Strayed Lights est un court jeu d'action dont les combats sont basés sur le timing et qui mise énormément sur sa direction artistique onirique pour capter l'attention. Et ça fonctionne.
Nous tenons là la première production du studio strasbourgeois Embers, qui a, je cite, "pour ambition de devenir le studio de référence des jeux au contenu émotionnel fort, au challenge poussé, et au gameplay innovant". C'est tout un programme, car il ne suffit pas de prétendre proposer des jeux mélodramatiques pour faire pleurer dans les chaumières ou de parler d'exigence vidéoludique pour se poser en concurrent de Dark Souls. Néanmoins, il faut bien admettre qu'avec son conte muet mettant en scène une petite flamme devant purifier l'âme de créatures torturées et ses combats au croisement entre Sekiro et Ikaruga, Strayed Lights parvient à faire mouche, tout en se ratant un peu sur la dernière ligne droite.
Ce rêve bleu
Plutôt qu'un scénario à proprement parler, il me semble que Strayed Lights possède avant tout une ambiance. Le jeu, entièrement muet, raconte bien quelque chose. Mais je crois n'avoir guère plus à dire que je ne l'ai déjà fait : vous êtes une flammèche, et vous devez parcourir un monde entre rêve et réalité, plein d'âmes tourmentées à réconforter. C'est absolument superbe, parcouru de jolis artworks, mais le tout reste assez minimaliste et baigne dans une douceur bleuâtre qui tranche quand même pas mal avec le cœur du propos, lui qui consiste à mettre patate de forain sur patate de forain à des trucs en feu.
En dehors de cette dissonance ludo-narrative parfois étrange, tout juste pourrait-on reprocher à Strayed Lights le fait de ne pas beaucoup s'écarter de ce décor céruléen éthéré pour explorer d'autres registres un peu plus variés. Certains actes et courts niveaux s'y risquent avec succès, avec quelques passages enchanteurs dans des grottes mystérieuses ou des champs baignés de lumière. Néanmoins, l'ensemble reste assez monotone. Mais puisque c'est du monotone plutôt joli, on finit par adhérer à la proposition. D'autant plus que ce côté plutôt léger et vide des décors et des arènes permet de se concentrer sur le cœur du gameplay, à savoir une série de courts combats en arène menant systématiquement à un boss vraiment très énervé.
D'une certaine manière, la structure de l'aventure ramène à celle d'un No More Heroes : on part d'un hub central dans lequel on peut ramasser des petits bidules servant à débloquer des capacités secondaires. On plonge dans un niveau linéaire mettant généralement en scène de nombreux petits adversaires à exploser, et on fait son affaire au chef du coin. La suite est assez cyclique : on apprend à connaître l'adversaire local via des combats en plusieurs phases, venant vérifier via des variations de plus en plus corsées que l'on a bien compris comment s'en débarrasser. On en repart plus costaud, avec quelques compétences en plus, et rebelote une demi-douzaine de fois jusqu'au combat final.
Prêt ? Parez !
Mis à part quelques moments destinés à aller chercher des améliorations dans des décors pas très labyrinthiques, Strayed Lights est donc un long enchaînement de combats quasiment sans aucune forme de temps mort. Un rythme qui nécessite d'avoir un système de combat des plus solides pour tenir debout. Par chance, et malgré quelques imperfections, Embers ne s'est pas raté sur ce point précis.
Exactement comme c'était le cas dans Sekiro, les combats proposés ici sont davantage basés sur le concept de parade que sur celui d'attaque. Votre personnage peut donner des coups, assez faibles, mais il est surtout taillé pour en encaisser un maximum. À chaque fois qu'un adversaire vous cogne, vous aurez la possibilité d'activer un système de parade en rythme. Une parade ratée, et c'est vous qui prenez la beigne, une parade réussie et c'est la jauge de garde de l'ennemi qui morfle. Une fois ladite jauge remplie, vous pouvez activer un pouvoir qui dissout immédiatement votre adversaire, et vous récupérez votre énergie au complet.
Bien entendu, Strayed Lights ne se contente pas de copier son modèle : il y ajoute deux autres idées pour faire varier le rythme et le déroulé des combats. La première, et c'est sans doute la moins réussie des deux, c'est l'ajout de pouvoirs utilisables un nombre de fois limité par affrontement. Beaucoup plus restreints que les gadgets de Sekiro, il s'agit de compétences pouvant assommer ou repousser les ennemis, ou encore rendre les parades plus simples. Sur le papier, ça fonctionne bien, mais en pratique, ces pouvoirs sont un peu trop bourrins et rendent certains affrontements complètement anecdotiques : on assomme un ennemi trois fois de suite et on dégomme sa barre de vie comme s'il n'y avait pas de lendemain.
Beaucoup plus malin : l'ajout d'un système de couleurs pour signaler le type d'attaque des ennemis. Un peu à la manière d'Ikaruga ou du formidable Les Chroniques de la guerre de Lodoss : Deedlit au Labyrinthe des merveilles, il vous sera demandé de jongler entre deux formes en fonction des attaques adverses. Les attaques rouges ne peuvent être correctement parées que par votre forme rouge, les attaques bleues par votre forme bleue… Et les attaques noires par absolument rien, vous intimant de fuir. Les commandes répondent à la perfection, le type d'attaque déclenchée par les ennemis est toujours parfaitement clair, ajoutant une touche de stratégie et de rythme absolument délicieuse aux duels. Mention spéciale aux boss de fin de niveau, peu nombreux, mais faisant tous une utilisation très astucieuse de ce système de couleur d'attaque.
À bout de souffle
Mon seul regret sur le quasi-sans-faute effectué par Strayed Lights concerne son acte final, arrivant fatalement assez soudainement dans un jeu aussi court. Modifiant légèrement le gameplay à quelques encablures du générique de fin, il ne prend absolument pas le temps de développer sa dernière idée et livre un niveau extrêmement linéaire, grisâtre et répétitif qui tranche avec le rythme proposé jusque-là.
Cela s'incarne parfaitement dans les quelques confrontations finales, étrangement assez en deçà des autres combats majeurs proposés dans le jeu. La caméra se met à se perdre dans les décors, incapable de gérer des affrontements contre des créatures trop grosses. Les duels manquent un peu de lisibilité, et on finit par terminer le jeu au forceps, en regrettant un peu ces quelques dizaines de dernières minutes assez ternes et bancales, posées au-dessus d'un jeu pourtant charmant.
Strayed Lights a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 5, les consoles Xbox et Nintendo Switch.
Ses quelques combats finaux exceptés, Strayed Lights est une excellente proposition. On en retiendra sans doute davantage sa direction artistique sublime et la bande-son magistrale d'Austin Wintory que son propos assez convenu à proprement parler. Mais au-delà d'être un joli bonbon en forme de conte de fées initiatique, le premier jeu d'Embers est surtout une formidable proposition en matière de beat them all alliant lisibilité, rythme et intensité. On aurait aimé un équilibrage encore plus fin, sans doute, mais pour une première fois, c'est déjà assez bluffant.
Les + | Les - |
- Système de combat parfaitement calibré | - Dernière heure très en deça |
- Aventure courte mais intense | - Quelques problèmes de gestion de la caméra |
- La narration muette, très gracieuse | |
- Quelques belles surprises dans la direction artistique |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
Articles similaires
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024
Great God Grove - Queer et élastique
nov. 11, 2024