Le premier jeu signé par les Suédois de En Widunderlig Produktion, prévu pour le 22 septembre, ne manque pas d’ambition, en tentant de mêler jeu d’aventure à l’ancienne, visual novel et combat au tour par tour. Le tout baigne dans une ambiance de conte moderne puisant ses racines dans l’histoire du Nord de l’Europe. Bref, c’est intriguant : dites bienvenue à The Girl of Glass.
Vous vous posez sans doute déjà la question : non mais comment ça, un Visual Novel Point and Click avec des combats au tour par tour ? Qu’est-ce que c’est encore que cette bouillabaisse infernale ? Est-ce que tous les jeux de cette fin de génération sont obligés d’être du jazz musette punk rock avec des solos d’otamatone pour essayer de se démarquer ? Mais, croyez-le ou non, pour une fois, ça marche à merveille. La première moitié de The Girl of Glass est une démonstration de force : oui, en 2020, un jeu-indé-fusion peut à la fois être beau, équilibré, ludiquement et narrativement intéressant, et ne pas donner l’impression d’un illisible fouillis. Et ne comporter ni deck building, ni dimension roguelike. Un petit miracle.
Rêver dans les ruines
The Girl of Glass, c’est l’histoire d’une adolescente, Kristal, pas exactement bien partie dans la vie. Née avec un corps littéralement en verre, elle a logiquement grandi dans un cirque qui a bien voulu l’accompagner au milieu de sa troupe de Freaks. Kristal grandit dans un pays d’Europe à une date indéterminée (certains éléments évoquent les années 20, d’autres les années 60 ou 70), régi par un tyran invisible nommé l’Aigle. Kristal n’est pas malheureuse, mais elle se meurt d’ennui dans ce cirque minable à l’agonie que ne font plus tourner qu’une demi-douzaine d’artistes damnés de la terre. Elle, elle ne rêve que de découvrir le monde. Quand un jeune (et beau) vagabond vient un jour lui proposer de partir avec lui pour découvrir d’autres horizons, Kristal décide qu’elle n’a rien à perdre, et se prépare à le suivre.
Difficile d’en dire beaucoup plus sans déflorer le ton général, très particulier, développé par The Girl of Glass. L’univers est coloré mais doucement mélancolique, et fait alterner les phases réalistes (les problèmes du cirque, le quotidien des compagnons de Kristal, etc.) avec des moments beaucoup plus oniriques, qui pose une ambiance proche du conte traditionnel, voire du récit à suivre lors de veillées au coin du feu. Ainsi, la plupart des personnages n’ont pas de vrai nom (Strong Girl, The Tall Lady, The Eagle…), et beaucoup de péripéties sont des épreuves assez communes de contes de fée initiatiques. Dans ses premières heures, le jeu ne tranche jamais vraiment : est-ce l’imagination de Kristal qui enchante son quotidien et lui fait vivre des aventures rocambolesques, ou est-ce son monde qui est baigné d’une magie qu’elle est la seule à percevoir clairement ? Et c’est très bien comme ça.
L’équilibre tonal de The Girl of Glass est ainsi, sur ses premières heures de jeu, quasi parfait. En partie grâce à un casting resserré, mais toujours admirablement travaillé. On s’attache à tous les personnages sans peine, à commencer par une protagoniste remarquablement écrite : le jeu parvient à donner l’impression d’une adolescente pleine d’idées et d’énergie dans un monde doux-amer sans en faire un personnage caricatural ou irritant. Il nous tarde de découvrir la suite des aventures de Kristal, la démo que nous avons reçue couvrant à peu près la moitié du jeu.
Magic Circus
Bon d’accord, c’est une super histoire. Mais quand même, un point and click visual novel avec des combats au tour par tour ? Comment est-ce que ça peut fonctionner cette diablerie ? Eh bien, assez simplement, en fait : les trois mécaniques parviennent à réaliser la jolie pirouette de bien se compléter sans jamais se parasiter. La plupart du temps, vous serez dans un point and click des plus classiques : vous promenez Kristal dans des tableaux (superbes et peints à la main) et vous récupérez des machins et des bidules à utiliser ou à combiner pour résoudre des énigmes variées. Pour ce que l’on a pu en voir, à l’exception d’une ou deux séquences un peu plus compliquées, ces énigmes sont plutôt simples. Il sera souvent question d’aider un personnage à se sortir du pétrin en lui apportant un objet perdu ou volé, ce qui vous conduira à avoir besoin d’un objet possédé par un autre qui lui-même aura besoin d’un coup de main etc. Classique, mais efficace.
La seconde partie concerne les dialogues, affichés sous forme de Visual Novel : les portraits des personnages se font face, et vous pouvez choisir les réponses de Kristal lors de moments-clés du scénario. Ces choix ne me semblent pas avoir d’impact déterminant sur le déroulé global de l’aventure, mais forment le ton employé par Kristal ainsi que la voix qui narre l’aventure, et ouvrent la voie à des dénouements divers pour certaines quêtes. Cela peut conduire à quelques séquences amusantes si vous vous amusez à répondre un peu n’importe quoi. Anecdotique, mais voilà qui sert à merveille le récit, donnant beaucoup de corps et de caractère à son héroïne.
Enfin, Kristal sera amenée lors de son parcours à faire face à des confrontations physiques. Ces combats sont assez rares en début de jeu, mais extrêmement réussis. D’apparence, il s’agit de combats de JRPG au tour par tour classiques : les personnages peuvent avancer, reculer, frapper, se défendre, se concentrer, ou utiliser des attaques contextuelles. En pratique, après un ou deux combats, on réalise que ces affrontements (contre un bestiaire pour le moins… étrange, allant du chat énervé à l’ours en peluche en passant par un rat avec une couronne) sont davantage des puzzles à résoudre que des confrontations classiques. D’abord très simples, les énigmes proposées lors de ces combats se complexifient petit à petit et vous forcent à jouer avec l’ensemble des possibilités offertes : passer son temps à attaquer sans jamais utiliser les autres possibilités vous conduit systématiquement à votre perte.
C’est beau, ce qui ne gâche rien
Tout ce que The Girl of Glass entreprend, il le fait plutôt très bien. Les auteurs du jeu sont parvenus à gagner une grande sobriété dans les idées déployées, qui ne sont au final pas si nombreuses que cela : un univers riche et attachant, une narration dynamique bienvenue, et des combats-puzzle bien pensés. Si on accepte l’idée qu’il propose un challenge assez faible et qu’on est surtout là pour se laisser bercer par cette fable moderne sur la liberté et la tyrannie, on se retrouve face à un titre incroyablement prometteur.
Cerise sur le gâteau, The Girl of Glass est un jeu superbe : outre ses décors peints qui en mettent plein la vue, le joueur est bercé par une OST assez efficace, une narration sobre mais fort bien interprétée, et un chara-design un peu moins abouti, mais terriblement attachant. Bien sûr, nous ne sommes pas nés de la dernière pluie, et il reste encore à savoir si à l’instar d’une arnaque comme Torment : Tides of Numenera ou The Evil Within 2, The Girl of Glass n’a pas mis tout ce qu’il avait à raconter dans les premières heures pour ne laisser qu’un champ de ruine ensuite, mais comptez sur nous pour vous tenir rapidement au courant. Pour vous faire une idée de ce que donne le jeu en mouvement, vous retrouverez sous cet article une vidéo découverte enregistrée il y a quelques jours sur notre chaîne Twitch.
The Girl of Glass a été testé sur PC, via une clé preview envoyée par l’éditeur
Presque desservi par son concept compliqué à expliquer mais ultra simple à prendre en main, The Girl of Glass est un des jeux d’aventure les plus beaux et les plus inventifs de l’année. Une vraie réussite graphique et narrative, qui semble pleinement puiser dans les contes et l’imaginaire collectif pour aborder des questions sérieuses au centre desquelles on trouve la nécessité de pouvoir continuer à rêver au beau milieu d’un régime tyrannique où règne l’arbitraire.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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