Dans The Crush House du studio Nerial (Reigns, Card Shark...), vous incarnez le rôle banal d'une réalisatrice de téléréalité à l'époque du tout début du phénomène, à la fin des années 90. Mais, tout n'est peut-être pas si simple dans la maison des secrets.
Je n'aime pas du tout la téléréalité en général, même si j'étais techniquement la cible du machin, puisque j'étais adolescent au moment de la diffusion du premier Loft Story. Mais si, souvenez-vous, cette émission où l'on enfermait une dizaine de jeunes plus ou moins intéressants avec énormément d'alcool dans une maison témoin Ikea. La piscine, DJ Jean-Edouard, tout ça. Très rapidement, j'ai trouvé ce style (et ses sous-genres, allant des concours de cuisine aux faux éducateurs spécialisés pour cassos en passant par de la danse pour célébrités has been) assez ennuyeux. Oui, c'est des gens, ils font des trucs. Voilà. Qui, pourquoi, pour me raconter quelle histoire, j'avoue que tout ce que ça provoque chez moi, c'est généralement du dodo. Même les émissions présentées comme le haut du panier, comme a pu l'être un certain Terrace House avant sa fin tragique, elles ont un mal fou à me passionner. Je pense néanmoins qu'il y a énormément de choses à raconter autour de la real TV. Comment on la fait, pour qui, pourquoi, que dit-elle de nous ? Je pense d'ailleurs que le jeu vidéo a un peu raté le coche quand il s'agit de parler de ce sujet : très peu de titres se penchent sur un genre médiatique pourtant central dans le monde du divertissement depuis près de trente ans. Du coup, j'avais un peu l'espoir que The Crush House ait quelque chose à dire de tout ça. Oups, c'est raté.
Alors audience
The Crush House propose des mécaniques de jeu extrêmement répétitives, et c'est tout à fait normal, c'est au cœur de son propos. Vous êtes Jae, assistante de réalisation chargée de cadrer les aventures des gugusses qui peuplent une maison à l'esthétique vaporwave très sucrée. Chaque jour, on vous dit quel public la chaine veut satisfaire : les amateurs de drama, les personnes romantiques, les pyromanes, les plombiers, les amateurs de fesses, les complotistes, et j'en passe. À vous donc de filmer, selon les cas, des gens en train de s'engueuler, de se pécho, des feux de cheminées, des scènes artistiques ou des plantes. Et, si possible, en trouvant des angles de caméra capables de combler plusieurs désirs à la fois. Le tout bien entendu sans oublier de diffuser régulièrement des publicités abrutissantes, business is business.
Et… C'est à peu près tout ? Il y a évidemment des variations à ce jour sans fin consistant juste à remplir une jauge d'audimat. Les candidat⸱es du show vont vous demander des trucs, une fois la caméra éteinte, dans ce qui s'apparente à un système de quêtes annexes. Les filmer sous leur bon profil. Éviter de les montrer en train de boire. Accentuer tel ou tel de leur trait de caractère à l'écran. Acheter une piste de danse pour qu'ils puissent se la raconter. Mais The Crush House insiste finalement surtout sur le vide : suivre des gens en train d'errer sans but dans une maison qui pue le décor en carton-pâte, c'est précisément tout sauf amusant. En particulier quand on réalise que notre rôle là-dedans consiste avant tout à gagner des bonus pour acheter des objets décoratifs pour embellir la maison afin de les filmer et de gagner plus de bonus, et ce, un peu sans fin ni but apparent. Si ce n'est de voir le show reconduit pour une saison supplémentaire.
Assurément, c'est intéressant sur le papier. Puisque au beau milieu de la démarche, fatalement, on se retrouve à devoir pratiquer ce que font tous les producteurs de ce genre d'émission : de la déshumanisation. Très vite, on ne filme plus Émile le beau gosse, mais un asset qui fait monter un barème de points. On ne cherche plus à faire un plan intéressant, mais juste à foutre une canette de soda ou une statue au milieu du champ, parce que c'est pour ça qu'on est là. Il aurait cependant fallu, je crois, que ce discours très cliché, mais très efficace, sur la société du spectacle soit soutenu par une écriture un peu plus élaborée.
Secret sorry
Pour vous maintenir un minimum éveillé, il fallait bien que The Crush House essaye de parler d'autre chose que d'un discours plan-plan sur le cynisme des émissions de télé. Alors, The Crush House finit assez rapidement par avoir un scénario. Très vite, j'ai réalisé qu'il se passait des choses durant les phases de nuit (quand les caméras sont éteintes). Qu'il y avait d'autres gens que moi et les candidat⸱es dans le coin. Que le bâtiment dans lequel je me trouvais avait des parties étrangement inaccessibles.
La partie "enquête" du jeu, si elle est assez sommaire et ne vous demandera quasiment aucune forme de réflexion poussée, n'en demeure pas moins une tentative de rajouter une couche un peu meta sur ce bête travail de caméraman d'access prime time. Mais, hélas, c'est un peu là où The Crush House a, à mon avis, raté le coche, et ce, pour deux raisons.
D'une part, il faut bien admettre que tout ça n'est pas très bien écrit, et que toutes les révélations tombent généralement à plat. Le "secret" de la maison est finalement assez convenu, et j'aurais apprécié quelque chose d'un poil plus audacieux ou novateur. Mais surtout, d'autre part, il m'a semblé que The Crush House se terminait de manière étrangement abrupte, comme s'il manquait un acte entier. Ou que le studio Nerial s'était trouvé un peu à l'étroit dans son propre format.
À vrai dire, je me suis trouvé assez incapable de dire si ce côté très rushé et approximatif de la conclusion du jeu était intentionnel ou non. Après tout, dans cette histoire, on m'a fait comprendre un nombre incalculable de fois que tout pouvait s'arrêter très vite et sans retour en arrière possible si le public n'était pas satisfait. Une annulation pure et simple du show pour cause d'ennui, et c'est un game over brutal qui m'attendait. Ironiquement, c'est exactement ce qui s'est passé : je n'étais pas très satisfait de ce à quoi j'étais en train d'assister, et pouf, d'un coup, The Crush House s'est achevé, me poussant à passer au jeu suivant de mon énorme et honteux backlog. Si ça se trouve, au fond, c'est moi le problème.
The Crush House a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Je ne sais pas trop si The Crush House vise un public qui adore les téléréalités d'enfermement ou, au contraire, des gens qui ont un regard ironique et désabusé sur la question. Sa mise en scène de l'ennui, de la pression absurde de l'audimat et de l'interdépendance entre les acteurices de ces émissions et le marché de la publicité soulève des questions intéressantes. Il faut admettre que c'est tout de même un peu plus fin qu'un étudiant en première année de sociologie qui porte un t-shirt à imprimé Guy Debord en train de vous réciter une vidéo d'Usul sur Bourdieu. Mais, hélas, je crains qu'il n'en reste tout de même dans quelque temps que le souvenir d'un jeu d'aventure mollasson, répétitif et s'achevant un peu en queue de poisson.
Les + | Les - |
- L'esthétique vaporwave, bien trouvée | - Le scénario finalement très convenu |
- L'idée d'un jeu d'aventure dans un contexte de Real TV | - On s'ennuie quand même assez vite |
- Impression que tout cela s'arrête un peu vite | |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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