On a pas mal critiqué Devolver ces derniers temps, pour leurs jeux à concept qui s’essoufflent trop vite, pour leurs conférences qui finissent par s’auto-parodier, pour leur image de cool kids un peu punks qui commence gentiment à s’étioler, mais il faut bien le reconnaître : au fond, on les aime bien, et on est toujours curieux de voir les prochaines propositions de leur catalogue et leurs formidables trailers. Et puis, à une période où l’on a désespérément besoin de défoncer des nazis, éditer le Sumerian Six d’Artificer, c’est bien aimable.
Oui, je vais bien sûr développer, car le titre possède un grand nombre de qualités, mais je dois avouer que j’étais avant tout là pour buter des nazis par centaines. Et c’est très précisément ce qu’il m’a laissé faire, heure après heure, mission après mission, sans la moindre lassitude : j’ai buté des nazis. Je les ai poignardés, électrocutés, écrasés, explosés, dissous, jetés dans des gouffres, brisés en morceaux. Bon sang que ça fait du bien. Merci Sumerian Six. Merci Artificer.
Nazi s'infiltre
Je dois avouer que je n’attendais pas le studio sur ce créneau. Le créneau de l’infiltration en temps réel j’entends (celui du récit pulp décomplexé était quant à lui plus prévisible), car les devs d'Artificer sont plutôt adeptes du tour par tour, que ce soit avec Showgunners, leur autre titre en développement, ou Phantom Doctrine, quand l’équipe faisait encore partie de CreativeForge Games. Pas de tactical et de XCOM-like ici donc, mais plutôt des inspirations qui viennent lorgner du côté des Shadow Tactics/Shadow Gambit des regrettés Mimimi Games, ou des vénérables Commandos et Desperados.
C’est le moment du petit point infiltration : je me suis convaincu, au fil des années, que je détestais ce genre. La faute à de nombreux titres où l’infiltration, en tant que mécanique principale ou comme séquence un peu secondaire, consiste à marcher accroupi de buisson en buisson en serrant les fesses et croisant les doigts pour que le garde ou le monstre ne se retourne pas, à jeter des petits cailloux et autres bouteilles pour détourner l’attention, à ramper dans d’interminables conduits d’aération. Tant mieux si c’est la came d’un certain public, mais personnellement, je trouve la mécanique hautement désagréable et inconfortable. Et j’avais fini par m’y résoudre : je n’aimais pas l’infiltration.
Sauf que j’en avais fait, ces dernières années, de l’infiltration, que je n’avais simplement pas identifiée comme telle. Ça s’appelait Dishonored, Deathloop, Hitman, Shadow Tactics et les mécaniques d’infiltration ressemblaient beaucoup plus à de l’immersive sim, de la plateforme et du puzzle game qu’à des micro-siestes dans les bottes de foin. Et c’est précisément ce que propose Sumerian Six : une infiltration dynamique, aux possibilités de résolution multiples et qui fait la part belle à la complémentarité des personnages, à la recherche de synergies, à la créativité et l’exploitation du level design.
Death by snu-snumerian
C’est sans aucun doute la plus grosse réussite du titre (allez, à égalité avec : on tue des nazis) : à rebours d’une bonne partie de la production en termes d’infiltration, Sumerian Six est fun, varié, souvent grisant et récompense chaque action, chaque pièce passée, chaque objectif bonus atteint. Sumerian Six ne cache à aucun moment ses inspirations : en empruntant fort aux titres de Mimimi, avec sa pause tactique qui permet de planifier plusieurs actions simultanées, ses cônes de détection, ses capacités de hack’n’slash, il peut se permettre des phases de tuto éclair et nous jeter dans le vif du sujet. Pas d’inquiétude cependant pour les nouveaux et nouvelles venu·e·s, les explications sont limpides, et si vous découvrez le genre, vous pouvez y aller, le titre ne gatekeep en aucun cas l’infiltration tactique. En revanche, préparez-vous à une courbe de difficulté assez rapide, car Artificer nous met très vite face à des zones immenses grouillant d’ennemis de plus en plus féroces.
La bonne nouvelle, c’est que tout est conçu dans le but de créer un gigantesque terrain d’expérimentation. Ce que cherche Sumerian Six avec ces bases secrètes, temples, villages, châteaux et leurs pièces interconnectées remplies de nazis, ce n’est pas de décourager son public face à un défi qui pourrait sembler trop grand, mais lui offrir mille et une possibilités de traverser la carte (et éventuellement d’en massacrer l’intégralité des occupants). En laissant le champ libre sur le chemin à parcourir, la possibilité de tuer ou non les ennemis dans la plupart des zones, en permettant de se remettre d’une alarme déclenchée (mais également de save scum comme un sagouin si on souhaite effectuer ses runs en fantôme), le message adressé aux joueur·euses est clair : fais ce que tu veux, tant que ça t’amuse.
Et on s’amuse, même dans les cartes les plus grandes et aux architectures les plus tarabiscotées. Le level design et la disposition des ennemis met souvent en valeur une ou deux approches un peu évidentes (parfois appuyées par des objectifs bonus) qui clairement invitent à faire usage de l’environnement ou de capacités particulières, ce qui donne de très bonnes phases de puzzle game et de planification. Mais il est souvent possible de twister encore un peu plus fort les règles et possibilités, en arrivant par une autre entrée, en étant plus bourrin que nécessaire, en combinant à l’excès les différents pouvoirs. J’ai parfois rechargé des sauvegardes pour tester différentes approches d’une même zone : non seulement elles étaient pour la plupart viables, mais c’était en plus toujours amusant. C’est là où je trouve l’infiltration de Sumerian Six vraiment intelligente : en donnant tous ces pouvoirs et toutes ces capacités à ses protagonistes, en variant la composition des équipes, en étant malin dans la construction de ses niveaux, il permet un vrai gameplay émergent, pour peu que l’on ait envie de jouer avec ses tremplins, bombes, pouvoirs psychiques, transformations en ours et autres zones d’invisibilité. Gameplay émergent et créativité qui ne peuvent apparaître que face au surnombre et à la menace croissante de ces nazis tout droit sortis d’Indiana Jones et de Wolfenstein.
Une menace qui devient critique à mesure que l’on progresse. Très vite, les ennemis d’élite deviennent insensibles à certaines capacités, obtiennent du blindage, des perturbateurs qui bloquent les pouvoirs de notre équipe, se mettent à nous détecter à travers les murs, à se téléporter ou demandent une action très coordonnée pour en venir à bout, tandis que certains objectifs bonus ajoutent des règles pas toujours évidentes à suivre, comme cette très bonne idée des agents doubles à épargner. Là encore, on peut décider de plus ou moins jouer le jeu, selon le degré de complétionnisme que l’on recherche, l’appétence pour le meurtre méthodique de nazis, le chaos ou la discrétion et, avouons-le, le temps que l’on souhaite accorder au titre (certaines cartes m’ont demandé pas loin de quatre heures pour venir à bout de tous leurs objectifs, et j’entends que l’on veuille avancer un peu plus vite que ça dans la campagne).
Deutsche Qualität
Mais cette incitation à la créativité et à l'expérimentation, elle n'est possible que si le titre est solide sur des appuis beaucoup plus terre à terre. Et c'est notamment grâce à un confort de jeu bien rodé que tout ceci fonctionne. Ma petite préférence revient à la possibilité d'accélérer l'action d'une simple touche, une option qui devrait être présente dans n'importe quel jeu avec des ennemis aux déplacements cycliques. Les niveaux sont longs à finir, mais on passe ce temps à observer, planifier, synchroniser des actions. Pas à attendre minute après minute que ce fichu nazi termine son énième tour de garde et revienne à sa position. Tout est d'ailleurs un peu conçu de cette manière dans Sumerian Six, afin de rendre l'action la plus intéressante et la moins injuste et frustrante possible. Le jeu permet ainsi de poser des balises qui indiquent en temps réel si l'endroit pointé est surveillé ou non, une icône précise à chaque instant si un ennemi est dans la ligne de mire d'un autre, les conséquences de nos actions sont toujours explicitées par l'interface, et rappelle en permanence et de manière discrète ce que peuvent faire ou non nos personnages et ce à quoi sont sensibles ou non les différents types d'ennemis. Le titre délivre ainsi toujours les bonnes informations au bon moment pour prendre la bonne décision. Si une alarme se déclenche, c'est rarement sa faute.
Je dis rarement, car, tout de même, si Sumerian Six est un modèle de conception, il pèche parfois sur le plan technique. Souris qui sort de la carte, pathfinding peu fiable, IA ennemie tantôt débile tantôt omnisciente : rien n'est jamais grave, car les sauvegardes automatiques sont fréquentes et que le titre autorise de save scum comme un goret, mais il faut admettre que ces quelques lacunes peuvent irriter quand elles savonnent un plan méticuleusement planifié. Ce sera de toute manière probablement patché dans les mois à venir, et ça ne gâche pas trop l'expérience, mais c'est le seul point qui aura su me faire râler face à un jeu autrement maîtrisé de bout en bout. Il faut dire que c'est très désagréable d'être interrompu quand on bute des nazis.
Sumerian Six a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Flinguer des nazis, c'est bien. Flinguer des centaines de nazis pendant des heures sans s'ennuyer, c'est tellement mieux. Grâce à sa variété de pouvoirs, d'ennemis et d'objectifs, à son level design inventif et son confort de jeu quasi irréprochable, Sumerian Six peut se permettre d'être ce grand bac à sable d'infiltration et d'expérimentation, où toutes les stratégies, tous les plans se valent, tant que le but est atteint, et que les nazis sont morts. Un rappel que l'infiltration ne se résume pas à se cacher dans les buissons et jeter des petits cailloux, et qu'en l'abordant sous l'angle de l'immersive sim et du puzzle game, on obtient un résultat bien, bien plus enthousiasmant.
Les + | Les - |
- On défonce des nazis | - Quelques pains techniques peuvent gâcher l'exécution d'un plan |
- Une approche fun et créative de l'infiltration | - Les niveaux sont vraiment très longs à finir |
- Une grande variété de pouvoirs, objectifs et situations | |
- L'attention portée sur le confort de jeu et l'interface | |
- L'ambiance pulp/série B fonctionne très bien |
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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