The Phantom Fellows est un point and click rétro développé en solo par Paul Korman. S’il a des qualités indéniables, il risque de laisser de côté tout un pan du public peu sensible à la nostalgie et fatigué par son côté très bavard.
Comment parler d’un jeu qu’on n'a pas aimé, lorsque les raisons pour lesquelles on ne l’aime pas sont éminemment subjectives et donc assez injustes ? Je veux dire par là que si le jeu est complètement raté, bugué, que le propos de fond est déplaisant ou que c’est tellement moche qu’on n’a pas envie d’y jouer, c’est facile. C’est facile aussi si la raison pour laquelle on n’aime pas un jeu, c'est parce qu’il est trop loin de sa zone de confort. Mais quand ce n’est pas le cas, c’est autrement plus épineux. Parce que voilà, en moins de quinze minutes, j’étais agacée par The Phantom Fellows et ça m’a pris 8 heures pour le terminer.
Une solide copie
Comme beaucoup de gens, j’ai eu ma période edgy pendant laquelle j’étais très critique de tout et quasiment rien ne trouvait grâce à mes yeux. J’en suis revenue et tant mieux, c’était mauvais pour ma tension. Ces temps-ci, je combats ma tendance naturelle au négatif en me forçant à prendre en compte les points positifs. Étrangement, ça n’a pas été difficile d'en trouver à The Phantom Fellows, car c’est un jeu qu’on pourrait qualifier de compétent. Il se tient du début à la fin, les personnages sont cohérents et suffisamment développés pour qu’on ait un peu l’impression de les connaître. La DA, même si elle n’est à mon sens pas très adaptée à ce type de jeu, est soignée et plutôt jolie, la musique pose une ambiance et les dialogues sont par moments très drôles. Les puzzles ne sont pas tous d'une grande originalité, mais ils évitent l'écueil d'être complètement absurdes et de nécessiter d'avoir la soluce sur les genoux, ce qui est éminemment appréciable.
J’ai constaté ça dès le début et je n’ai absolument pas changé d’avis à la fin. C’est bien réalisé et il semble qu’il y ait plusieurs solutions aux puzzles et pas mal de choses annexes à découvrir. Si, pour des raisons sur lesquelles je reviendrai plus tard, je suis passée à côté de tout un pan de l'histoire, le fait que je n’ai débloqué que le tiers des achievements donne du crédit aux promesses faites par le développeur. Et malgré tout ça, la sauce n’a pas pris. Parce que voilà, si c’est très subjectif, The Phantom Fellows avec sa vibe nostalgique à outrance, ses tartines de textes et ses relations pas bien saines entre les personnages m’a complètement laissée de côté.
Nostalgie ou masochisme ?
En termes de nostalgie d’abord, tout y est, de la DA à gros pixels au gameplay qui nécessite de sélectionner sans arrêt ses actions, à la dynamique du duo de personnages principaux, c’est quasiment un cas d’école. Le développeur parle d’ailleurs de ses influences ici et co-anime un podcast dédié à l'âge d'or des jeux d'aventure, je n’invente rien. Seulement voilà, ces jeux-là, je n’y ai pas joué, et je n’ai pas particulièrement la nostalgie des jeux de mon enfance. Je me demande d’ailleurs toujours si pour évoquer des souvenirs plaisants du passé, on est obligé d’en garder les aspects pénibles et de prétendre qu’on aimait bien ça ?
Prenons un exemple pour illustrer cela si vous voulez bien. Le développeur de The Phantom Fellows jouait aux point and click Sierra et Lucas Art dans sa jeunesse et moi, je jouais à Pharaon. C'est un jeu que j'aime toujours autant malgré (peut-être à cause de) ses défauts et j’ai été ravie du remake tout en me posant la question de sa pertinence. Pharaon (et quelques autres titres similaires de la même époque) utilisait un système de marcheurs pour desservir les maisons en services et recruter des ouvriers, une mécanique bancale tant les marcheurs étaient idiots et devaient être circonscrits en permanence par des barrages routiers. Cette mécanique a été vite abandonnée, pour toujours, dans les city builders suivants (et une alternative est proposée dans le remake) au profit d’un système de zone couverte par les bâtiments, beaucoup plus fonctionnel et confortable, et sérieusement : tant mieux. Ici, par exemple, le fait de devoir sélectionner l’action à effectuer se met en travers de la fluidité du jeu, alors que de nombreux point and click se sont depuis longtemps départis de ce genre de mécanique pour lui préférer un curseur unique qui laisse le jeu décider ce qu’il est pertinent pour votre personnage de faire à ce moment-là (avec éventuellement même la possibilité de décider de prendre ou pas un objet via une option de dialogue).
J’ai eu envie de crier à chaque fois que j’avais oublié de re-sélectionner l’action dialogue et qu'Oliver me décrivait Englebert ou le mur. De plus, l’action "regarder" serait à la fois relativement superflue et beaucoup plus pertinente si un autre choix de DA avait été fait. Superflue, car les gros pixels ne m’auraient pas empêchée de distinguer précisément les objets, et plus pertinente, car en percevant correctement un objet, j’aurais pu souhaiter avoir l’avis d'un des personnages sur son utilité. En outre, utiliser cette action occasionne des lignes de dialogues supplémentaires et dans un jeu déjà très bavard, on frôle l’overdose. Je ne l’ai quasiment pas utilisée, ce qui explique a priori pourquoi je suis passée à côté de tout un pan du jeu.
Social Akwardness Simulator
Car oui, ça cause tout le temps. Tout est matière à dialogues, bons mots, plaisanteries, références… la quantité avant tout. Encore une fois, c’est éminemment subjectif, mais s’il m’est arrivé de trouver certaines lignes de dialogue très drôles, l’ensemble m’a fatiguée, principalement parce que je n’ai pas réussi à trouver les personnages intéressants ou pertinents.
Oliver est incroyablement inapte socialement et très étrange, il y a des raisons à ça, à sa place, je ne ferais pas mieux. Englebert (le fantôme) est moins étrange, mais il est relativement désagréable envers Oliver, au point à mon avis de lui infliger au moins de graves problèmes d’estime de soi. Et si d’ailleurs, on explorait cette dynamique, je n’aurais pas grand-chose à y redire, mais non, les éternelles réflexions dépréciatives d’Englebert sont excusées à la fois par le fait qu’Oliver est vraiment un gigantesque crétin et parce qu’au fond Englebert l’aime bien donc j’imagine que ça excuse tout.
Et puis et peut-être surtout, The Phantom Fellows n’invente ni ne renouvelle rien. Une équipe d’un vivant et d’un fantôme qui enquêtent ? Déjà vu. Un duo mal assorti et déjanté ? Déjà vu aussi. Des point and click hommages/nostalgiques ? Ce n’est pas ce qui manque. Est-ce qu’une œuvre doit réinventer le monde ? Pas nécessairement, mais le manque d’originalité de l’ensemble rend les défauts encore plus saillants. Je repensais en y jouant, par traumatisme/à cause de la mention des jeux Sierra/les deux, au reboot de Leisure Suit Larry en 2018. Écoutez, ma prof de philo disait que toute référence est bonne à prendre et j’ai dû y jouer, donc je le recaserai à la moindre occasion et vous ne pourrez pas m’en empêcher. Si j’ai des choses à dire sur la personnalité donnée à Larry dans cette version et la pertinence de déterrer cette licence, il faut quand même souligner que tout en gardant un chara design, une idée et une vibe clairement rétro, qui rappellent franchement les points and click des années 2000 (pas la même période, je sais), il propose un confort de jeu à des années-lumière des anciens épisodes. Ce qui est d’autant plus logique que contrairement aux références de The Phantom Fellows, s’il y a bien un truc qu’on peut reconnaître à ce bon vieux Larry, c'est bien d’avoir suivi les évolutions du médium.
The Phantom Fellows a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Alors, comment parler d’un jeu qu’on n’a pas aimé ? Je ne sais toujours pas vraiment, sans doute comme ici en essayant de souligner la subjectivité de la chose pour ne rien enlever au travail effectué. Dans tous les cas, The Phantom Fellows semble plaire aux quelques reviewers sur Steam et c’est tant mieux. Quant à moi, ç'aura été l’occasion de réfléchir un peu sur mon rapport à la nostalgie et sur la subjectivité des avis et c’est déjà pas mal. Et puis, par moments, j'aurai quand même bien rigolé.
Les + | Les - |
- Une jolie DA... | - ... qui se met parfois en travers de la lisibilité |
- Une intrigue et des personnages cohérents... | - ... mais pas toujours très originaux |
- Des dialogues très rigolos... | - ... mais en très très grande quantité |
BatVador
Traductrice ascendante topiaire qui aime les city builders, les dystopies et les jeux avec des gens déprimés dedans.
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