduire exactement parce que brun clair et rouge terne, pour moi, c’est exactement pareil. Le jeu aurait été exactement le même en retravaillant un minimum ces énigmes pour les rendre plus abordables pour les personnes concernées. Vraiment, il est temps que les studios réalisant des jeux d’aventure en prennent conscience une bonne fois pour toutes : non, tout le monde ne peut pas effectuer simplement un QTE ou répéter une séquence musicale sans aide visuelle.
The Rewinder a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch.
Pour tout vous dire, je trouve extrêmement dommage qu’en 2021, un point and click fasse à la fois autant d’efforts pour traiter son sujet à fond (une découverte en profondeur des mythes et légendes liés à la réincarnation et à la sorcellerie en Chine ancienne), prenne la peine d’intégrer à son gameplay une mécanique centrale de voyage dans le temps et de remix d’événements à faire pâlir Ghost Trick et Remember Me… et se permette dans le même temps d’enquiller des séquences soporifiques de points à relier et des puzzles quasiment insolvables pour peu que vous soyez daltonien, dyscalculique ou malentendant. The Rewinder aurait dû être l’un des meilleurs jeux jamais produits sur le thème de l’altération du passé et des souvenirs, mais finit en fourre-tout un peu laborieux diluant sa formidable idée centrale dans un catalogue de puzzles désuets. Quel dommage, à très peu de choses près, The Rewinder aurait pu être l’un des meilleurs jeux d’aventure sorti cette année !
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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