La proposition de gameplay peu commune et la jolie patte visuelle de The Magnificient Trufflepigs attirent l’œil, mais a-t-il ce qu’il faut pour ressortir de la masse de plus en plus dense des walking sim narratifs ?
Après avoir mis un pied dans le jeu vidéo avec le curieux Airplane Mode de Bacronym, la chaîne de télévision AMC (et, au passage, tout le network qui l’accompagne) continue sa tentative de diversification, invoquant cette fois l’aura indé respectable d’Everybody’s Gone to The Rapture. Studio britannique fondé par Andrew Crawshaw, designer du titre de The Chinese Room, Thunkd entend marcher sur un même sentier narratif avec The Magnificient Trufflepigs, à une époque autrement plus accueillante pour le genre du walking sim qu’il y a six ans. Autrement plus exigeante, aussi, à l’heure où les récits du jeu vidéo commencent, bon an mal an, à sortir des clichés imposés par le cinéma. C’est un peu le problème qui se pose ici, alors que le jeu arrive par ailleurs à se démarquer par sa proposition de gameplay ténue.
Le cochon devenu truffier
Une petite ville, presque un village, de la campagne anglaise a connu l’effervescence il y a une quinzaine d’années lorsqu’une petite fille prise de passion pour la chasse aux métaux est tombée sur une boucle d’oreille en or, perdue dans l’enclos d’un fermier voisin. L’événement était sur toutes les lèvres : même le journal local en avait fait sa une. Le temps a passé et Beth, sur le point de se marier, avec la direction de l’entreprise familiale en ligne de mire, est prise d’une montée de fièvre : avant que sa situation n’évolue et que le corps de ferme ne soit détruit, ne serait-il pas temps de retourner dans les terrains en friche et partir à la recherche de la deuxième boucle, qui viendrait compléter la paire jusqu’ici incomplète ? Ayant tout juste une semaine pour la trouver, Beth demande à Adam de l’aider à quadriller le secteur, détecteur de métaux dans une main, talkie-walkie dans l’autre. Mais elle et lui partagent une histoire commune, que pourraient dévoiler leurs trouvailles déterrées.
Les débuts de The Magnificients Trufflepigs sont intrigants. Après une introduction nocturne où les bases trouées de l’histoire à l’œuvre sont présentées, on plonge directement dans le vif du sujet. Ce lundi matin est ensoleillé, et dans l’abri en pierre au toit défoncé dans lequel on est (dans la peau d’Adam) se trouvent une pelle, une truelle et, passée la porte, le détecteur de métaux qui nous accompagnera toute la semaine. La courte boucle de gameplay va se dérouler gentiment à cet instant : une fois entré dans un enclos, il va falloir marcher de-ci de-là (en ligne droite c’est plus simple, nous souffle Beth) en espérant qu’un bip résonne ; on est tout de même aidé par un indicateur en haut de l’écran qui suit le mouvement de balayage du détecteur. Une fois la source trouvée, un coup de pelle, trois de truelle et le trésor est à nous. L’enchaînement automatique des manœuvres de déterrage simplifie au mieux la prise en main, tout comme le rappel régulier des touches à utiliser ou, plus en lien avec la diégèse, la marche ralentie une fois le détecteur pointé vers le sol, pour celles et ceux qui ne seraient pas habitués à la vue à la première personne.
On ne sait pas à quel point AMC donne de l’importance à sa jeune incursion dans le jeu vidéo mais la chaîne de télévision semble y croire un minimum, au vu du trailer en live action réalisé pour l’occasion – une pratique qu’on n’avait plus l’habitude d’observer. Pensé pour être terminé en une session ou deux, avec une prise en main facilitée et une direction artistique «cartoon réaliste» assez attrayante, The Magnificient Trufflepigs donne l’impression de s’adresser à un public large et potentiellement non-joueur, peu à même de connaitre les codes du média, contrairement à ceux plus traditionnels du cinéma et des séries télé. C’est malheureusement à ce niveau que le titre de Thunkd déçoit et manque de se démarquer.
L’angoisse du détecteur de métaux face au talkie-walkie
On en trouve, des bricoles rouillées, dans les différents terrains visités (un par jour), et c’est peu dire que le plus clair de notre temps est passé à lire et écouter les échanges entre Beth et Adam, quitte à ce que ça ralentisse le rythme du jeu – on ne peut pas se servir du détecteur et du talkie-walkie au même moment. L’idée au centre du titre, la découverte d’objets qui entraîne l’échange, est en soi très intéressante. Les deux personnages sont comme confrontés à un passé qui surgit et qui vient nourrir l’imaginaire de la ferme, du village et de ses habitants : des rumeurs de disparition courent, va-t-on trouver une preuve de fuite ; un homme est mort inexplicablement dans son champ, ce vieux couteau serait-il l’arme du crime… Un mécanisme assez plaisant, que vient enrichir une légère couche de narration environnementale, mise en avant par la possibilité de prendre des éléments du paysage en photo.
Très rapidement, Beth se retrouve au centre des conversations et c’est dans la dynamique de l’histoire même que The Magnificient Trufflepigs traîne la patte. Plusieurs thèmes assez rares comme le manque de confiance en soi, les interrogations face à l’avenir, la rivalité fraternelle, le rapport à l’enfance, ont beau être abordés, le naturel de la discussion parait être forcé par la nécessité du dramatique et en devient assez emphatique. Ce sentiment est renforcé par le doublage des acteurs (Luci Fish et Arthur Darvill), à qui on a demandé de forcer le trait, certainement pour compenser le manque d’incarnation des personnages à l’écran (on ne verra jamais plus qu’un bras). Surtout, alors qu’on croyait en être épargné, le twist final apparait avant tout comme un artifice de narration tout à fait inconséquent, qui fait, de plus, ressortir certaines maladresses scénaristiques croisées auparavant, destinées à ne pas éventer cette révélation d’une fadeur à en étonner Marc Levy. Certes, ce point de bascule factice n’efface pas le potentiel des thématiques perçues auparavant, mais il en souligne avant tout les manques.
Un dernier point interroge dans le prolongement de cette superficialité narrative qui dessert son propos. En-dehors des séquences de recherches d’objets, certaines scènes, à l’image de l’introduction, laissent les personnages discuter entre eux, dans une voiture à l’abri de notre regard. Durant ces scènes, la caméra est incapable de tenir en place, enchaînant les mouvements aériens et travellings autour du véhicule, comme si les plans avaient été déterminés aléatoirement. Réfléchir à leur signification aurait au contraire donné plus de profondeur au récit, à l’inverse de cet enchaînement abscons. À croire que l’équipe voulait contrebalancer le statique du dialogue. Les plans fixes ne vont pas manger les joueurs et joueuses, aucune inquiétude à avoir. Là, difficile de s’attacher à l’histoire si intime qu’on nous raconte lorsque la mise en scène se montre aussi impersonnelle.
The Magnificient Trufflepigs a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également prévu sur Switch.
The Magnificient Trufflepigs n’incarne pas tant le nouvel étalon du walking sim qu’une possible nouvelle étape de l’industrialisation du genre. Dans un futur proche, on ne serait pas étonné de voir fleurir une succession de titres calibrés pour un large public, ayant pour eux une durée relativement courte, une histoire touchante, une jolie gueule et une feature de gameplay simple mais bien à eux. En soi, ce ne serait pas forcément une mauvaise chose. Mais on aimerait quand même que la narration ne suive pas les travers de ce processus de production à la chaîne, résultant à une certaine fadeur et une uniformité des récits. Aujourd’hui, c’est une expérience agréable à parcourir, teintée d’une occasion manquée. Demain, il faudra faire mieux au risque de nous voir passer à autre chose.
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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