En 2015, le studio sud-africain The Brotherhood avait créé la surprise avec un point & click (très) horrifique semblant tout droit surgi d'une cartouche poisseuse des années 90 : Stasis. Huit longues années plus tard, les revoici avec une suite spirituelle, Stasis: Bone Totem. Finies les stations spatiales répugnantes, place à une plateforme maritime abandonnée où personne ne vous entendra hurler.
La principale originalité de Stasis, mis à part sa direction artistique assez rétro, c'était sa capacité à vous mettre un peu à tout propos un énorme taquet sous forme de mitrailleuse murale, de bain d'acide ou de chute mortelle. À rebours de l'essentiel des point & click modernes, la mort y était omniprésente, et quasiment chaque énigme pouvait être "ratée" en vous conduisant à un piège létal. Entre ça et l'immense solitude du personnage que l'on y incarnait, le résultat était profondément hostile, à réserver aux plus purs amateurs d'épouvante déprimante, sauce body horror supplément supplice. Stasis: Bone Totem tente, un peu par tous les moyens, de rendre cette expérience nettement moins rugueuse en vous faisant commander une équipe de trois personnages bien plus bavards, le tout en essayant de conserver le ton sordide et poisseux du premier. Le résultat est toujours un peu sur le fil du grotesque, mais est une fort agréable surprise.
Attestation de Stase
Un jeu d'horreur, c'est toujours une question de curseurs. Il faut savoir jouer avec les codes, mais pas trop, sinon on tombe rapidement dans les clichés. Mais chercher l'originalité à tout prix, c'est aussi prendre le risque de verser dans le nawak et dans le ridicule. De ce point de vue, Stasis: Bone Totem est toujours à deux doigts de se prendre les pieds dans un tapis poisseux. Tout ce que vous allez y voir et y faire, vous l'avez déjà vu (parfois en mieux) dans d'autres productions horrifiques. Mais par je ne sais quel miracle, ça fonctionne, et ce, en évitant une impression de redite trop prononcée ou de trop grande facilité.
Pourtant, on est en terrain plus que connu : dans un futur indéterminé, deux mercenaires bras cassés (et leur atroce ours-robot, on y reviendra) sont envoyés enquêter sur la disparition de l'équipage d'une plateforme de forage. Oui, elle abrite un laboratoire secret. Oui, ils ont déterré des trucs ineffables que jamais la main de l'homme n'aurait dû fouler du pied. Oui, tout le monde va rapidement devenir zinzin. Oui, il y a des scènes de claustrophobie et de tentacules. Et oui, bien sûr, il y a des PDA et des audiologs dans tous les coins qui vous racontent la descente aux enfers de ces corps de marins fossilisés que vous trouvez dans toutes les pièces.
Cependant, dans cet océan de trucs plutôt convenus, Stasis: Bone Totem trouve très bien et très vite son ton. L'histoire est rythmée, haletante, et les personnages… étrangement mieux écrits que la moyenne du genre. J'ai été particulièrement frappé par la justesse assez fine des dialogues, la manière dont le jeu dévoile le passé et les traumatismes du trio ou simplement la qualité assez remarquable des nombreux détails inhérents au média vidéoludique (mise en scène des énigmes, description des objets, etc.). J'aurais aimé avoir le même enthousiasme sur le gameplay.
Inventaire à Terre
Stasis: Bone Totem, comme beaucoup de point & click horrifiques, voit son expérience un peu parasitée par des puzzles pas toujours super intuitifs, mais un système d'indices bienvenu arrive à équilibrer le tout. En revanche, rien ne vient rattraper une interface proprement épouvantable, pourtant basée sur une excellente idée. On s'y fait, mais avec peine.
En gros, les trois personnages de l'intrigue ont chacun une compétence principale : l'ingénieure peut bricoler, le robot peut hacker et la brute peut heu… défoncer des trucs. L'intrigue va régulièrement séparer nos trois compères, en leur donnant une capacité en magicum scenarium consistant à pouvoir se transférer les objets à distance. La plupart des puzzles vont donc consister à bouger les objets d'un personnage à l'autre pour trouver la bonne combinaison et le pouvoir adapté à une situation donnée. Par exemple, envoyer une barre métallique tordue trouvée dans une salle à la brute, dans l'autre salle, pour qu'il la remette d'équerre. Ce qui vous permettra d'actionner une valve dans une troisième salle où se trouve le dernier personnage de l'équipe.
Intéressant sur le papier, ce système s'avère peu ergonomique au possible : on sait toujours assez mal si une action a réussi ou pas, l'inventaire qui pourrait être partagé en un seul menu est divisé en trois sous-sections hostiles, et les emplacements sur lesquels il faut utiliser les objets sont affichés de manière assez peu claire à l'écran. Trop souvent, on comprend parfaitement la logique à laquelle nous pousse le jeu sans pour autant arriver à mettre les pièces du puzzle ensemble pour de bêtes problèmes ergonomiques. Dommage, parce que dans l'ensemble, les énigmes sont de bonne tenue, variées et pas trop envahissantes. Alors, oui, on s'y fait, pour le plaisir de savoir ce qu'il se cache derrière cette énième porte barrée par une matière probablement toxique et organique à la fois.
Corps Hardcores
Avant de vous recommander pleinement Stasis: Bone Totem, il me faut quand même revenir sur cette histoire de curseurs. Oui, ici, ce n'est pas l'originalité du propos qui sert de lien à l'ensemble, mais bien un amour sans faille du malaise prononcé et du body horror de l'extrême. Graphiquement, auditivement, moralement, les potards de l'horreur graphique ont été poussés au maximum du maximum, c'est : profondément répugnant.
Concrètement, vous allez mourir brûlé, patauger dans des matières organiques, fouiller dans des organes difformes, torturer des larves palpitantes, le tout dans des décors de plus en plus macabres. Le jeu assume complètement son côté body horror et arrive à arc-bouter sa direction artistique et son propos autour de ces séquences immondes. Moi qui suis un grand amateur du genre, ça m'a ravi, mais il faut absolument le savoir avant d'y aller, des fois que vous pensiez vous retrouver face à un "simple" jeu d'épouvante.
Mention spéciale au troisième personnage contrôlable, que je ne pouvais pas ne pas évoquer. Moses, l'ours-robot, ami des enfants qui vous répète en boucle que se noyer c'est dangereux et que les enfants ne devraient pas jouer avec des armes, EST UN VÉRITABLE CAUCHEMAR AMBULANT. Sur un bon tiers de votre temps de jeu sur la dizaine d'heures qu'il vous faudra pour atteindre le générique de fin, vous allez vous retrouver dans les pattes de cette boule de poils affreuse, malaisante, enchaînant avec une voix morte à l'intérieur des propos involontairement sinistres. À chaque intervention de Moses, c'est toute l'horreur du propos de Stasis: Bone Totem qui est sublimée. Rien que pour cette petite idée déviante, ce titre se placera assez haut dans mes jeux horrifiques préférés de 2023. Sacré Moses !
Stasis: Bone Totem a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Stasis était un jeu selon moi assez moyen, mais perclus de fulgurances. Stasis: Bone Totem est un excellent jeu, mais plombé par de multiples petits problèmes. Des problèmes mécaniques, pour l'essentiel : la faible lisibilité de certaines interactions, le système balourd de transfert d'objets ou encore une interface terriblement suboptimale. Mais puisque ce que le jeu raconte est plutôt dans le très haut du panier de l'horreur vidéoludique, et que le tout est mis en scène avec brio, on passera volontiers sur ces soucis pour se plonger sans retenue dans ce bain à la fois délicieux et mortel.
Les + | Les - |
- Scénario captivant | - Interface épouvantable |
- Améliore en tous points les idées de Stasis | - Trop d'énigmes manquent de lisibilité |
- Ambiance horrifique très bien sentie | |
- Cet ours en peluche immonde, là... | |
- J'avoue, je m'amuse peut-être à trouver toutes les morts... |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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