Premier jeu de l’année pour moi et premier jeu du studio Whalestork Interactive, The Night is Grey promet des animations à la main, un storytelling innovant et une intrigue passionnante. Malheureusement, s’il propose de bonnes idées, il n’arrive pas vraiment à livrer l’expérience promise en raison de choix de design étonnants pour un point and click en 2024.
The Night is Grey a été une expérience frustrante. Frustrante parce qu’il s’en est fallu de peu pour que le seul point de contention soit le message sous-jacent qui est, à mon sens, soit pas assez clair, soit douteux. Je sais bien que ce n’est pas un point mineur, mais si l’expérience avait été plaisante de bout en bout, j’aurais simplement pu conclure à un désaccord politique (au sens large) et prévenir sans dévoiler le twist, mais ce n’est pas le cas. Les puzzles faciles, mais peu intuitifs, et des dialogues parfois inutiles doublent sans raison la durée du jeu et en font oublier les bons points.
Point and click jusqu'au bout de la nuit
Il fait nuit, un homme barbu d’un âge indéfinissable, entre trente et cinquante ans, surgit, essoufflé, des buissons. Il est perdu en forêt, des loups bloquent le passage et il veut rentrer chez lui. Cet homme, c’est Graham et c’est le protagoniste que l’on va guider au cours du jeu. Entre son estime de soi au ras des pâquerettes et sa vue qui ne vaut pas beaucoup mieux, Graham n’est pas un héros et on sent bien que la nuit va être longue. Dès le début, Graham rencontre une petite fille esseulée dans une maison isolée au fond des bois. Sa mère partie remettre en marche le générateur est introuvable et l’enfant, plongée dans le noir, ne fait, à raison, pas confiance à Graham. Il va donc falloir remettre l’électricité en marche avant de décider de quoi faire avec Hannah. Une fois l’électricité remise, Graham va décider d’emmener la petite chez ses grands-parents, en empruntant un chemin détourné et compliqué pour éviter les loups. Entre mine abandonnée, parc déserté et forêt sombre, on comprend en filigrane et à la lecture de divers documents que la région est rongée par une catastrophe écologique qui ne dit pas son nom. En plus de l’environnement et du stress causé par la situation, on se rend vite compte que Graham a, lui aussi, des problèmes. Au fil des dialogues, on lui devine une enfance très difficile. C’est tout ça, ainsi que la relation avec Hannah, que The Night is Grey entend explorer. Mais comme je le disais plus haut, malgré de bonnes idées et une ambiance prenante, il n’y arrive jamais tout à fait.
La structure est celle d’un point and click tout ce qu’on fait de plus classique. On se déplace en cliquant, on collecte des objets qu’on assemble, on résout des situations et des puzzles et on avance. J’aime bien les puzzles en général, pas que je sois douée à ça, mais j’aime bien que même les jeux narratifs soient interactifs, ça me permet de rester concentrée. Je pardonne donc volontiers beaucoup aux puzzles, même les moins inspirés. Hélas, ici, le problème n’est pas tant qu’ils ne soient pas inspirés, encore que beaucoup aient une forte saveur de déjà-vu, c’est que pour tout faciles qu’ils soient, ils sont souvent très peu intuitifs. Ne pas trouver la solution d’un puzzle, c’est une chose, mais être bloqué trente minutes parce qu’on ne comprend pas ce qu’il faut faire, c’est autre chose. Il semble qu'au lieu de suivre l'évolution des point and click en matière de confort de jeu et de logique des dernières années, The Night is Grey a tenté de tout simplifier au maximum, parvenant seulement à rendre le tout un peu confus et lourd. Les documents trouvés et consultés ne sont stockés nulle part dans l’inventaire. En cas de doute, il faut donc retourner à l’endroit où ils se trouvent. Parfois, on tourne en rond en cherchant un objet parce qu’on a fouillé tous les endroits, mais on n'a pas pensé à utiliser le clic droit qui permet d’observer un objet, ce qui permet ensuite de débloquer une interaction. On en fait des allers-retours, ce qui est d’autant plus frustrant qu’on doit subir des écrans de chargement de quelques secondes à chaque changement de décor.
Nuit blanche, bilan gris
Du point de vue narratif, il n’y a qu’une vraie conclusion à l’histoire et c’est là que va le jeu, que vous le vouliez ou non. Et même si j’aime la rejouabilité et les choix, je préfère une histoire bien racontée et des personnages bien écrits qu’un ensemble confus. Sur ce tableau, le bilan est aussi mitigé. D’un côté, il y a plein de bonnes idées, les commentaires de Graham sur la douzaine d’objets absurdes qu’il a désormais dans les poches et l’absurdité de la situation, la relation entre Graham et Hannah qui est difficile, car Graham ne sait pas s’y prendre et manque visiblement de patience, la volonté de ne pas tout policer : Graham jure, le langage est plutôt adulte de même que les thèmes, etc. Les décors sont plutôt beaux, les documents que l’on trouve et qu’on peut lire sont bien écrits et permettent de bien saisir la situation et le décor dans lequel on évolue. Dans l’ensemble, l’atmosphère, les personnages et les animations sont réussis. J’aurais donc voulu que les développeurs se concentrent là-dessus plutôt que sur les puzzles, car malgré les bonnes idées, souvent la mayonnaise ne prend pas complètement. D’une part, parce que les allers-retours inhérents à la structure cassent le rythme, mais aussi parce que les dialogues ou réflexions de Graham manquent parfois un peu de naturel, comme si on s’était senti obligé de mettre des blagues salaces ou des remarques dépréciatives alors qu’il n’y a pas vraiment de raison à ce moment-là. Pour vraiment en profiter, et à moins d’adorer les puzzles, le faire avec une solution à côté est probablement la meilleure façon de faire.
On s’en doute, car c’est souvent le cas dans ce type de jeu, il a un twist que je ne révèlerai pas, mais qui éclaire la situation sous un autre angle. Sans dévoiler de quoi il s’agit, je suis arrivée à la fin du jeu confuse. Qu’on se mette bien d’accord, j’ai compris l’histoire, ça ce n’est pas un problème, mais je ne suis pas sûre de ce que le jeu veut dire avec ça. J’ai deux interprétations et l’une me fait dire que ça n’a pas été tout à fait assez creusé pour se tenir et l’autre me met à l’aise parce que je trouve l’idée sous-jacente douteuse. Je ressors donc de mon premier jeu de 2024 frustrée. Frustrée, parce que ce qu’on voit dans The Night is Grey me fait penser que Whalestork Interactive pourrait faire tellement mieux.
The Night is Grey a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Malgré de bonnes idées, des beaux décors et animations et une ambiance réussie, The Night is Grey ne parvient pas à offrir l’expérience voulue en raison de puzzles peu inspirés et peu intuitifs, de choix de design discutables et d’un message un peu brumeux. Il ne manque pourtant pas grand-chose pour en faire un jeu solide et on espère que le studio évitera ces écueils dans ses prochaines productions.
Les + | Les - |
- Une jolie DA | - Des puzzles pas inspirés du tout |
- L'impact des différents traumas des personnages sont visibles | - Des écrans de chargement tout le temps |
- Un propos pas très clair |
BatVador
Traductrice ascendante topiaire qui aime les city builders, les dystopies et les jeux avec des gens déprimés dedans.
Articles similaires
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024
Great God Grove - Queer et élastique
nov. 11, 2024