Extrêmement bizarre. Ce sont les deux mots qui me viennent après les quinze heures de complète confusion dans laquelle m’a plongé mon voyage dans Super Daryl Deluxe. Projet débuté sur les rangs de l’école et bricolé depuis 2012 par une équipe pléthorique d’un développeur, de deux musiciens et d’un dessinateur, cet action RPG mâtiné de metroidvania est une des expériences les plus uniques et les plus farfelues qu’il m’ait été donné de voir. Du scénario au gameplay, en passant par le design du moindre PNJ, rien ne va vraiment droit dans ce Super Daryl Deluxe des New-Yorkais de chez Dan & Gary Games… Et pourtant, quelle belle surprise !
Ils s’appellent Dan Plate et Gary Porter. Ils se sont rencontrés sur les bancs du collège, sont devenus copains comme cochons, et ont décidé, une fois à la fac de technologie de Rochester, de créer un jeu vidéo. Et voilà que pouf, six ans plus tard, après avoir bouclé un kickstarter et obtenu diverses bourses suite à des concours de création et autres Game Jams, ils livrent sur PC, Switch et PS4 exactement ce qu’ils avaient imaginé dans leurs esprits embrumés de gamins boutonneux : n’importe quoi. Un n’importe quoi qui porte le doux nom de Super Daryl Deluxe, auquel je vais tenter de rendre justice, un peu comme quand on se retrouve, sobre et migraineux un lendemain de fête, à expliquer une blague absurde entendue au plus fort de la soirée.
De la paix dans le monde, des dimensions parallèles et des bandeaux ninja
Vous ne le saviez peut-être pas, mais il y a une quarantaine d’années, un best-seller de développement personnel s’est si bien vendu et a eu une influence si positive sur l’inconscient collectif que la Paix dans le Monde a rapidement été déclarée. Du moins c’est ce que nous pensions. Une catastrophe apocalyptique et quelques décennies plus tard, le souvenir de ces tristes événements s’est perdu. Ce qui est certain c’est que Daryl, grande saucisse à moustache coiffé d’un bandeau ninja, improbable clone de Napoléon Dynamite avec un adjuvant d’ADN de Patrick Topaloff, n’a jamais vraiment entendu parler de tout ça. Adolescent quasi muet, au regard halluciné et à la bouche pendante sous sa petite moustache éparse, le voici transféré en tant que nouvel élève d’un banal lycée américain, avec l’objectif de se faire un maximum d’amis -ce qui dans son esprit semble se résumer à accomplir les moindres desiderata de tous les imbéciles qui croisent sa route.
Faisant rapidement la connaissance de deux crétins malveillants qui vont l’envoyer cueillir des fleurs dans la dimension parallèle située derrière le jardin, puis explorer l’espace-temps confiné dans le laboratoire de science, Daryl va rapidement acquérir l’expérience nécessaire pour débloquer ses premières compétences : frapper les gens avec un balai, faire des éclairs avec ses lunettes, etc. : La routine. Tout va néanmoins s’emballer quand, en quête de guano de chauve-souris vampire dans les conduits d’aération du lycée pour faire du commerce avec le marchand de vêtements pour bébé du… Daryl va tomber sur… une fille qui… Non. Au fond, non. Ce n’est vraiment pas la peine que j’essaye de vous raconter Super Daryl Deluxe. Super Daryl Deluxe ne se raconte pas. Il se regarde. Hébété. Stupéfait.
Stupéfait quand d’un coup d’un seul, vous vous retrouvez à errer dans des couloirs hantés par des fantômes qui jouent du trombone. Pétrifié quand la salle d’histoire est littéralement une porte béante qui donne sur le passé. Ahuri quand vous finissez par surfer sur des requins enragés tandis que des vautours vous crachent du feu ou que la mascotte du lycée (un véritable ours brun avec un t-shirt) hurle sur les membres du club de jeu de rôle en guise de conversation.
Long d’une quinzaine d’heures de délire visuel, sonore et ludique qui oscille entre Dali, les Teletubbies et un film de Cheech & Chong, Super Daryl Deluxe est une des expériences narratives les plus indescriptibles de cette année. Avec son premier abord de énième tentative de surfer opportunément sur la nostalgie des années 80, le jeu de Dan & Gary peut dérouter quand, une fois en main, il s’avère être le diamant brut d’une histoire tarabiscotée imaginée par deux andouilles pas très préoccupées par des notions parasites telles que la cohérence ou le bon goût. Les deux pieds sur l’accélérateur de la folie, Super Daryl Deluxe étonne à chaque instant, rien ne semblant avoir été prévu pour aller dans le bon sens. On se surprend à penser, au détour d’une quête de vol de cheveux ou de tabassages de hiéroglyphes, qu’il y a plus d’idées là-dedans que dans un Far Cry développé avec cent million de dollars par 400 personnes. Un scénariste, un dessinateur, de l’imagination, et c’est parti. Quitte à ce que par moment, l’ensemble soit vaguement confus et un poil verbeux.
Esthétique de n’importe quoi
Je n’ai pas envie de m’étendre sur le gameplay de Super Daryl Deluxe. Il n’est pas dénué de bonnes idées (avec ses très nombreuses compétences à débloquer qui vont vous créer un style de combat unique aux possibilités variées), mais l’essentiel n’est pas vraiment là : à l’instar d’un Guacamelee, Axiom Verge ou des Shantae de WayForward, Super Daryl Deluxe est « juste » un Metroidvana comme tant d’autres. On explore des salles, on débloque des compétences, on tape sur des trucs, on débloque d’autres salles avec nos nouvelles compétences, et ainsi de suite. Disons simplement que le titre de Dan & Gary se situe plutôt dans le haut du panier en terme de possibilités : les attaques déblocables et les upgrades associées se comptent en dizaines, et s’adaptent bien au style de chaque joueur. A l’instar de ce qu’avait essayé de faire Remember Me en son temps, il vous conviendra de créer vos propres combos, avec des possibilités assez profondes et intéressantes. Vous pourrez vous faire un Daryl très offensif comme vous pourrez préférer un Daryl sournois qui attaque à distance, ou un Daryl lent mais brutal. Ou encore un Daryl équilibré. Il faut de tout pour faire un multivers.
Mais non, ce ne sont pas les combats, les plates-formes et les énigmes de Super Daryl Deluxe qui le font résolument se démarquer de la concurrence. Le titre est ludiquement correct (pas de bugs ni de grosses imprécisions dans les commandes), et compense une aire de jeu un peu déséquilibrée (trop d’allers-retours, manque de clarté dans les quêtes) par des environnements ramassés et variés. Au fond, c’est la direction artistique extrêmement singulière du titre qui sauve son gameplay de la généricité. Remplacer les attaques magiques par des « regards impressionnants » et autres « éclairs de génie » qui verront le personnage adopter des attitudes spectaculairement idiotes, c’est la garantie que chaque nouvelle salle, chaque nouveau pouvoir apportera quelque chose. Même chose pour le bestiaire ou les PNJ rencontrés. Tout est si étrange et si incongru que des Quêtes Fedex a priori agaçantes (collecter des cheveux, des bouts de verre, des haricots, des cahiers de texte…) en deviennent des aventures à part entière. On conseillera néanmoins de se concentrer sur la quête principale, et d’éviter au maximum les allers-retours inutiles (vous en ferez, de toute façon, bien assez par la simple mécanique du scénario principal).
Si Super Daryl Deluxe tire dans tous les sens, il faut tout de même noter que l’univers esthétique créé par Dan Plate se démarque par une cohérence et une sincérité qui font mouche. Quelque part entre une comédie présentée à Sundance et un dessin animé Nickelodéon des années 80, le jeu semble ne ressemble à rien, sans pour autant masquer de nombreuses références. Loin de les placer au cœur de son propos (un boss par-ci, un bout de décor par-là), les coups de coude aux plus attentifs sont nombreux, mais jamais invasifs. Super Daryl Deluxe va parfois chercher des recoins rarement référencés de la tristement fameuse pop culture. De Terry Pratchett aux Monthy Pythons en passant par l’Incroyable Hulk ou le Fantôme de l’Opéra, on s’éloigne, et c’est heureux, des sempiternelles références à Douglas Adams, aux Tortues Ninja et aux film de Spielberg. Mais encore une fois, le propos n’est pas là, tant Super Daryl Deluxe fait des efforts pour laisser ses allusions à leur juste place : celle de simple cameos, des récompenses pour le spectateur attentif et non pas des finalités. Le scénario est si singulier, et si contenu dans sa propre cohérence, que ce n’est que pour suivre la prochaine aventure de Daryl qu’on entend mener le voyage jusqu’à son terme.
Super Daryl Deluxe impressionne jusqu’à son design sonore et à la bluffante OST composée par le franco-américain Adriel Genet, qui évoque tantôt le rock gothique, tantôt les envolées farfelues d’un bon vieux Earthworm Jim. Il n’est pas innocent que les seules personnes embauchées par Dan&Gary pour les aider à boucler le projet soient un musicien et un sound designer. Mettant à profit la liberté offerte par des contextes plus insolites les uns que les autres, les auteurs de la partie sonore et musicale du jeu s’en donnent à cœur joie et tout le titre est un délice à écouter. Super Daryl se joue, se voit et s’écoute.
Pourquoi ce jeu est-il si seul ?
Tout au long de mon trip hallucinatoire dans les pas ondulés de Daryl et son bandeau de bagarre, entre deux traques au vampire et une princesse enfouie sous les égouts, je me suis demandé depuis combien de temps un jeu ne m’avait pas paru contraint. Je ne peux pas parler à la place de Dan&Gary, mais il m’a semblé en jouant que, de leurs idées de collégiens prépubères avec tout ce que cela convoie en terme d’imagination et d’absence de limites, les deux créateurs du jeu n’ont que très peu dévié.
Super Daryl Deluxe est un jeu sans freins, sans bornes et, à première vue, sans aucun souci du qu’en-dira-t-on. Un jeu qui semble ne pas s’être posé la question du « pour qui », et qui semble avoir été voulu, avant tout, pour matérialiser le rêve de deux amis. Peut-être que je me trompe, peut-être qu’il y a derrière ce titre beaucoup de cynisme, mais ce n’est pas l’impression que Super Daryl Deluxe me donne. Et je me suis dit que dans le petit monde des voxels, des battle royales, des clones RPG Maker et autres jeux bourrins avec des zombies, Super Daryl Deluxe était bien seul avec son originalité et sa bêtise insouciante revendiquée.
Les jeux plein de signifiant, très personnels et très parlants sur la volonté de leur auteur, il y en a. On se souvient de Fez, de Papers, Please ou de Her Story. Mais tous ces jeux laissaient libre le champ de l’humour, et du « jeu-blague ». L’humour, en général, fait mauvais ménage avec le jeu vidéo, trop souvent synonyme de simple catalogue de références ou de blagues grasses pour plaire au public de beaufs imaginé par un quelconque service marketing estampillé Cogip2000. Super Daryl Deluxe embrasse ce champ de manière glacée et sophistiquée, en se permettant tous les délires, en partant dans toutes les directions, en ayant jamais peur de perdre son auditoire ou d’aller trop loin. Allez, admettons qu’à certains moments, on ne comprend plus grand-chose, on se perd un peu dans le propos certainement farci de private jokes et d’authentiques souvenirs scolaires de Dan & Gary et qu’on s’agace occasionnellement des défauts d’un jeu qui aurait mérité un poil plus de quality testing (trop d’allers et retours, une map parfois confuse, des quêtes annexes souvent redondantes et un peu longues, la nécessité ponctuelle de grinder). Mais ce sont là de biens menus défauts pour un jeu dont l’immense et principale qualité, outre le fait d’être hilarant, est de ne ressembler à rien ni personne.
Franche rigolade. C’est en deux mots et pas davantage l’impression que m’a laissé Super Daryl Deluxe, étonnant projet créé par une équipe minuscule, qui a su conserver sa personnalité farfelue tout au long de ses six ou sept années de développement. Si la structure du jeu reste pour le moins convenue (c’est un « simple » metroidvania), son ton, sa direction artistique et tout ce qu’il entreprend pour nous faire passer avec une joie constante le propos incroyablement jouissif de ses auteurs étonnent à chacune des 15 heures de l’aventure. Une recommandation sans réserve pour ceux qui souhaitent soutenir une vision du jeu vidéo différente, sans limite, et écrite autrement. Nous attendons le prochain jeu de Dan&Gary Games avec impatience, en espérant que les développeurs auront su garder autant de joie et de malice dans leur prochain projet.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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