Sorti en 2020 dans une relative discrétion sur le non moins discret service Apple Arcade et débarquant désormais sur Steam, The Collage Atlas est un jeu signé par l'artiste John William Evelyn. Bien que je ne sois généralement pas fan de cette manière de catégoriser les choses, il me semble cependant que cette œuvre a une intention davantage plastique que vidéoludique. Ce qui n'est selon moi pas du tout un problème.
Je me souviens qu'il y a quelques années, j'avais assisté à une exposition sur les jeux vidéo à la Cité des Sciences, qui avait consacré une salle entière à une expérience immersive dans le Flower de Jenova Chen. Il est vrai que dans un contexte de visite collective, de sonorisation particulière, dans une salle obscure et sur un écran géant, l'œuvre de Chen prenait un sens différent. Ce n'était plus "juste" une petite expérience contemplative vite parcourue sur Steam ou sur Xbox 360, c'était, soudain, une expérience collective, immersive et mise en contraste avec la production plus "classique" exposée dans le reste de l'événement. The Collage Atlas m'a fait penser à cette expérience, parce qu'il s'agit du même genre d'œuvre, très personnelle, voire intime, qui cherche davantage l'être sensible en vous que le gamer. Si la narration ou le gameplay ne sont pas tout à fait réduits à leur plus simple expression, ils sont surtout au service de la toile poétique tissée (à la main) par Evelyn. Le tout prend la forme d'une sorte de livre pop-up en noir et blanc rempli d'aphorismes à collecter pour reconstituer le fil de la pensée de l'auteur. On aime ou pas la démarche. Moi, elle m'aura laissé, hélas, un peu indifférent. Et plutôt à cause de sa partie purement ludique qu'à cause de son recueil de pensées intimes.
Poète Poète, je suis un potiblagueur
Il faut avant tout rendre hommage à l'immense quantité de travail nécessaire pour parvenir à un résultat comme celui de The Collage Atlas, qui a donc été entièrement conçu, pensé et dessiné par une seule personne. Si l'on vous recommande de ne surtout jamais en faire votre plan de carrière, ce genre de prouesse (rare) donne tout de même des résultats assez intéressants par le côté singulier de leur vision du jeu. Celle-ci ne repose en effet que sur l'idée d'une seule personne, avec la radicalité que peut avoir une toile de peinture ou une photographie et qu'ont rarement les jeux. Ces derniers sont en effet l'immense majorité du temps des œuvres collectives.
The Collage Atlas est donc la vision esthétique et thématique d'une seule voix, celle de John William Evelyn, qui nous propose de passer quelques heures à, en quelque sorte, explorer l'intérieur de sa psyché. On comprend assez vite qu'il n'est pas du tout question ici d'un jeu d'aventure narratif traditionnel, le seul fil rouge étant la reconstitution d'un carnet de mots et de phrases aux pages éparpillées dans les décors. On saisit vite aussi que notre marge de manœuvre sera assez contrainte : pas question de se balader dans de grands espaces façon chasse aux œufs de Pâques. Le jeu est charpenté en niveaux assez étroits, qui attendent de vous que vous fassiez tout dans un ordre assez précis. C'est parfois frustrant, puisque The Collage Atlas vous laisse quand même pas mal de liberté pour vous promener dans ce qui s'avère, en pratique, être un ensemble d'immensités blanches engoncées dans des murs invisibles.
C'est sans doute le principal problème de cette aventure. Elle ne parvient jamais à totalement lâcher la bride à son propos purement poétique et la contraint à rester assez prisonnière de formes de gameplay rudimentaires qui ne marchent jamais très bien, j'y reviendrai. En ce qui concerne le fond du propos, je vais être honnête, cette longue dissertation sur le temps, la création et la résilience ne m'a pas spécialement touché. Mais c'est un peu le propre de ce type de démarche artistique introspective : si cela m'a laissé de marbre, il se peut que cela vous touche profondément.
C'est pas du jeu
Attention, je ne souhaite pas tomber dans l'éternel débat "est-ce que tel truc qui s'écarte de la norme est un jeu ou non". C'est rarement intéressant, et de toute manière, oui, The Collage Atlas est formellement "un jeu". Il l'est même beaucoup plus que nombre de visual novels et autres expériences du genre en ce que sa structure est intrinsèquement vidéoludique.
Il y a des niveaux, des épreuves, des portes à ouvrir, des mini-jeux, de la plateforme, des passages secrets et même d'une certaine manière du scoring (le nombre de pages trouvées). Le problème est, je crois, que tout ceci parasite pas mal un propos qui aurait pu être plus narratif et fluide encore, et se perdre un peu moins dans un ensemble de sous-mécaniques qui ne s'avèrent que médiocrement plaisantes. Quand il s'agit d'une course-poursuite contre une lanterne folle dans un paysage qui défile ou d'une phase de cache-cache avec une clé nécessaire pour avancer, passe encore. Quand The Collage Atlas se pique de devenir un platformer ou de nous faire taper dans un ballon avec un moteur physique terriblement imprécis, on grince des dents.
Je pense néanmoins que ces moments de gampelay qui viennent sans arrêt interrompre la découverte de nouveaux pans du cahier sont en partie dus à l'origine de cette œuvre, un jeu sur tablette. La plupart des interactions consistent à toucher, tirer, secouer, agiter des lettres, des feuilles ou divers éléments interactifs. C'est sans doute beaucoup plus immersif sur un iPad que via une souris ou une manette, qui donnent l'impression d'enchaîner les essais de hochets là où on aimerait juste découvrir les splendeurs du prochain tableau. Mais après tout, c'est le propre d'une œuvre d'art que de pouvoir être perçue différemment selon le contexte dans lequel on l'apprécie, non ?
The Collage Atlas a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Si je parlais d'indifférence lors de mon introduction, ce n'est pas pour dire que The Collage Atlas n'a pas d'intérêt, bien au contraire. Je pense simplement que tout est une question de timing. Il s'agit d'une expérience qui nécessite, je crois, d'être vécue dans les bonnes conditions. Un moment où il vous semble, par exemple, possible de passer deux ou trois heures à partager les rêves et les réflexions d'un auteur faisant le point sur sa démarche créative. Car au fond, chaque impulsion que vous donnerez à votre manette ou à votre clavier ici ne servira qu'à cela : dévoiler de manière plus ou moins poétique un pan de la psyché de l'auteur. Il y a, je pense, une vraie place pour ce genre d'expériences un peu abstraites et expérimentales dans le marché des jeux vidéo narratifs. Et si celui-ci m'a un peu laissé sur le côté, il reste une prouesse esthétique teintée de poésie que je vous recommande, pour peu que ce soit le type d'expérience qui vous fait vibrer.
Les + | Les - |
- C'est très beau | - La progression est parfois nébuleuse |
- Le propos introspectif est assez intéressant et optimiste | - Quelques phases de gameplay très imprécises |
- Pas mal de petites surprises à dénicher dans les différents chapitres | - Quelques bugs irritants |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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