Quatrième jeu d'aventure horrifique narratif de la série The Dark Pictures Anthology de Supermassive Games, The Devil in Me est en réalité la sixième tentative du studio de nous faire peur au fond de nos canapés (en comptant Until Dawn et le récent The Quarry). Avec quatre nouveaux jeux d'ores et déjà annoncés, le risque est donc grand d'essorer rapidement la formule.
Face à un genre de jeu tenant presque autant du jeu d'aventure classique que du nanar interactif, il est toujours bon de dire d'où l'on parle. Moi, les jeux Supermassive, j'aime bien : je suis parfaitement conscient de leurs immenses défauts d'écriture et de structure, mais je trouve ça amusant. J'y trouve le même frisson qu'insérer un DVD de films d'horreur nul à en pleurer à 1 € dans ma PlayStation, avec une dimension très vaguement interactive. Mais au-delà léger du frisson de honte ressenti devant un nanar, je trouve aussi que la série a, parfois, quelques bonnes idées. House of Ashes avait un contexte et un casting de protagonistes détestables intéressants. Man of Medan remettait joyeusement l'esthétique du bateau fantôme à l'honneur. Même l'assez lamentable Little Hope tentait quelques petits trucs intéressants en empruntant au bestiaire et à l'ambiance de Silent Hill. Puisqu'annoncé comme une « fin de saison » avant un cycle de quatre nouveaux jeux, j'attendais donc de savoir comment cette première phase allait s'achever. Et j'ai été, je le crains, légèrement déçu, malgré des attentes pourtant assez basses.
L'animatronique peut-elle casser des briques ?
Until Dawn, c'était cinq jeunes victimes d'un tueur dans les bois. Man of Medan, cinq crétins plongeurs du dimanche face à des monstres dans un bateau hanté. Little Hope et House of Ashes respectivement cinq andouilles dans une ville maudite et cinq militaires détestables dans un palais démoniaque enfoui en Irak. Le canevas des jeux The Dark Pictures Anthology est sensiblement toujours le même : un pentacle de demeurés pas particulièrement aimables balancé dans un décorum de film d'horreur classique, et survit qui peut. Cette fois-ci, bienvenue dans The Devil in Me, qui prend la décision courageuse de ne strictement rien changer au fond de l'affaire, mais qui fait tout de même un effort conséquent sur la qualité de la distribution des futures victimes.
Dans cet épisode, nous suivons la lamentable équipe de tournage d'une série télévisée ultra fauchée de docu-fictions consacrée aux tueurs en série. Charlie, producteur mégalomane autopersuadé de son génie, traite sa petite équipe (une actrice et trois techniciens) comme ses larbins. Ces derniers, bien sûr, mélangent haines, rivalités et envie de se pécho dans des circonstances peu appropriées. Personne n'est très professionnel là-dedans, et leur dernier tournage, consacré au tueur en série H.H. Holmes, pourrait être le dernier avant l'annulation pure et simple du show. Par bonheur, un riche excentrique a construit une réplique intégrale du Château des Meurtres de Holmes et propose à l'équipe de venir tourner sur place, au milieu d'objets ayant véritablement appartenu au tueur. Pas besoin de vous faire un dessin : ça tourne exactement comme vous imaginez que ça tourne.
L'idée est donc sensiblement la même que dans tous les épisodes de la série : vous incarnez tour à tour les membres de l'équipe. Vous cherchez des objets et des secrets dans les décors. Vous faites des choix de dialogue qui vont souvent faire dire des choses très irritantes à vos personnages. Et au bout d'un moment, vous enchaînez les QTE dans des séquences horrifiques qui décideront de qui survit ou non à la fin du jeu. Mais comme à chaque itération de la franchise, c'est un registre différent qui est convoqué : ici celui de la maison piégée et des attractions horrifiques à la Saw, Five Nights at Freddy's et autres Destination Finale. Le manoir du tueur est ainsi truffé d'automates sanguinaires, de chausse-trappes, d'architectures impossibles et de séquences impliquant des sacrifices cruels. Bref, nous ne sommes pas face à un season finale très original dans ce qu'il raconte, mais il faut bien admettre que ça ne fonctionne pas si mal que cela. « Pas si mal », c'est d'ailleurs un peu le qualificatif que j'ai envie de coller à l'ensemble du jeu. Parce que ce que The Devil in Me réussit, il le réussit en général de justesse, presque au bluff. Mais ce qu'il rate, il le rate dans les grandes largeurs.
C'est dans les vieux Saw qu'on fait la meilleure soupe
Car The Devil in Me ne manque absolument pas de bonnes idées. D'une part, prendre le parti de se plonger sans ménagement dans le monde un peu sordide des podcasts et émissions true crime est plutôt malin. Comme un miroir de sa propre série qui capte un petit bout d'air du temps, le scénario de cet épisode montre à quel point notre obsession pour les tueurs en série et leurs meurtres sordides convoie un imaginaire pas toujours ragoûtant. Imaginaire sur lequel prospère une économie des médias cheap et opportuniste.
Et cette mise en scène d'une caméra voyeuriste filmant des tragédies avec une complaisance certaine pour le gore et le macabre se retrouve bien mise en scène par tout un tas de petites idées encore jamais vues dans un Dark Picture Anthology. Flashbacks, archives de police, cadrage laissant la part belle à des angles de caméra effrayants ou encore jeux sur les sons et la perception de l'espace sont au rendez-vous. Les murs amovibles et autres pièges emboîtés les uns dans les autres du manoir servant de cadre au jeu ont ainsi beaucoup plus d'ambition que les couloirs tristes de House of Ashes… Ou la malheureuse forêt brumeuse discount de Little Hope.
Ces efforts s'incarnent particulièrement dans les nombreuses tentatives de rendre beaucoup de séquences beaucoup plus interactives que dans les jeux précédents de la série. Une place plus forte à l'exploration qui utilise davantage les objets de l'inventaire, des secrets un peu mieux planqués et mieux connectés au reste de l'intrigue, des séquences d'action qui prennent davantage en compte votre intelligence au lieu de simplement vous demander de marteler des boutons au bon moment, etc. Bref, beaucoup de petites tentatives d'implication ludique et émotionnelle qui montrent que les équipes de Supermassive Games ne manquent pas d'idées pour mettre en scène leurs histoires. En revanche, ils semblent cruellement manquer de temps.
The Devil in Meh
The Devil in Me est en effet un drôle de jeu : il est farci de défauts invraisemblables dont presque tous paraissent pouvoir être corrigés avec un peu de temps de développement supplémentaire. Des crashs réguliers. Des faux raccords dans certaines scènes. Des bugs de collision à gogo… Tout a visiblement été envoyé dans un état fort peu satisfaisant. Le coupable est évident et à aller chercher du côté du business model d'un studio désormais organisé autour du fait de livrer un jeu complet par an depuis 2019. Pire : Supermassive a accéléré sa production en travaillant pour des éditeurs tiers, The Quarry ayant été développé pour 2K Games en parallèle de la série The Dark Pictures Anthology. À taille et style de jeu comparable, on sait comment un studio comme Telltale Games s'est brutalement effondré sur lui-même à force de surproduire des jeux à demi-terminés.
Car dans le cas de The Devil in Me, il ne s'agit plus de simples problèmes de finition, mais d'un véritable gâchis. Certaines scènes ne semblent pas écrites jusqu'au bout, les incohérences narratives se multiplient vers la fin du jeu, des bugs inexplicables contraignent parfois à relancer une séquence de dix ou quinze minutes de zéro, etc. Et que dire de cette version française calamiteuse, dont les acteurs ont visiblement été dirigés sans instruction claire ni précise et qui voit ses répliques régulièrement coupées en plein milieu, faute de synchronisation entre le son et l'image… Quand les acteurs ne switchent pas tout simplement entre le français et l'anglais, certaines lignes de dialogue n'ayant pas été doublées du tout.
Certes, c'est un détail puisqu'il est toujours possible de lancer le jeu en VO, mais c'est un détail significatif qui illustre un problème plus large. Plutôt que de livrer des produits finement ciselés, creusant leurs idées à fond, Supermassive est désormais pris dans une spirale consistant à shipper des jeux de plus en plus vite. Le tout en priant pour que leurs bonnes idées arrivent à faire oublier le côté très branlant d'un édifice par moments limite injouable. Alors, on finit par ne plus remarquer toutes ces chouettes petites idées qui fourmillent et on quitte le jeu vaguement en colère : il aurait pu, il aurait DÛ être mieux.
The Dark Pictures Anthology: The Devil in Me a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5, et sur les consoles Xbox.
On peut accuser The Devil in Me de beaucoup de choses, mais certainement pas d'être un jeu honteux, inintéressant ou purement cynique. En revanche, c'est hélas un jeu bâclé. Probablement pas volontairement, mais par la mécanique de production ultra-rushée d'un studio ayant produit onze jeux en sept ans, dont six reprenant la même mécanique du film interactif horrifique. De la mise en scène aux dialogues en passant par la traduction, les cadrages et les QTE : tout manque cruellement de finition dans ce jeu qui aurait sans doute largement bénéficié de quelques mois de plus pour régler ses défauts structurels et améliorer ses très nombreuses bonnes idées. Pour ne pas perdre son public, la série doit désormais s'améliorer dans le fond, repenser son imaginaire et retravailler ses mécaniques plutôt que d'empiler des améliorations maladroites sur un édifice déjà fragile.
Les + | Les - |
- Le casting est énervant, mais il fonctionne | - Trop de bugs, d'approximations, de QTE qui marchent mal |
- Quelques innovations intéressantes dans le gameplay | - VF calamiteuse |
- Les options d'accessibilité toujours top | - La série commence à tourner en rond |
- Quelques tentatives de mise en scène assez audacieuses | - Le scénario manque d'idées fortes |
- Le mode coop et ses variantes, toujours un régal | - Même selon les standards assez faibles de la série, trop d'incohérences narratives |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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