Fusion des esprits bouillonnants des créateurs de la série Danganronpa et Zero Escape, The Hundred Line -Last Defense Academy- est un visual novel mâtiné de tactical RPG aussi étrange que brillant. Même si, et cela peut s'avérer être un gros frein selon vos habitudes de gameplay, il va vous demander énormément de temps.
Il y a des jeux faciles à expliquer. Par exemple, Pools, c'est facile : vous êtes dans des piscines qui font peur et il faut en sortir. Il y a des jeux difficiles à expliquer. Sultan's Game, c'est un jeu de cartes mais aussi de gestion inspiré des contes orientaux dans lequel vos tirages et votre répartition de jeu vont influer sur des variables qui vont déterminer votre destin. Et puis il y a ces œuvres pour lesquelles les explications basiques paraissent simples, mais où aucune phrase cohérente ne peut vraiment rendre compte précisément de ce à quoi vous allez jouer. Si je vous dis "vous devez gérer le quotidien de quinze personnages désaxés pendant une centaine de jours dans une école mystérieuse et repousser des vagues d'aliens de temps en temps", je m'approche assez, factuellement, de ce que vous propose The Hundred Line. Sans pour autant ne serait-ce qu'effleurer la surface du dispositif. C'est frustrant, car le risque est ici de ne pouvoir prêcher que des convertis. Celles et ceux qui ont déjà enquillé des dizaines d'heures sur AI: The Somnium Files ou Code Rain et pour qui la fin de Danganronpa V3 est un des plus grands moments de ces quinze dernières années. Et pourtant, j'aimerais vous convaincre de découvrir cette aventure... tout en sachant que certains de mes arguments sonneront bizarrement. Est-ce que quelqu'un serait a priori heureux d'apprendre que les quarante premières heures d'un titre de 2025 ne sont en réalité qu'une sorte de petit tutoriel ? C'est cependant une des forces majeures de la dernière production de Too Kyo Games.
Le bahut des tordus
Concrètement, si vous êtes légèrement familier avec la saga Danganronpa, vous allez assez vite capter le truc, puisque l'idée de départ est exactement la même : on enferme un casting de fous furieux dans une école avec une mascotte bizarre qui va les pousser dans un jeu mortel. Ici, défendre les lieux contre des attaques de monstres pas si forts que ça... mais dans un contexte où tout le monde se déteste un peu, se cache mille et un secrets, et où la vraie menace vient autant de l'absence de cohésion interne que de l'extérieur. Une idée si similaire à la série de Kazutaka Kodaka qu'un des personnages du jeu y fait sans cesse référence en se demandant quand tout le monde va commencer à s'entretuer. Mais si vous êtes familier du concept, vous savez aussi que ces jeux, comme ceux du co-auteur Kotaro Uchikoshi, sont basés sur des retournements de situation brutaux et parfois très étranges. Ici, cette dimension a été poussée dans ses derniers retranchements.
Les premières heures de jeu déstabilisent déjà par la découverte du casting. Lequel quitte très vite les rives de la normalité pour vous livrer une galerie de gens avec qui l'on a vraiment, mais alors vraiment aucune envie de passer cent jours enfermé. Il est en fait assez difficile (et c'est volontaire) de s'attacher à quiconque là-dedans. De l'assassin psychopathe à la fille qui vomit au moindre pic de stress, en passant par le nabot tellement peu sûr de lui qu'il passe ses journées à s'auto-insulter, sans oublier le frère incestueux qui méprise ostensiblement tout le monde, chaque journée est un enchantement. Et assez rapidement, ce groupe de nuisibles, possible dernier rempart de l'humanité contre dieu sait trop quoi, va être soumis à une tension extrême, et à des dilemmes moraux extrêmement perturbants. Dans Danganronpa, ces derniers étaient souvent tragiques, mais relativement simples : il ne s'agissait "que" de gens forcés de s'entretuer, dans un établissement renfermant un mystère épais et sinistre. Ici, c'est un poil plus compliqué, et épouvantablement plus dérangeant.



Le casting est délicieusement dérangeant et antipathique.
Assez vite, vous êtes privé de tous vos repères : les objectifs de survie sont relativement flous, la mascotte dégueulasse qui mène la danse disparaît subitement, et aucune base exposée par le scénario ne semble très solide. Même la mort, pourtant au centre de l'intrigue, est ici réversible via une machine à clonage étrange, et devient un évènement aussi banal que terrifiant. De fait, ici, tout le monde ment. L'univers ment, les lieux mentent, l'exposé même de la situation initiale ment, presque tous les personnages mentent. Même la résurrection infinie, on le devine bien vite, est un mensonge. Si vous avez un minimum de jugeote, vous le comprenez assez vite : The Hundred Line -Last Defense Academy- est en train de vous mener en bateau. Et il va le faire pendant plus de quarante heures, dans ce qui s'avère être un tactical RPG solide et un récit haletant, mais sur lequel vous n'avez virtuellement aucune prise. Vous allez subir des déconvenues à foison, voir le protagoniste multiplier les décisions imprudentes, et probablement détester la conclusion d'une aventure consistant pour l'essentiel à se moquer de vous. Bonne nouvelle, ce n'est qu'une fois qu'on s'est bien fichu de votre poire que le jeu commence pour de bon.
Conseil d'orientation
Un des arguments centraux de la campagne marketing de The Hundred Line tournait autour de l'idée qu'il s'agissait d'un jeu "avec cent fins". Et donc supposément truffé de choix, d'embranchements et de variables. De facto, ce n'est pas un mensonge, mais c'est une mécanique de jeu qui vous sera offerte APRÈS la séance de pipeau constituant la première run du jeu, qui masque volontairement une partie des mécaniques de gameplay. Tout en n'oubliant pas d'en rendre d'autres frustrantes. Pourquoi les ressources permettant d'upgrader mes personnages coûtent-elles si cher ? Pourquoi est-il presque impossible de trouver du temps pour augmenter mes liens avec les personnages ? Pourquoi les révélations sont-elles systématiquement annulées à la dernière seconde, voire s'avèrent étrangement décevantes ? La réponse se trouve derrière les crédits de fin du jeu.

Ce n'est qu'une fois atteint ce point que la possibilité vous sera offerte d'ausculter tout cela sous un angle complètement nouveau, quasiment au point d'en faire un jeu différent. La courbe de difficulté, jusqu'ici assez morne, change radicalement. Vous devez soudainement être infiniment plus attentif à ce que l'on vous raconte. L'humour bizarre du jeu n'a plus de filtre, et devient encore plus loufoque et dérangé. Le système de progression dans l'intrigue n'a plus grand-chose à voir avec celui de la première run. Vous êtes, de fait, enfin en train de jouer au véritable The Hundred Line -Last Defense Academy-. Et c'est absolument formidable. Et vertigineux, quand vous commencez enfin à piger que oui, ce concept de proposer une centaine de dénouements différents est tout sauf une plaisanterie.
Je n'arrive même pas exactement à savoir quelle peut bien être la taille du script de ce jeu. Combien de centaines de milliers de mots (sans doute de millions, à vrai dire) il aura fallu pour en arriver là. Comment les scénaristes ont pu avoir des idées aussi terrifiantes pour torturer leur casting. Mais le résultat est un monument de visual novel horrifico-fantastique d'un niveau stupéfiant. Son seul véritable défaut, outre le côté parfois extrêmement verbeux des productions Kodaka et Uchikoshi, est donc l'investissement massif de temps nécessaire pour en voir le bout "pour de vrai" : entre 150 et 200h pour avoir le fin mot du fin mot de l'histoire. Rien ne vous empêche de vous arrêter bien avant, bien entendu. On peut obtenir la "bonne" fin en moins d'une soixantaine d'heures. Mais même sans vouloir explorer le scénario dans l'intégralité de ses ramifications, il vous faudra des semaines pour en venir à bout. Bon courage.

The Hundred Line -Last Defense Academy- a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch.
J'ai à peine pris le temps de le préciser, mais The Hundred Line -Last Defense Academy- ne se contente pas de passer des dizaines d'heures à vous retourner le cerveau et à l'envoyer sur les murs pour voir si ça fait "splotch". Il s'agit aussi d'un excellent tactical RPG tendance puzzle-game, aux mécaniques très profondes et qui mettra votre logique à rude épreuve. Un peu à la manière de son scénario parfaitement dingue, les combats qui parsèment l'aventure parient sur votre intelligence, votre logique et votre sens de la déduction. Quitte à, là encore, vous demander un investissement démesuré qui va vous empêcher de jouer à autre chose pendant un bon moment. Miser sur une expérience aussi chronophage est un énorme pari pour Too Kyo Games. La réception du jeu étant extrêmement positive, tant par la critique que par les fans du studio, on peut a minima dire que ce pari est réussi. Davantage en tout cas que ceux tentés par Death Come True et World's End Club, les précédentes productions du studio, qui avaient peiné à convaincre.
Les + | Les - |
- Scénario extraordinairement bien ficelé qui vous ment de manière éhontée | - La première run peut avoir un côté décourageant et déstabilisant |
- La DA du jeu est au top | - Parfois terriblement verbeux |
- Tactical RPG solide et surprenant | - L'absence de VF vous condamne à avoir un niveau d'anglais relativement correct |
- Parie énormément sur votre intelligence | |
- Le casting est aussi perturbant que mémorable |

zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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