Tales of Kenzera: ZAU, c’est, avant toute chose, l’histoire d’Abubakar Salim, acteur de films et séries (Napoléon, House of the Dragons, Raised by Wolves) et comédien de doublage (Assassin’s Creed Origins, Diablo IV, Stray Gods). Et c’est surtout l’histoire de son processus de deuil, après le décès de son père il y a de ça 10 ans. Tales of Kenzera est ainsi à la fois un hommage à un père développeur, conteur et ayant initié son fils aux jeux vidéo, une œuvre profondément introspective de son propre deuil, mais essayant d’atteindre une portée plus universelle sur les concepts mêmes de deuil, de perte et de mort, et une représentation de la culture bantoue au Kenya, dont sa famille est issue.
Le propos et l’intention derrière le jeu sont touchants, profonds, sincères. On a de plus besoin de cette représentation dans l’industrie, du moins de représentations qui vont à l’encontre d’une certaine hégémonie du mec blanc hétéro trentenaire barbu du côté des protagonistes et d’une large prédominance de l’Europe de l’Ouest, des États-Unis et du Japon dans les cultures représentées dans nos médias, et donc nos jeux vidéo. Avec son mélange d’afrofuturisme et de folklore kényan, Tales of Kenzera apporte des personnages, une esthétique, un propos et une culture que l’on ne voit que trop peu, voire pas du tout, dans le jeu vidéo, et que j’avais hâte de découvrir, autant pour son histoire que son esthétique et son gameplay. Et tout ceci me place dans une position assez inconfortable car, à mon grand regret, je dois avouer avoir passé un moment assez pénible et crispant sur le titre de Surgent Studios et Abubakar Salim.
Mieux vaut être seul que mal accompagné
Je n’avais pas encore évoqué le gameplay, mais Tales of Kenzera est un metroidvania. Un metroidvania extrêmement scolaire (et franchement léger en termes de contenu et d'exploration), auquel on peut cela dit reconnaître quelques points positifs : c’est très joli, ça bouge très bien et le moveset de départ est inhabituellement riche, puisque l’on commence directement avec le double saut et le dash — ce que je souhaite désormais voir dans tous les jeux du genre, j’en ai assez de devoir repasser par cette étape à chaque fois. Pour le reste, c’est vraiment très classique, autant du côté du level design que du reste des capacités à débloquer ou des mécaniques de combat : tout est parfaitement convenu et, à vrai dire, ça ne m’a pas dérangé. J’ai même cru tout le long du premier acte que ce serait le seul tout petit reproche à lui adresser.
Malheureusement, passé le premier tiers, on remarque de plus en plus de petits défauts qui viennent parasiter l’expérience et qui, par accumulation, en deviennent de gros. Des trucs a priori tout bêtes, comme la carte qui se dévoile immédiatement et intégralement dès qu’on entre dans une zone, ce qui rend le backtracking très compliqué, puisqu’on ne sait plus quels secteurs ont été visités ou non, d’autant que le jeu ne permet pas de placer le moindre repère ou indicateur. Ou de longues séquences de poursuite, sans checkpoint et avec des pièges mortels, le tout baignant dans une affreuse ambiance de die & retry, avec option hitbox hasardeuse. Et puis on se rend compte que le bestiaire ne s’enrichit presque pas, et que la seule manière d’augmenter la difficulté dans les phases de combat est d’augmenter la quantité d’ennemis dans les arènes. Que passer en mode de difficulté facile rend les combats ridiculement simples, mais n’a aucun impact sur une plateforme pourtant assez corsée et technique sur la fin. Et que, définitivement, ces boss fights ne sont pas bien intéressants et se résument à quelques patterns répétés ad nauseam jusqu’à l’épuisement de sacs à PV.
Tout ceci rend l’expérience Tales of Kenzera vraiment désagréable, tout particulièrement lors d’un acte 3 qui m’a amené dans les retranchements de ma patience. Un reproche que j’adresserai cependant plus au label EA Originals qu’à la jeune et petite équipe de Surgent Studios. Je tenais le même propos dans ma critique de Pepper Grinder à l’encontre de Devolver Digital : je ne comprends pas ce qu’il s’est passé du côté de l’édition et du publishing. Je ne comprends pas comment un éditeur aussi gros qu’EA n’a pas pu voir les problèmes, qui ne pouvaient être qu’évidents lors de playtests. Quand on lit les interviews d’Abubakar Salim et de son équipe, on voit que ces dernier·e·s avaient une vision bien précise de leur jeu, de la signification des zones, des mécaniques, de la structure, du genre choisi, une vision qui, sur le papier, se tient tout à fait, et qui n’est à vraiment pas grand-chose de tenir en vrai. Et je pense que le rôle d’un label comme EA Originals n’était pas seulement de financer, marketer et distribuer le jeu, mais aussi d’assister, d'accompagner le studio, faire part de retours. C’est aussi pour cette raison que ce genre de labels existent, pour cet apport d'expertise. Et c’est pour moi le plus gros échec de l’entreprise, celui de ne pas avoir su guider Surgent Studios dans la transposition de leur idée de Tales of Kenzera.
Un propos touchant malmené par son game design
Ce qui m’amène au second souci que j’ai pu rencontrer sur Tales of Kenzera, qui aurait cela dit été atténué si le gameplay du titre ne m’avait pas autant gonflé. Si l’on écoute Salim et son équipe, le fond et la forme du jeu sont liés et se répondent. La nature des zones, la structure du jeu, le genre même du metroidvania sont censés faire partie de la métaphore du deuil et apporter quelque chose au propos. Ce qui était une autre source d’enthousiasme pour moi : je suis absolument ravi que le choix du metroidvania, de l’action, du platformer soit fait dans le cadre d’un jeu introspectif, qui est bien trop souvent cantonné aux genres du VN ou (souvent injustement nommés) des walking sims. Deux genres de jeux dont je suis friand mais qui ne permettent pas d’explorer tous les spectres narratifs que l'on pourrait trouver dans d’autres gameplay.
C’était donc un parti pris intéressant, d’autant que le choix du jeu vidéo pour raconter cette histoire était directement justifié par la relation d’Abubakar Salim avec son père, et que le genre du metroidvania était présenté comme une métaphore du deuil : "plus on y passe de temps, et plus il devient confortable", expliquait-il à VentureBeat. Jusqu’au choix des couleurs, tirées des rites funéraires bantous, de la nature des zones, références directes au propre vécu de Salim, ou de l’ambiance des différents actes, pensée comme une transposition des étapes du deuil.
Malheureusement, encore une fois, je trouve que tout ceci atteint vite ses limites. D’un point de vue narratif, beaucoup trop de choses passent par des dialogues omniprésents qui ont tendance à sévèrement plomber le rythme de l’action, ou se dérouler pendant des phases de combat ou de plateforme, ce qui fait qu’on ne les écoute que d’une oreille, tout concentrés que l’on est sur l’action. De même pour l’enchainement des phases de jeu, qui propose assez artificiellement des suites de plateforme/combat/narration, souvent sans tellement de liens entre elles. Pire, les imprécisions du gameplay et l’aspect punitif de certaines séquences tapent tellement sur les nerfs qu’elles empêchent de pleinement apprécier les séquences plus narratives et touchantes qui suivent.
C’est triste à dire mais le gameplay de Tales of Kenzera a trop souvent tendance à saborder son message, ce qui est un comble pour un titre avec de telles ambitions narratives. Difficile d'être dans le mood pour la quête de Zau, quand on vient de passer les trente dernières minutes à perdre en boucle sur une séquence de poursuite nulle, frustrante et mal fichue. Dans l'autre sens, le jeu vidéo vient défaire ce que la narration vient juste de mettre en place. L'ultime chapitre en est un tragique exemple : le titre se sent obligé de nous faire combattre un dernier boss après une longue phase narrative et introspective qui aurait tout à fait pu conclure le titre. Repartir sur un autre combat médiocre en plusieurs phases peu inspirées tue malheureusement toute la tension dramatique mise en place juste avant.
Tales of Kenzera: ZAU a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur PlayStation 5, Xbox Series et Nintendo Switch.
Si je ne peux que saluer la proposition de metroidvania afrofuturiste de Tales of Kenzera et ses représentations de la culture bantou et kényane, si je ne peux être que touché par la fresque introspective d'Abubakar Salim dans sa quête personnelle de deuil et sa volonté d'en faire un récit universel, je n'ai malheureusement pas passé un bon moment sur le résultat final. La faute à un game design imprécis, frustrant, mal conçu, et une narration qui s'articule bien mal avec le gameplay, plombant ainsi le message pourtant juste et sincère véhiculé par le titre. Tout ce que je souhaite, c'est que Surgent Studios continue dans la licence Tales of Kenzera : l'esthétique, l'univers, le moveset sont de très bonne facture, et il ne faudrait pas grand-chose pour qu'un second opus rectifie le tir et rende justice à la vision de son auteur.
Les + | Les - |
- C'est très joli, tant sur le plan esthétique que technique | - Des défauts de game design qui le rendent frustrant |
- Gamefeel très agréable | - La carte complique l'exploration |
- Le moveset de départ est déjà complet | - Le gameplay a trop souvent tendance à plomber la narration et son message |
- L'aspect metroidvania est quand même très léger |
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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