D’un mod de Skyrim à succès, les développeurs de Modern Storyteller ont fait de The Forgotten City un jeu à part entière. Un pari risqué, autant sur la forme que le fond. Car ici, de Skyrim, on ne retrouve ni l’heroic fantasy, ni totalement le RPG, aussi surprenant que ça puisse être. Un changement de décor et de gameplay pour une expérience étonnante autant que captivante.
Ajoutons un avant-propos que je pense nécessaire. Il ne sera pas question ici d’un comparatif entre le mod de base et le jeu total. D’une part parce que ça serait hypocrite de ma part, n’ayant pas touché à la version originelle, et d’autre part parce que c’est rarement une bonne idée. La critique porte sur The Forgotten City, sorti le 28 juillet sur PC, PS4 et PS5, Xbox One, Xbox Series et Switch, pas sur ce qui a pu être fait avant. C’est intéressant sur un early access parce qu’on peut voir ce qui a été corrigé ou non, mais pour le passage d’un mod à un jeu complet, le changement est si radical et les ambitions amplifiées que ça aurait peu de pertinence.
Quoi qu’il en soit, rappelons l’essentiel avant d’enfin de passer à la critique pure. Si Modern Storyteller est passé à l’étape supérieure, c’est parce que le mod initial a quand même dépassé la barre des 3 millions de téléchargements, le tout arrosé d’une pluie de récompenses (et du soutien du gouvernement australien). L’équipe, composée de trois personnes, décide donc de réécrire le scénario et d’ajouter, entre autres : des événements, des situations, des dialogues et des fins alternatives. Ça nous amène, après quelques années de développement et le soutien de l’éditeur Dear Villagers, à la sortie de ce jeu d’aventure à énigmes qu’est The Forgotten City. Je dis « jeu d’aventure à énigmes » mais en fait c’est une description incomplète. Voyons ça.
Dura lex, sed lex
La loi est dure, mais c’est la loi. L’expression convient parfaitement à définir le premier des deux piliers du gameplay de Forgotten City et la mécanique centrale qui régit le jeu : la Règle d’Or. Le personnage principal est vite propulsé dans une cité romaine antique, celle-là même dont il explorait les ruines quelques minutes auparavant. Un retour dans le passé ? Ça en a tout l’air et cela se confirme assez vite, dès la rencontre avec les premiers habitants. Une ville d’une quinzaine d’habitants qui se veut utopique parce qu’elle est fondée sur une loi qui empêche toute forme de criminalité, la dite Règle d’Or.
Celle-ci dispose que « The many shall suffer for the sins of the one » traduit dans le jeu par : « La collectivité souffrira pour les péchés de l’individu« . Ainsi, au moindre péché, l’ensemble des habitants sera tenu pour responsable. La conséquence est d’autant plus sévère que les citoyens sont tous transformés par des archers dorés en statues dorées elles aussi, et figés pour l’éternité en restant conscients. Cette Règle d’Or est forcément contraignante mais la force du titre de Modern Storyteller est qu’il faudra apprendre à jouer avec. C’est pour ça qu’au départ, on va plutôt être dans l’apprentissage de la géographie de la ville, et on va préférer se focaliser sur les discussions avec les personnages, afin d’en savoir plus sur eux.
Chacun possède son rôle, ses habitudes, son cercle de proches et son caractère. Les dialogues vont permettre de découvrir tout cela, d’en apprendre plus sur la Règle d’Or aussi, et surtout de faire apparaître des objectifs, créant une sorte de carnet de bord qui doit nous guider. C’est d’ailleurs l’un des aspects, avec la présence d’un inventaire, qui montre que The Forgotten City n’oublie pas son héritage de RPG.
On va donc profiter des premiers moments en jeu pour errer un peu naïvement tout en collectant des informations et possibles missions à remplir. On en apprend de plus en plus, jusqu’à ce que, fatalement, par curiosité ou par maladresse, on finisse par céder et par briser la Règle d’Or. Ce qui va alors complètement changer notre façon d’appréhender le jeu. D’une part, on est désormais sûr que la Règle d’Or est bien réelle (pas vraiment une surprise mais il y aurait pu avoir un plot twist) et d’autre part, on devra faire attention et réfléchir à chaque interaction beaucoup plus qu’avant. Mais ce n’est pas trop tard maintenant que la Règle d’Or a été enfreinte ? Hé bien non, justement !
Tempus fugit
Le temps fuit (ou le temps passe vite). Cette problématique du temps va forger le second des deux piliers sur lesquels repose le cœur de The Forgotten City. Comme je le précisais dans la partie précédente, on finit tôt ou tard par être témoin de ce qui arrive quand on brise la Règle d’Or. Personnellement j’ai été le responsable en volant le coffre d’une vendeuse, mais les possibilités sont vastes et on n’en sera pas forcément l’acteur direct. Quand cela arrive, on observe soudain les statues d’archers qui s’animent et commencent à nous viser et à viser les habitants. Un objectif se met alors à jour et il faut se rendre au petit autel par lequel on est arrivé pour éviter la mort. Le sénateur Sentius, le dirigeant de la cité, effectue un étrange rituel, meurt, et un portail identique à celui pris pour entrer s’ouvre. Celui-ci nous renvoie au lieu d’arrivée, comme si rien n’était arrivé. Et ainsi démarre la première boucle temporelle.
En revenant, on conserve nos souvenirs et certains de nos objets. Cela va aussi permettre de reprendre une discussion à zéro avec un personnage à qui on avait mal répondu, ou de déverrouiller une nouvelle option de dialogue. À tel endroit, une personne qui mourrait suite à un accident pourra être sauvée, l’indice récupéré à tel autre endroit permettra de confronter tel personnage sans le moindre doute. Et ainsi de suite.
La Règle d’Or devient alors une alliée car elle va permettre de déclencher la boucle temporelle à des moments-clés. Le sénateur Sentius tentera toujours d’aller effectuer son rituel et le portail nous renverra de cette façon toujours au premier lieu d’arrivée. On est mieux préparé, on connaît les chemins, les réponses à choisir, ce qui du coup débloque de nouveaux endroits, de nouveaux objectifs et quelques autres nouveautés. La finalité de tout ça ? Pouvoir partir, comprendre l’origine de la Règle d’Or et tenter de la stopper. Une façon de faire le game design par l’accumulation croissante de connaissances qui rappellera forcément à quelques-un(e)s Outer Wilds. Je vous invite à voir cette vidéo sur la chaine Game Next Door qui parle de ces types de jeux et ce qui fait qu’ils marquent autant.
Autre point d’intérêt, la présence de quatre fins différentes que je vous laisse le plaisir de découvrir, et qui ne demanderont pas toutes les mêmes enchaînements. Cela signifie des possibilités supplémentaires de refaire l’histoire et potentiellement de nouveaux arcs de discussion et d’endroits que l’on ne pensait pas pouvoir explorer. À la différence de Outer Wilds, on ne ressent pas trop le poids du chronomètre qui avance, même si à certains moments, les déplacements des personnages obligeront à un timing précis, créant une certaine tension. Finalement, le rapport au temps se retrouve dans le gameplay mais aussi, comme on le découvre, dans la narration, qui met en perspective la « marche de l’Histoire » et la manière dont cultures et croyances se transmettent.
Errare humanum est
Il est de la nature de l’Homme de se tromper. Cette locution évoque deux choses essentielles que The Forgotten City met en avant : l’orgueil et la morale, et leurs places dans l’histoire du jeu comme dans l’Histoire en général.
Pour ce qui est de l’orgueil, on en prend conscience en écoutant parler des personnages bien précis, mais la révélation viendra lorsque l’on s’aventure dans les souterrains de la cité. C’est peut-être le seul détail que je vais donner mais je pense qu’il est important pour comprendre le travail réalisé sur la narration du jeu. On découvre un vieux philosophe grec, qui explique se cacher car celles et ceux qui étaient là en même temps que lui ont presque toutes et tous subis le châtiment logique qui suit la transgression de la Règle d’Or. Il nous explique qu’il a un ami qui se cache plus loin, mais que ce dernier est colérique. Alors on s’avance dans les boyaux de la grotte et on découvre des reliques grecques, puis apparaissent des ruines égyptiennes. Finalement on rencontre ce fameux ami, effectivement plutôt énervé, avec qui la discussion devient vite compliquée. On finit par se jeter sous ses yeux dans un trou creusé qu’il paraît craindre plus que tout.
Dans ce nouvel endroit, on va découvrir quelque chose d’encore plus bouleversant et d’important. On réussit à remonter jusqu’à lui, sauf qu’il nous attend, prêt à nous tirer dessus avec son arc. Se déclenche alors une discussion très intéressante avec lui, un peu dans la suite de notre premier échange, sur la place de la religion, la légitimité des croyances et la faculté de remettre en question ce en quoi l’on croit. Sans tout dévoiler, ce passage permet également de prendre la mesure de la fragilité de la vérité historique, de l’orgueil des civilisations qui se réapproprient des rituels, des croyances, voire des divinités, et cela au mépris des peuples à qui on les soustrait. C’est aussi la question de l’orgueil qui revient quand on se rend peu à peu compte que certains ont trouvé des failles à la Règle d’Or et s’en servent à leur profit. Que ça soit un marchand peu scrupuleux, un politicien fourbe ou un militaire à la soif de pouvoir démesurée.
The Forgotten City aborde enfin tout un ensemble de questionnements moraux ici et là, qui viennent pousser le joueur ou la joueuse à une réflexion en dehors du cadre vidéoludique. La morale est souvent dictée par celui ou celle qui possède le pouvoir d’en punir les transgressions, alors qui juge de ce qui est bien ou mal ? Qui est responsable ? Comment cela est puni ? Comment décider de la pertinence d’une croyance par rapport à une autre ? Le jeu propose aussi des interrogations sur la pertinence même de la Règle d’Or et de ce qui constitue un péché, voire des échanges d’idées quant au traitement du crime et de ce qui est juste ou non selon les époques et les civilisations. Une réflexion qui se veut également plus globale, sur la capacité d’évoluer à travers le temps, en tant qu’individu mais aussi en tant que société. Le tout reste en plus enrobé constamment dans un environnement antique encore trop peu dépeint ou souvent de manière trop caricaturale. Une expérience, hélas un peu courte, mais presque instantanément captivante.
The Forgotten City a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur PlayStation et Xbox.
C’est presque frustrant de devoir faire la critique de The Forgotten City car j’ai dû m’abstenir de parler de tas de fulgurances, de clins d’oeil, d’anecdotes, de peur de révéler certaines ficelles scénaristiques inattendues. Mais j’espère qu’avec les détails sur la Règle d’Or, la boucle temporelle et les qualités narratives indéniables du jeu, vous aurez au moins envie d’y jeter un œil. Et encore une fois, il ne s’agit pas d’un simple jeu d’aventure à énigmes. Il y a quelque chose de plus, notamment dans le rapport à l’Histoire et à la philosophie. Le tout forme une enquête vidéoludique passionnante dont les quelques défauts techniques sont totalement pardonnables.
Veltar
Joueur de jeux vidéo qui aime la politique. Du coup j'écris surtout des trucs qui parlent des deux. Stratégie, Outer Wilds, Metal Gear Solid et indés en pixel art.
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