Qu'est-ce que la mythologie slave ? Et la culture slave ? Et d'ailleurs ça veut dire quoi, "slave" ? Cette critique ne répondra absolument pas à ces questions. Par contre, je vais vous montrer en quoi The End of the Sun peut vous amener à aller creuser tout ça, quel genre de jeu il est, et pourquoi il aurait pu, malgré ses qualités, mieux nous imprégner de son sujet.
On a tous et toutes voulu à un moment voyager dans le temps. Revenir dans le passé, immédiat ou lointain, ou au contraire explorer le futur, afin d'entrapercevoir ce que demain nous réserve (ou pourrait nous réserver). C'est une sorte de joker ultime. Cela prend racine dans notre insatiable curiosité et dans nos craintes en un avenir par nature incertain. Au-delà de cette introduction très convenue et des tonnes de questions scientifico-philosophiques que cela soulève, c'est surtout, sans surprise, un procédé hyper commun dans tout un tas de jeux. C'est également celui retenu par la toute petite équipe - 2 personnes, avec des coups de main extérieurs - de The End of the Sun (qui s'appelle littéralement The End of the Sun Team).
4 saisons au feu de bois
On y incarne un tisonneur, une sorte de prêtre choisi par le peuple pour obtenir, des dieux eux-mêmes, la capacité de voyager dans le temps dans le but d'observer mais aussi de réparer. En arrivant dans un petit village, on constate des altérations temporelles laissant toute la zone comme figée. Que s'est-il passé ici et peut-on retrouver la source de tout cela ? Voilà qui fonde nos principaux objectifs. Alors, voyager dans le temps, c'est bien sympa, mais concrètement, ça s'effectue comment ?
Pour voyager dans le temps, il faut pouvoir se connecter à différents feux éparpillés sur la carte (feux de camp mais aussi d'intérieur). Ces feux sont indiqués par un symbole de flamme ornée d'un chiffre romain qui correspond à une saison : I pour le printemps, II l'été, III l'automne et IIII l'hiver (oui, je ne sais pas pourquoi ce n'est pas IV). Ainsi, le voyage dans le temps se fait par saison et on peut se connecter à un feu uniquement accessible lors d'une saison précise. Il faut également jouer sur les saisons pour accéder à certains lieux et donc d'autres feux, puisque certains obstacles nécessitent que l'on ait effectué une action à une autre saison pour être franchi. Par exemple, un pont qui n'est pas encore construit, ou une maison pas encore condamnée. Globalement, ça n'intervient pas souvent et ça ne donne pas lieu à des énigmes folles, le jeu est avant tout narratif, mais j'y reviendrai plus tard dans la critique.



De gauche à droite : la carte, le feu, la méditation et le fameux hub.
Pour ce qui est de la connexion en elle-même, lorsqu'on l'active, des volutes de fumée partent du feu, en général trois, et nous dévoilent des scènes qui se sont déroulées à proximité et qui ont été affectées par les évènements en cours. Il faut alors les "réparer", le plus souvent en amenant un objet manquant récupérable pas trop loin de la scène en question. Tout redevient cohérent et ça y est, le feu brûle, on récupère une plume et on peut méditer. Pour la plume, j'y reviendrai là encore un peu après, mais pour la méditation, c'est par ce biais précis qu'on accède à la capacité de voyager dans le temps. On médite, on arrive dans une sorte de hub mystique et on peut choisir entre les quatre saisons. On ne va pas se mentir, c'est assez rébarbatif dans la forme, puisque la phase de méditation n'est pas instantanée, il faut ensuite changer de saison, puis de nouveau attendre un peu, et on y arrive enfin. Je comprends bien l'intérêt, à savoir ne pas asphyxier techniquement les PC des joueurs et joueuses avec un changement immédiat de l'intégralité de l'environnement, la carte étant de bonne taille, mais c'est un peu frustrant.
Pas le feu au lac
On va maintenant commencer à parler de la mythologie slave et pour ça, je vais passer par les deux points que je mentionnais plus haut, à savoir l'aspect narratif et cette histoire de plume. Déjà, l'aspect narratif. The End of the Sun se joue dans un monde semi-ouvert, dans le sens où l'on a beaucoup de chemins à murs invisibles, mais parfois l'environnement se révèle plus ouvert et on a le début d'une sensation de liberté. Les graphismes des environnements sont vraiment réussis et on a des plans avec des paysages superbes. Je n'avais pas le jeu au maximum et c'était déjà un vrai régal de se balader, le tout accompagné d'une ambiance sonore qui invite à l'évasion. Et ce côté promenade, il se ressent tout le long du jeu. Parfois même un peu trop, puisque j'aurais préféré qu'on finisse par avoir un moyen d'aller d'un feu au nord de la carte à un au sud, une fois qu'on a réussi à y méditer une fois. En tout cas, si vous comptez parmi les adeptes de walking simulator, le titre a des chances de vous plaire. Ces promenades s'étendent à mesure que l'histoire avance : il s'agit de celle d'un couple (au départ) vivant dans un tout petit village médiéval slave, niché entre collines et prairies, et nimbé dans des traditions ancestrales. Au gré du visionnage des scènes et des saisons (tout ne se déroule pas sur une seule année, comme on le découvre assez vite), on saisit les aléas et surtout, que tout semble profondément lié à Rarog, un faucon flamboyant censé apporter chance et bonheur, lui-même lié au dieu slave du feu et de la métallurgie, Svarog.

On en arrive au second point sur lequel je voulais revenir, la plume. Ou plutôt les plumes, puisqu'on en obtient une après chaque stabilisation des feux. Celles-ci proviennent de Rarog et leur récupération va matérialiser notre avancée dans le jeu. On en découvre un peu plus sur ce qu'il est, ce qu'il incarne, pourquoi il est là et ce qu'on va devoir faire de ces plumes. Oubliez donc un gameplay à base de retours dans le temps et de réflexion intense, je pense que The End of the Sun doit vraiment s'appréhender comme un jeu lent, de l'ordre d'un Tacoma par exemple, et où il faudra profiter des rares moments d'énigmes pour savourer ce que le jeu aurait pu être. On peut imaginer que le choix des développeurs s'est fait afin de ne pas être dépassés en ayant à gérer à la fois des puzzles un peu plus ardus, la progression de l'histoire et l'enchaînement des saisons et du temps via quelque chose de plus interactif.
Bain de culture
Côté culturel, notre personnage ne manque pas de commenter des scènes, de venir appuyer certains éléments pour les recontextualiser, et c'est notamment le cas lorsqu'il apporte des détails sur Rarog et Svarog. De savoir que The End of the Sun a été fait par deux développeurs polonais, pays qui se situe dans l'espace culturel slave, avec une volonté affirmée d'insérer du réalisme quant à cette culture, son mode de vie et sa mythologie, ça m'a donné envie d'en savoir plus. En jeu, ça s'est traduit par une attention accrue aux intérieurs des quelques bâtiments visités, aux outils présents, à l'esthétique des lieux. À de nombreuses reprises, on trouve des papiers déposés ici et là, relatant des coutumes comme celle, très importante, de la Nuit de Kupala, ou des objets dont l'utilité sera explicitée par l'apparition d'un texte descriptif. Tout ça apporte une profondeur bienvenue et compense une histoire qui, une fois l'aspect temporel écarté, est somme toute assez classique.

J'ai personnellement eu la curiosité d'aller chercher sur Internet plus de précisions sur la mythologie slave, à partir de Svarog, et je suis tombé dans un terrier de lapin passionnant. À chaque nouvel élément découvert en jeu, je suis allé comparer avec ce qui existait vraiment, j'ai découvert la richesse de la culture slave et ses liens évidents avec la culture scandinave, d'autres plus ténus avec la culture celte, et une mythologie riche et diversifiée. Ce sont aussi des traditions et des coutumes partagées, comme la fameuse Nuit de Kupala que je mentionnais plus haut, qui se retrouve dans de nombreux pays sous différents noms et avec des pratiques qui diffèrent selon les localisations. Cette fête est par exemple liée à celle de Midsommar en Europe du Nord et dans les pays baltes (je conseille le film du même nom au passage, mais attention, il est aussi clivant que perturbant).
Or, comme je le disais dans l'introduction, il y avait peut-être de meilleurs moyens de nous imprégner de tout cela à travers le jeu lui-même. En "gamifiant" la prise de connaissances sur la culture et la mythologie slave via des énigmes et puzzles, ou avec une carte plus petite mais avec davantage de points d'intérêts, même si je me doute bien que cela aurait pu entrer en conflit avec l'objectif de réalisme du petit bourg perdu. Cela n'empêche en rien le titre d'occuper un espace qui dénote. En effet, je pense que l'on manque toujours de jeux qui ont ce parti pris de venir bousculer les repères occidentaux culturels et spécifiquement mythologiques (hors christianisme), ceux-ci consistant globalement en : mythologie gréco-romaine pour la base, mythologie égyptienne pour l'exotisme et mythologie scandinave pour la bagarre. Et rien que pour ça, merci The End of the Sun Team.

The End of the Sun a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Pour celles et ceux qui aiment voyager en jouant, The End of the Sun saura parfaitement vous captiver. Les environnements sont enchanteurs et les changements de saisons réussis, participant à nous projeter dans le mystérieux village où se déroule l'intrigue. Le voyage dans le temps, montré comme central, est certes une mécanique essentielle, mais son utilisation est davantage un gadget au service d'un jeu surtout narratif. Il en demeure au final une belle porte d'entrée vers la culture slave, sa diversité (les cultures slaves ?) et sa mythologie.
Les + | Les - |
- Environnements très réussis | - Trop de murs invisibles |
- Un voyage culturel passionnant | - Des énigmes un peu timides |
- Une histoire parfois surprenante... | - ... mais globalement assez classique |
Veltar
Joueur de jeux vidéo qui aime la politique. Du coup j'écris surtout des trucs qui parlent des deux. Stratégie, Outer Wilds, Metal Gear Solid et indés en pixel art.
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