Entrez, aventuriez dans mon joyeux estaminet, et posez-vous un instant ! C'est l'heure de découvrir Tavern Talk, dernier jeu en date d'une tendance bien réelle du gaming : le simulateur de blabla dans un bar. Ne partez pas, je vous promets que c'est amusant.
Moi, c'est l'aubergiste. Une figure bien connue de tous les aventuriers et les aventurières du coin, qui ne demandent pas mieux que de venir récupérer des quêtes, boire une potion magique pour booster leurs statistiques et discuter avec de potentiels futurs membres de leur groupe. Et tout ça, c'est un peu mon job, bien sûr. Et écouter. Écouter beaucoup. Écouter longtemps. Après tout, c'est bavard, un aventurier. Certains vous diraient même que ça ne veut jamais la fermer, ni en venir au fait. Mais ce n'est pas grave, on est bien, on a le temps. Peut-être pas autant qu'on pense, ceci dit, puisque plus les jours avancent et plus il semble que les signes de l'apocalypse se multiplient. Mais en attendant qu'elle arrive, rien de mal à s'en remettre un petit derrière la cravate.
Raconter des beaux bars
Tavern Talk est-il un jeu ? Lancez le débat sur un réseau social, n'obtenez que de mauvaises réponses. D'autres titres comme VA-11 Hall-A, Coffee Talk et autres Night Call consistent pour l'essentiel à parler à des clients que vous rencontrez ponctuellement. Mais la dernière production de Gentle Troll Entertainment met les potards de l'interactivité au minimum, même selon les standards de ce type de productions. Est-ce que c'est un problème ? Non. Est-ce que c'est clivant ? Oui, surtout au regard du ton vraiment particulier adopté par un récit qui met beaucoup, beaucoup de temps à se déplier. Tavern Talk se vend comme un jeu "cosy". D'une certaine manière, il ne l'est pas tant que ça, du moins pas quand on commence un peu à s'intéresser à ce qu'il raconte. Mais par contre, c'est incontestablement un jeu lent qui n'a pas peur de vous amener ponctuellement aux limites de l'ennui.
Les "jeux de management de clients bavards" sont très souvent interrompus par des séquences de gameplay, de déductions ou d'enquêtes chargées de rythmer un peu l'ensemble. Cette dimension est bien présente dans Tavern Talk : j'ai régulièrement dû fabriquer des boissons et assembler des quêtes pour contenter mes clients. Mais il y a ici une absence de challenge et de variation presque étonnante. Les clients habitués veulent toujours plus moins la même boisson, les quêtes se récoltent et s'assemblent de manière quasi automatique, et je me suis parfois demandé à quoi je servais, en fait.
Alors, certes, au fil de l'aventure, la possibilité de varier les cocktails avec des infusions change très légèrement la donne, mais cette possibilité est terriblement sous-exploitée. Idem pour les choix de dialogues offerts (rarement) dans les conversations : leur importance varie assez peu, à l'exception de quelques moments clés. Par exemple, on m'a plusieurs fois demandé de choisir entre plusieurs boissons différentes pouvant donner des bonus de stats opposés à mes clients, ce qui les fera agir de manière différente pendant telle ou telle quête. Mais tout ceci demeurant en bonne partie cosmétique, et j'ai dû me rendre à l'évidence au bout des quelques heures d'une run qui en durera en tout une quinzaine : si Tavern Talk tient sur quelque chose, c'est uniquement sur son écriture, mise à l'honneur par une direction artistique et sonore exemplaire.
Salon de Fées
Les premières heures du jeu laissent entrevoir une structure légèrement décourageante, même si tout ceci est fort joli : un client (parfois deux) entre dans le bar, déverse ses malheurs, ses problèmes et ses doutes, vous colporte des rumeurs et vous demande à boire. Comme toutes les conversations de bar, ça n'a de temps en temps absolument ni queue ni tête, c'est régulièrement incohérent, et pas toujours agréable. Certains des clients étaient des amis de longue date que j'étais ravi de voir débarquer, à l'image de l'elfe Fable et ses problèmes de confiance en soi. D'autres en revanche avaient des conversations pénibles et fastidieuses, n'hésitant pas à m'étaler leur impolitesse en pleine face. Mais surtout : c'était long. Les conversations prennent souvent quinze, vingt, vingt-cinq minutes pour n'aboutir parfois qu'à des anecdotes pas folichonnes ou un développement de personnage assez mineur.
Mais, au bout de quelques heures, j'ai compris où Tavern Talk voulait en venir, en dévoilant un scénario beaucoup plus travaillé et malin que de simples anecdotes de bistrot. Sans rentrer dans des spoilers qui seraient ici malvenus, disons qu'on vous fera comprendre assez vite que vous ne savez pas exactement qui vous incarnez. Ni même si l'on vous a placé dans les pas d'un narrateur tout à fait fiable. À mesure que le puzzle s'est mis en place, je n'ai certes pas crié au génie ou au jamais vu, n'exagérons rien, mais je dois dire que j'ai vraiment apprécié de me faire un peu balader par un jeu à l'image de son casting : assez malicieux.
Et puis il y a eu ce sentiment d'attachement qui finit par prendre, au moins pour les personnages les plus truculents fréquentant l'établissement. Tavern Talk a l'intelligence de ne pas tout montrer, de faire évoluer son casting en dehors de votre champ de vision et de vous réserver ainsi de belles surprises en matière de construction de personnages. Là encore, difficile de dire qu'on touche au sublime, mais c'est tout de même bien plus futé qu'il n'y paraît à première vue.
Tavern Talk a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch.
Si j'ai quelque chose à rapprocher à Tavern Talk, ce n'est pas tant son rythme flirtant parfois avec une certaine mollesse que son approche du genre. Pourquoi, finalement, coller un mini-jeu de barista et un système de cartes et de quêtes si c'est pour en faire aussi peu de choses ? Jeu qu'il est, de plus, impossible d'automatiser, même si on a déjà préparé la même boisson une quinzaine de fois : on a connu exercice moins monotone. En revanche, si l'on arrive à passer outre et à accepter un contrat consistant à lire des kilomètres et des kilomètres de conversations (qu'il est par ailleurs impossible de sauter même si on les a déjà lues dans une run précédente), on peut sans problème embarquer dans le délire. Pour faire mouche à 100%, il me semble cependant que l'aventure aurait pu être un tout petit peu mieux rythmée et un poil plus dense. Mais même cela, je le nuancerai légèrement : pour arriver à rendre une critique dans les temps, nous autres rédacteurs devons souvent faire de grosses sessions de jeu d'affilée. Or, je pense que Tavern Talk s'apprécie beaucoup mieux par petites parties régulières de quelques dizaines de minutes, ce qui rendra, je crois, ses moments plus creux nettement plus digestes.
Les + | Les - |
- C'est incroyablement beau | - Le mini jeu de gestion de bar plutôt sans intérêt |
- Les personnages sont attachants | - Un bouton "skip" pour certains dialogues n'aurait pas été de trop |
- Révèle quelques surprises de taille | - Quelques grosses baisses de rythme |
- Le jeu sur l'identité du personnage principal est intéressant | - Certaines conversations tournent au bavardage un peu fastidieux |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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