Développé par un duo finlandais depuis près de dix ans, Splittown est un point and click de facture extrêmement classique. C'est intentionnel. Au risque de ne parler qu'à un public extrêmement précis.
Il y a des jeux qui se parent de l'apparence de l'ancien pour nous servir quelque chose d'en réalité extrêmement moderne. Et puis, il y a cette catégorie de titres qui assument un côté extrêmement niche de ne s'adresser qu'à une partie du public nostalgique d'un genre extrêmement précis. Pour lui resservir exactement la même chose, vingt ou trente ans plus tard. N'y voyez pas un propos négatif de ma part, mais plutôt une observation. Un jeu comme Splittown entend reproduire quasiment au pixel près l'expérience d'un point and click de la première moitié des années 90. Et pas n'importe quel point and click : un de chez LucasArts, avec humour bizarre, pixel art mordant et énigmes incompréhensibles incluses. Seule concession à la modernité : le jeu arrive via un accès anticipé, les deux auteurs ayant besoin de quelques mois de plus pour livrer une expérience 100% complète. En attendant, il y a déjà de quoi faire.
Guerre froide et cerveau qui chauffe
Évacuons d'abord la question : oui, le passage par une phase d'early est atypique pour un jeu d'aventure, un style qui se voit de nos jours rarement vendu en kit ou en chapitres séparés. Cependant, l'approche de Splittown est relativement cohérente, puisque l'aventure principale peut d'ores et déjà être parcourue en intégralité. Les prochaines mises à jour ajouteront pour l'essentiel quelques missions annexes, des embranchements scénaristiques mineurs et des options de qualité de vie, comme un réglage de la difficulté des puzzles. Au passage, si vous avez comme moi le cerveau qui coule par les oreilles, il serait peut-être sage d'attendre l'arrivée de cette fonctionnalité pour fluidifier votre expérience de jeu. Ceci étant dit, Splittown est déjà un jeu au scénario complet dont vous ne sentirez pas forcément le côté encore en chantier. À quelques vilains bugs près.
Ici, il est donc question d'une sorte de lourde inspiration des scénarios de jeux les plus farfelus d'il y a trente ans, avec une quantité de références au kilomètre carré qui peut parfois légèrement fatiguer. Nous sommes en pleine Guerre froide, et vous incarnez Leonard Nimby (vous l'avez ?), espion de son état. Le laboratoire super méga turbo secret où bosse notre héros se fait braquer par le maire maléfique du coin et ses redoutables hommes de main, qui se sauvent avec un dangereux artefact. La sortie du laboratoire est scellée, et vos collègues sont plongés dans une torpeur presque irrémédiable, induite par un gaz neurotoxique. Il va donc falloir trouver un moyen de réveiller tout ce petit monde. Hélas, la machine à café est cassée et provient d'un vieux stock soviétique au fonctionnement mystérieux. Et plus personne n'a la clé de la réserve. Qui est protégée par une IA malveillante. Et le seul type capable de la reprogrammer ne veut pas vous aider. Et ainsi de suite.
En gros, on part sur une structure classique à base de "chaque problème ne peut être résolu qu'après avoir complété des énigmes qui elles-mêmes dépendent de l'avancée dans d'autres puzzles" et ainsi de suite. Le tout étant bien entendu lourdement dépendant de collecte d'objets improbables dans tous les tableaux du jeu, qu'il conviendra de combiner de la manière la moins logique possible. Via un inventaire complètement anachronique et assez peu pratique à utiliser, hélas. Une formule, on en conviendra, extrêmement datée, mais qui a tout de même fait ses preuves. Par contre, autant le redire une bonne fois : à l'image du Thimbleweed Park de Terrible Toybox, on est ici face à des énigmes difficiles, dès le début du jeu, et pour le moment dépourvues du confort moderne (niveau de difficulté, système d'indices...). C'est un peu sec.
Rire et plus si affinités
Il y a en revanche un point très intéressant dans Splittown qui le distingue un peu de ses illustres modèles : l'aventure ne mise pas tout sur une série continue de gags façon Monkey Island et Sam & Max. Si l'intrigue principale manque un peu de relief, en revanche les différentes ambiances et péripéties traversées ne sont pas intégralement à ranger du côté de l'humour potache et des séquences absurdes. Oui, Splittown est rigolo, mais il est aussi à l'occasion sensible, plein de fantasy, et même assez mordant dans ses dialogues qui n'hésitent pas à lorgner un peu du côté politique de la force.
Le jeu mise aussi pas mal sur le fait qu'il soit un tout petit peu moins linéaire que ses inspirateurs : certaines répliques que vous allez choisir, la manière et l'ordre de résolutions de certaines énigmes ainsi que votre sens de l'observation seront autant de moyens de créer quelques (légers) embranchements dans le scénario. C'est d'ailleurs ce qu'il m'a été le plus difficile d'évaluer au cours de ma partie, puisqu'une part non négligeable de ces interactions alternatives et de ces quêtes secondaires ne sont pas encore présentes dans le jeu. Mais je ne pense pas que cette fonctionnalité fasse de Splittown une expérience radicalement innovante, car elle ne va pas forcément assez loin dans la manière de faire diverger l'histoire. Néanmoins, j'ai conscience que cela serait beaucoup demander à une œuvre avec un scope aussi modeste.
En fait, la limite de Splittown, c'est aussi sa force : ses innovations en sont à peine, son ton général s'écarte légèrement des canons de LucasArts, mais sans les faire dérailler non plus. Et tout, de la musique au pixel art, a l'air d'être la copie d'un CD oublié déniché au fin fond d'un site d'abandonware. Dans son genre, c'est plutôt une réussite, surtout pour une équipe de production aussi petite. Il n'y a aucun doute sur le fait que cette œuvre saura attirer les nombreux nostalgiques de Day of the Tentacle. Mais c'est aussi un jeu qui n'a strictement aucune chance de dépasser cette audience.
Splittown a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Étant moi-même plutôt rentré dans le jeu d'aventure via les jeux de la seconde moitié des années 90, en quelque sorte plus Baphomet et Discworld 2 que Zak McKracken, je ne suis franchement pas le public visé par Splittown. Je sais néanmoins reconnaitre un truc réussi quand j'en vois un : à part le fait de ne pas être tout à fait fini et d'être encore un peu de guingois, le jeu de Mats Kyyrö et Juha Keränen n'a pas vraiment de défauts saillants. Vous êtes du genre à rejeter toute forme de modernité vidéoludique parce que vous considérez que l'Humanité a atteint son apex esthétique en 1993 ? Foncez, ce truc est fait pour vous ! Sinon, économisez vos 20 €.
Les + | Les - |
- L'univers du jeu, amusant | - Interface anachronique |
- Le (petit) côté non-linéaire | - Quelques énigmes vraiment trop tirées par les cheveux |
- Les musiques sont très réussies | - Risque de ne parler qu'aux fans de jeux d'aventure du début des années 90 |
- Ne mise pas 100% de ses effets sur l'humour absurde |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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