Je ne m'attendais pas vraiment à chanter les louanges de deux œuvres qui se sont essayées au genre de la comédie musicale en moins de deux semaines. La première, c'est Star Trek : Strange New Worlds qui a tenté pour la première fois l'épisode musical. L'exercice n'était pas toujours maîtrisé, mais nous a offert de très bons moments. La deuxième, et celle qui nous intéresse aujourd'hui, c'est Stray Gods de Summerfall Studios. Un jeu vidéo qui a pour ambition de créer une comédie musicale interactive, où les joueurs peuvent faire des choix décisifs et impactant le reste de l'histoire durant les dialogues, mais aussi pendant les chansons. Un exercice risqué, mais qui valait le coup d'être tenté.
Si Stray Gods attire avant tout grâce à son casting incroyable, sa promesse de performances musicales exceptionnelles et ses personnages qui semblent définitivement trop cool pour que l'on puisse trainer avec eux, il sait nous retenir sur le long terme avec son écriture soignée et bienveillante et sa manière intelligente de se réapproprier des mythes classiques. Un jeu qui n'est pas à mettre dans les mains de ceux qui soupirent à chaque passage chanté dans un film, mais que l'on conseille définitivement à tous les amateurs du genre.
Idoles déchues
La vie de Grace n’est pas des plus fun en ce moment : elle est perdue sur son avenir et sa place dans le monde et, pour passer le temps, fait partie d’un groupe de musique avec sa meilleure amie Freddie, sans savoir si tout ça l’intéresse vraiment. Mais, lorsqu’elle rencontre une jeune femme du nom de Calliope, les événements prennent une nouvelle tournure. Déjà parce que, à peine quelques heures après leur rencontre, Calliope a eu la mauvaise idée de venir mourir dans ses bras et dans son appartement. Mais aussi parce qu’elle était la dernière des muses et qu’à sa mort, elle a transmis à Grace son eidolon, en quelque sorte son âme, qui contient ses pouvoirs.
Les choses se compliquent réellement quand les Dieux, qui vivent désormais parmi nous dans ce Nouveau Monde, accusent Grace du meurtre de la muse et d’avoir cherché à usurper son pouvoir, alors que celle-ci se remet à peine de son choc. Bonne nouvelle pour notre protagoniste, certains d’entre eux décident quand même de lui accorder une chance et lui offrent une semaine pour essayer de trouver la vérité sur la mort de Calliope et ainsi, prouver son innocence. Pour ça, Grace pourra profiter de l’aide de certains des Dieux, ici appelés Idoles, mais aussi de ses nouvelles capacités, qui lui permettent de jouer sur les émotions dans le but d’obtenir la vérité. Le tout en chansons bien sûr, muse oblige.
Tout en harmonie
Stray Gods est décrit comme un « roleplaying musical ». Dans les faits, nos seules actions de gameplay consisteront à sélectionner les réponses de Grace durant les dialogues, mais, particularité du titre, également durant les performances musicales. Les chansons sont au cœur du pouvoir de Grace et c’est à ces moments-là que les vérités se font connaître, que les masques tombent et que les décisions les plus importantes peuvent être prises. Le jeu nous offre donc la possibilité d’orienter leur sens plusieurs fois au cours des morceaux, en choisissant parmi l’une des trois approches : bienveillante et compréhensive, bourrine et rentre-dedans ou bien logique et cérébrale. Selon notre choix, les paroles seront changées, mais aussi la mélodie qui accompagne la musique, sa mise en scène et l’humeur de ceux qui nous rejoignent dans notre chant. Un travail colossal et parfaitement accompli par Summerfall Studios et son compositeur, Austin Wintory, aidé par Tripod et Montaigne, qui ont réussi à rendre cohérentes toutes ces possibilités, pourtant nombreuses, car les musiques peuvent aussi être influencées par nos choix précédents.
Une réussite que l’on doit également au casting impressionnant du jeu, dans lequel on retrouve à peu près tous les acteurs et actrices que l’on a l’habitude de voir dans les productions vidéoludiques à gros budget, et qui nous fait parfaitement ressentir les subtiles différences chez les personnages lorsqu’ils sont influencés par le pouvoir de Grace. On entend la sévérité de l’Athena de Felicia Day lorsqu’elle chante derrière la chaleur simulée qu’elle projette durant les discussions, le calme d’Apollon, interprété par Troy Baker, laisse place à la mélancolie, voire à la colère dès que la musique commence... Comme dans toute bonne comédie musicale, les passages chantés sont l’occasion de comprendre ce qu’il se cache sous les non-dits, de mettre en place la personnalité et les objectifs de chacun et, vers la fin, de laisser enfin la vérité et les émotions éclater au grand jour.
Le tout est illustré par des images fixes, surprenantes au premier abord lors des dialogues tant nous sommes habitués à des visages animés, mais dont le choix prend tout son sens durant les performances musicales. En plus d’éviter le risque d’avoir des animations imparfaites qui pourraient distraire, ces illustrations permettent des mises en scène impressionnantes et offrent des moments comme hors du temps, qui renforcent l’impression de magie et de poésie qui se dégage de certaines des performances. Car Grace ne se contente pas d’inspirer le chant chez ses interlocuteurs, elle les transporte également dans un autre décor, une illusion qui représente aussi bien leur état d’esprit qu’un lieu qui peut être cher à leur cœur. Tout ici a un objectif bien particulier : réussir à nous présenter les différentes facettes des nombreux personnages, le tout dans un laps de temps très court, et nous convaincre que désormais, nous avons une bonne raison de vouloir agir pour leur réussite, ou au contraire, leur perte. Et, en ce qui me concerne, mission accomplie. Si le premier acte m'a semblé un peu long, j'ai fait les deux autres d'une traite, dans ma hâte de découvrir de nouvelles chansons, mais aussi de pouvoir approfondir mes relations avec des personnages auxquels je m'étais réellement attachée.
Entre mythos et logique
Entre les musiques, il s’agira d’aller parler aux Idoles qui acceptent de nous aider et de recueillir des informations pour tenter de percer le mystère du meurtre, mais aussi apprendre à connaître ce monde dont l’on fait dorénavant partie et ses habitants qui sont, sous bien des aspects, assez différents de ce que les récits cherchent à nous faire croire. Au final, l’enquête est surtout un prétexte pour nous permettre de fouiller dans la vie de ces personnages légendaires. Durant leurs discussions avec Grace, Muse débutante qui apporte un regard forcément neuf sur un monde qui lui est inconnu, les Idoles sont obligées de confronter leur passé, mais aussi de s’interroger sur leur avenir et d'apporter des éléments de réponse qui ne sont pas toujours flatteurs ou plaisants. Summerfall Studios s’est d'ailleurs permis de modifier quelques légendes pour y ajouter sa propre touche personnelle et ainsi offrir au scénario quelques surprises.
Ce sont surtout les déesses qui en profitent, elles qui ont tendance à être liées à des hommes pour pouvoir exister. Ici, Perséphone est bien plus que son enlèvement par Hadès, Aphrodite devient un personnage tragique et elles ont enfin des suites à leurs histoires qui leur apportent une profondeur que les légendes leur refusaient. Les libertés prises avec ces récits sont l’occasion pour Stray Gods de s’aventurer sur un terrain sur lequel, personnellement, je ne l’attendais pas forcément. On y parle de traumatisme, de deuil, de regrets, de relations familiales compliquées, mais aussi d’amour, romantique ou platonique. Malgré des passages très durs, toujours abordés avec compassion, Stray Gods s’offre aussi des instants d’humour au milieu du tragique et des moments où la beauté prime sur le reste, sans pour autant être superficiel.
Il aurait été facile pour le titre de verser dans tous les clichés du genre. Après tout, chaque Dieu et Déesse a son propre domaine, et c'est leur spécialité qui les caractérise et qui les pousse à réaliser certaines actions. Il est donc tentant de se reposer sur cette base confortable ou, au contraire, tenter de l'ébranler et faire de ces personnages des humains comme les autres. Stray Gods réussit à trouver un équilibre, où des circonstances extraordinaires et des pouvoirs exceptionnels conduisent à des émotions et à des résultats qui ne nous sont que trop familiers, à Grace et à nous. Sans pour autant trouver des excuses à des comportements discutables ou éviter des discussions inconfortables. Car, s'il y a un message que le titre cherche bien à nous faire passer, c'est qu'il est dangereux de penser que le destin est une fatalité et que nos actions n'ont aucune influence sur notre avenir, mais aussi sur celui de ceux qui nous entourent.
Un jeu presque parfait
Je n'ai que peu de critiques à formuler. La première est purement technique, et sera peut-être corrigée dès la sortie du jeu, mais certains passages avaient des variations de sons agaçantes, obligeant à augmenter puis baisser le son, même lors d'une même musique. Et si je salue l'énorme travail des traducteurs, je dois aussi reconnaître que jouer avec des sous-titres français fait perdre aux paroles des chansons un peu de leur poésie. Ce n'est pas vraiment une critique : à moins d'avoir des mois, voire des années, et de s'entourer de professionnels de la musique, ce n'est pas le rôle des traducteurs de réécrire des chansons dans une autre langue. On ne perd pas le sens de ce qui est dit et chanté, ce qui est le plus important. Mais si vous maîtrisez l'anglais, je ne peux que vous conseiller de profiter de Stray Gods dans cette langue.
Il y a bien entendu d'autres petits défauts, certains passages ne sont pas tout à fait cohérents et ne prennent pas toujours correctement en compte ce que l'on sait déjà, mais rien de bien surprenant lorsque l'on réalise l'ampleur de ce que Summerfall Studios a réussi à accomplir avec sa comédie musicale interactive qui s'offre même le luxe de nous offrir plusieurs dénouements.
Stray Gods a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il sera également disponible sur Xbox, PlayStation et Nintendo Switch.
Stray Gods est une excellente surprise. Pour peu que l'on soit sensible au genre, on trouve ici un titre qui arrive à être à la fois un très bon jeu narratif, mais aussi une très bonne comédie musicale. En s'aventurant sur des terrains difficiles, en osant l'interactivité même au sein des chansons, et en choisissant de modifier certains mythes pour éviter de se reposer sur des clichés, Summerfall Studios a pris des risques qui se sont révélés payants. Un jeu pour le moment unique dans son genre, mais que l'on espère voir inspirer d'autres, à la manière de la dernière muse que l'on incarne.
Les + | Les - |
- Une histoire prenante | - Des problèmes au niveau du son |
- Les musiques, presque toutes excellentes | - Quelques rares soucis de cohérence |
- Les magnifiques illustrations | |
- Aussi touchant que drôle |
Fanny Dufour
Rédactrice le jour et rédactrice en chef la nuit. J'aime qu'on me raconte des histoires, mais seulement dans les jeux.
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