Voilà. 5 ans après son annonce, 8 ans après le début du développement (selon Todd Howard), après des mois de matraquage médiatique sur "la première nouvelle licence de Bethesda en 25 ans", Starfield est sorti. Prétendant au titre de meilleur jeu de l'année, le nouveau RPG de Bethesda se retrouve peut-être dans la position inconfortable de challenger dans le cœur de beaucoup d'amateurs du genre après la déferlante Baldur's Gate 3. Verdict sur un jeu qui a tous les stigmates de son développeur et quelques bonnes idées.
Je pense que vous ne réalisez pas à quel point il est difficile de ne pas détourner cette critique pour en faire un éloge comparatif de Baldur's Gate 3 face à Starfield. C'est pour cela que ce paragraphe est, promis, la dernière fois que je mentionnerai le titre de Larian et que je m'efforcerai de juger Starfield sur ses propres qualités et défauts. Mais dans les faits, il est extrêmement difficile de ne pas comparer la philosophie derrière chacun des titres. Baldur's Gate 3 a une ambition narrative qui le place à des années-lumière de Starfield. Au niveau du gameplay, il est également évident que Larian a profité de son expérience dans le jeu de rôle au tour par tour, et d'un système de règles solide, bien établi, pour proposer un jeu tactique et parfois difficile, sans jamais être frustrant. À l'inverse, Starfield est un jeu Bethesda de bout en bout. Sur certains points, le gameplay n'a pas bougé depuis Skyrim (et peut-être même Fallout 3). L'ambition de Starfield est évidente : proposer un RPG d'exploration spatiale qui se poserait en héritier de Mass Effect. Mais, dans les faits, le jeu est retenu en arrière par une philosophie de game design qui n'a plus sa place en 2023 et des décisions parfois incompréhensibles. Faites chauffer vos moteurs FTL et embarquez avec moi dans l'une des aventures les plus décevantes de 2023.
Espace en carton
Dans Starfield, vous incarnez, comme d'habitude, un personnage muet qui se retrouve au centre d'évènements d'ampleur galactique quand vous déterrez un mystérieux artefact au fond d'une mine perdue au fin fond d'une planète perdue dans un coin perdu de l'espace occupé. Suite à ça, vous croisez la route de Barrett, le tout aussi mystérieux client qui avait demandé à ce que votre entreprise de minage cherche le susmentionné artefact. Des pirates vous attaquent et Barrett, qui ne vous connait pas, se dit qu'il va vous donner son vaisseau, son robot et l'intégralité de sa vie, et vous demande de rejoindre New Atlantis et son organisation, Constellation, pour faire un rapport sur l'artefact et les visions que vous avez eues en l'attrapant. Il aurait pu vous y amener, mais soit, je ne vais pas dire non à un vaisseau gratuit. S'ensuit toute une série d'aventures plus ou moins intéressantes, avec des compagnons plus ou moins intéressants, à travers la toute petite zone occupée par l'humanité, pour trouver des artefacts qui semblent être liés à quelque chose de plus grand que vous. Comme toujours chez Bethesda, la quête principale est loin d'être la chose la plus importante. J'irais même jusqu'à dire qu'elle n'est ici qu'un long tutoriel et qu'il est quasiment préférable de la faire d'une traite pour arriver au cœur du jeu. Le plus agaçant avec cette longue série de quêtes, c'est que les bonnes idées n'arrivent qu'au dernier tiers de la grosse vingtaine d'heures qu'elle vous prendra. Sans spoiler, le jeu se souvient soudainement qu'il est un jeu de SF et sort des concepts intéressants qui iront même jusqu'à rendre le new game + narrativement justifié.
Une des forces de Bethesda est généralement l'univers de leurs jeux. Ils sont devenus au fil des années spécialistes pour dépeindre un univers par les éléments que vous trouvez : lettres, livre, logs, et même simplement l'environnement, et si des éléments ne sont pas clairs, vous pouvez toujours poser des questions à vos interlocuteurs pendant les phases de dialogue. C'est toujours amusant de voir votre personnage, qui n'est ici même pas amnésique, poser des questions basiques sur la société dans laquelle il vit. Comme si vous posiez des questions sur l'organisation de la Ve République à votre caissière. Mais qu'à cela ne tienne, au moins c'est fait. Starfield se place dans la lignée des space opera modernes, plus réalistes, où l'univers est certes colonisé, mais pas toute la galaxie, et en utilisant des technologies "réalistes" extrapolées des technologies modernes. Bethesda a inventé le terme NASA-punk pour décrire le style visuel de leur jeu et c'est exactement ça. Les combinaisons sont encombrantes, les vaisseaux étroits et fonctionnels, et l'espace est hostile. Si l'humanité a exploré une petite centaine de systèmes, seules quelques planètes sont réellement habitées, le reste n'est que rochers stériles. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a personne pour s'y installer, mais ne vous attendez pas à trouver d'immenses métropoles sur toutes les planètes. Au sein de cet univers évoluent plusieurs factions, comme dans la tradition de Bethesda, que vous pouvez rejoindre à l'envi sans que ça vous bloque des autres. Je dois avouer qu'en 2023 ça commence à devenir lassant. On est dans un jeu dont l'un des concepts même insiste sur la rejouabilité, et vous pouvez parfaitement faire l'intégralité des quêtes de toutes les factions alors même qu'elles ont toutes des objectifs différents et sont en opposition. Comme si Bethesda avait peur que bloquer du contenu frustre le joueur. Ce qui serait un souci si, encore une fois, la rejouabilité n'était pas dans l'ADN même du jeu.
Les quêtes secondaires ne sont pas tellement mieux que les quêtes principales. Si au début, elles font illusion et présentent des concepts de SF parfois intéressants (par exemple une sorte de remake du premier film Star Trek), très vite, on se retrouve face aux mêmes limitations que dans tous les jeux Bethesda : l'écriture est au mieux prévisible, au pire risible. Le jeu présente des dilemmes moraux artificiels au possible qui pourraient être résolus en dix minutes s'il vous proposait la solution évidente plutôt qu'un choix de trois mauvaises solutions. Les personnages sont fins comme du papier à cigarette et on ne trouve aucun NPC qui soit vraiment marquant. Au final, Bethesda renonce de plus en plus à proposer une écriture de qualité et semble se contenter du strict minimum pour évoquer un univers vivant plutôt que de le montrer. Je parlais plus haut de la manière traditionnelle de Bethesda de dépeindre son univers par les livres et logs que vous trouvez dans le jeu. Même ça, c'est raté. Les livres que vous trouvez sont les premières lignes des grands classiques de la littérature et aucun ne parle de cet univers, comme si Bethesda avait eu la flemme d'inventer des livres écrits du point de vue des gens de cette civilisation, et il n'y a que quelques logs éparpillés par-ci par-là sans qu'ils sachent dépeindre un univers vivant. Le monde de Starfield n'est qu'un immense décor en carton-pâte d'Hollywood qui donne l'illusion d'un univers foisonnant, illusion qui s'effondre au bout du compte dès que l'on y prête attention plus de quelques secondes. Les jeux Bethesda ne sont plus des RPG, ce sont des bacs à sable qui se déguisent en RPG.
Skyfield ou Starllout ?
Starfield se joue comme n'importe quel jeu Bethesda. Bien sûr, il y a quelques subtilités et différences. Par exemple, les vaisseaux sont clairement la nouvelle fonctionnalité sur laquelle le jeu repose. Starfield vous propose une expérience dont beaucoup de gens ont rêvé au fil des années et du retour du genre de la simulation spatiale : vivre dans son vaisseau et en faire sa seconde maison, un petit peu comme dans des séries comme Firefly. Ici, ça passe par la construction de votre vaisseau et sa conception dans un éditeur inspiré par Kerbal Space Program et autres jeux de construction et d'ingénierie. Et comme les inspirations, cet éditeur peut être à la fois très puissant et permettre des choses vraiment cool, mais il est aussi frustrant, mal fichu et particulièrement difficile à maîtriser. Par exemple : il n'y a pas d'option de filtre par catégorie. Les vaisseaux se divisent en catégories (A, B, C) qui correspondent à la classe du réacteur. Chaque module doit être compatible avec la classe du réacteur. Sauf que l'on ne peut pas filtrer les modules compatibles avec le réacteur actuellement équipé, ce qui oblige à passer la souris sur chaque pièce pour vérifier la classe de réacteur. De plus, le jeu n'indique pas clairement les différences entre le module sélectionné et ceux équipés, comme ce que fait l'inventaire avec les dégâts et les statistiques des armes. Donc, on est également obligé de retenir les valeurs du module installé pour comparer avec ceux que l'on veut mettre. Ajoutez à tous ces défauts le fait que les meilleures pièces sont derrière deux compétences (Pilotage et Construction de vaisseau), qui doivent être améliorées totalement pour avoir accès à tous les modules, ce qui représente 8 points de compétences. Puis de toute façon, comme le gameplay en vaisseau se limite à quelques escarmouches dans l'espace, et que l'on finira par plutôt se téléporter de planète en planète que réellement piloter son vaisseau, l'intérêt des vaisseaux se retrouve vite relatif.
Parlons-en de l'arbre de compétences. Un petit peu plus touffu que celui de Skyrim, il s'organise par catégories (par exemple Science ou Physique), elles-mêmes divisées en compétences (Combat au pistolet, Persuasion, ce genre de choses) qui ont toutes quatre niveaux. Vous pourrez prendre le niveau supérieur des perks en dépensant un point de compétences, mais pas avant d'avoir réalisé un certain nombre d'actions (comme tuer 50 ennemis avec un fusil). Le leveling est rapide quand vous faites la quête principale. Très vite, vous serez niveau 25 et le jeu distribue des points de compétences comme des bonbons. En revanche, il est tout de suite beaucoup moins généreux lorsque vous vous concentrez sur des quêtes secondaires ou l'exploration. En 25 heures sur mon début de partie, en me concentrant sur la quête principale, j'ai atteint quelque chose comme le niveau 25. Sur les 35 heures suivantes où je me concentrais sur les quêtes secondaires, j'ai difficilement franchi le niveau 35. Et j'ai du coup dû dépenser mes points dans des choses que je ne voulais pas vraiment, juste pour débloquer des modules plus intéressants dans mon vaisseau. Je ne dis pas qu'il faut que l'amélioration et la construction de vaisseau soient accessibles dès le début. Mais comme le prix des modules avancés est déjà prohibitif, il y a déjà une barrière à l'amélioration qui empêche de se faire un vaisseau absolument pété dès le début. Là, nous avons deux barrières à l'entrée qui limitent artificiellement un des aspects les plus intéressants du jeu. C'est frustrant et j'ai ressenti le même sentiment de limitation artificielle que dans certains jeux free to play qui veulent que l'on paye pour accélérer le leveling. Sauf qu'ici, c'est dans un jeu solo qui ne propose heureusement pas de magasin en jeu, et le power fantasy propre aux RPG se retrouve donc limité.
Donc, je disais que Starfield se joue comme n'importe quel jeu Bethesda. Comment cela se traduit-il dans le jeu ? Les armes se comportent comme dans Fallout. C'est-à-dire : elles manquent de pêche et sont particulièrement molles. Je trouve ça fou qu'en 10 ans, ils soient toujours incapables de donner un vrai feeling agréable aux armes. J'ai l'impression que rien ne différencie un sniper d'un fusil d'assaut. Et, comme il est de tradition chez Bethesda, l'IA des ennemis n'est vraiment pas au point, et il suffira de se tenir à un endroit un peu inaccessible, qui le devient très vite avec les jetpacks, pour qu'ils ne sachent plus que faire et se laissent aligner par votre sniper. L'infiltration est toujours aussi délicate dans le sens où, pour compenser les limitations intellectuelles des méchants, ils sont équipés d'une super-ouïe qui vous entendra de l'autre bout de leur base, ou encore mieux : dans le vide d'une lune sans atmosphère. Quant aux options sociales, elles se limitent à un mini-jeu où vous devez sélectionner des options avec des niveaux de difficulté pour convaincre votre interlocuteur. Remplissez la jauge de persuasion et le type en face vous mangera dans la main. C'est également le grand retour du mini-jeu de crochetage qui, ici, est incompréhensible, du moins pour moi et mon cerveau un peu lent. Je ne m'étends pas sur le gameplay, car comme je le disais : c'est Skyrim et Fallout, c'est un best of de tous les gimmicks de Bethesda depuis 20 ans, et à ce titre, il a tous les défauts et les qualités des jeux du studio. C'est une recette, mais une recette qui refuse d'évoluer et se contente ici de rajouter des éléments pour justifier tout le marketing autour de "la première nouvelle licence de Bethesda depuis 25 ans". La seule boucle de gameplay qui ait réellement trouvé grâce à mes yeux est celle de l'exploration, même si encore une fois, on est face à un jeu terrifié à l'idée que le joueur s'ennuie et que le moindre caillou stérile est rempli de bases de méchants, et de grottes avec des pirates.
Starfield a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est aussi disponible sur consoles Xbox Series.
Starfield est médiocre. Voilà, je n'irai pas par quatre chemins, je ne tenterai pas de dire qu'en réalité, c'est une gemme cachée sous un torrent d'idées bancales. Il est juste médiocre. Au début, il fait illusion et donne envie de s'y plonger malgré ses défauts, mais le tour de passe-passe ne tient plus au bout d'une quarantaine d'heures et l'ennui s'installe durablement, tandis que votre souris s'attardera sur des propositions de RPG bien plus intéressantes qui traînent dans votre backlog. Et même si vous le prenez pour ce qu'il est, un bac à sable spatial, No Man's Sky existe et Starfield n'apporte rien au genre qui ne soit pas mieux fait ailleurs. Au final, on se retrouve face à un AAA boursouflé d'ambition qui ne tient son illusion de grandeur que quelques heures avant de retomber dans les travers des jeux Bethesda, vous laissant face à une coquille vide sur laquelle projeter un bien meilleur jeu. Je pense en avoir définitivement terminé avec les propositions de Bethesda, surtout si The Elder Scrolls VI ne propose rien de nouveau.
Les + | Les - |
- Un design aux petits oignons | - Pour un univers sans âme |
- Des vraies belles images de SF | - Qui servent une histoire ennuyeuse et convenue |
- Le jeu Bethesda le plus stable à la sortie | - Mais en même temps, ce sont les mêmes mécaniques depuis Skyrim |
- L'éditeur de vaisseaux | - Bloqué derrière des barrières artificielles |
- Une IA aux fraises et un combat toujours aussi médiocre |
Tritri
Paradox, trains, Paradox, city builder, Paradox, espace, Paradox. Je suis un homme simple, aux goûts simples. Paradox.
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