Après le succès critique et commercial de leur premier Spider-Man en 2018 sur PS4, le court, mais très réussi standalone Miles Morales en 2020, Insomniac remet le couvert avec Spider-Man 2, cette fois-ci exclusif à la PlayStation 5 et pensé comme la force de frappe de Sony en cette fin d’année 2023 démentielle. L’éditeur n’a pas lésiné sur la com lors des derniers mois, allant jusqu’à lui consacrer vingt bonnes minutes de gameplay en conférence et des trailers spectaculaires à la moindre occasion. Une stratégie visiblement payante : le titre a pulvérisé les scores de Sony, se plaçant en 24 heures en tête des meilleures ventes de l’histoire de PlayStation.
Un succès amplement mérité, si l’on met de côté certaines maladresses du studio (une erreur de drapeau rapidement corrigée à la sortie, quelques fautes d’espagnol) et des pratiques très peu élégantes de la part de Sony (des équipes de traduction non créditées, des auteurs non payés). Car au-delà de la suite réussie, autant sur le plan ludique que narratif, Spider-Man 2 est surtout la forme la plus réussie et équilibrée du AAA d'action-aventure en open world.
Les dents qui rayent le Parker
On ne va pas se mentir, ce n'est clairement pas pour ses innovations de gameplay que Spider-Man 2 restera dans les mémoires. Si vous avez joué au premier et à Miles Morales (ce que je recommande, si le jeu propose un bref récap des évènements, il tend à considérer que vous êtes à jour sur tous les épisodes : Marvel reste Marvel), vous connaissez déjà un bon 75% du gameplay de ce nouvel opus. À quelques nouveaux gadgets près, un système de parade assez permissif, deux trois bricoles d’infiltration et de déplacement, un planeur, des pouvoirs exclusifs au symbiote/Venom et la possibilité de passer de Peter Parker à Miles Morales en une pression de bouton, vous connaissez déjà tout. Les briques de gameplay majeures restent ainsi les mêmes : beaucoup de déplacements entre les buildings, beaucoup de bagarre, pas mal de simili-infiltration (éliminer des ennemis un par un dans un huis clos) et des collectibles/activités secondaires dispersées un peu partout dans la ville de New York.
Ce qui ressemble réellement à une innovation, c’est l’abandon de la PS4, faisant de ce Spider-Man 2 un réel jeu next gen. Miles Morales avait beau faire office de vitrine technique pour la PS5, il restait un peu tiré vers le bas par son penchant PS4. Avec cette exclusivité, Insomniac met tous les potards à fond. Je suis assez loin d’être un bandeur de prouesses techniques, mais je dois admettre qu’ici, elles se font au profit d’un énorme confort de jeu et d’une mise en scène débridée. Le passage d’un Spider-Man à l’autre se fait instantanément, le voyage rapide – que l’on rechigne à utiliser tant le déplacement est agréable – se fait sans temps de chargement et je ne compte pas les séquences complètement spectaculaires de la quête principale que la console fait tourner sans broncher à 60 fps : Spider-Man 2 est fort bien optimisé et met toute la technique au service de l’ergonomie et de la fluidité de l’expérience. La frime est poussée jusqu’à l’utilisation de tous les gadgets de la DualSense : le retour haptique, les gâchettes adaptatives, la fonction gyroscopique, les haut-parleurs de la manette, tout est exploité. Un flex un peu risible quand il s’agit d’effectuer un mini-jeu d’ouverture de porte un peu concon ou de lancer un ballon de basket, mais qui finit par ajouter une véritable plus-value aux fulgurances de mise en scène. Certaines séquences assez marquantes, voire un peu choquantes, l’ont clairement été grâce à l’utilisation des haut-parleurs de la manette, et auraient perdu en intensité sans cette fonction.
Oui, j’ai dit choquant, car si le titre n’est pas particulièrement téméraire du point de vue du gameplay, on ne peut pas en dire autant de la quête principale. La première moitié du jeu est assez efficace, mais classique, avec une intro dantesque face à un ennemi faisant littéralement la taille de buildings – on est sur une année à thème chez Sony visiblement, c’était déjà une des grosses réussites de Final Fantasy XVI – et des missions assez convenues de présentation des enjeux et des différentes activités annexes, mais, assez vite, le ton bascule dans un registre bien plus sombre. Les deux premiers opus n’hésitaient déjà pas à faire des choix assez radicaux en termes de péripéties et de mort de personnages principaux, et Spider-Man 2 en fait autant, mais d’une manière beaucoup plus brutale. Le titre n’est heureusement pas dépourvu d’humour et des jeux de mots douteux de Peter Parker, mais le choix des antagonistes principaux, Venom et Kraven le Chasseur, oriente l’esthétique vers quelque chose de bien plus cru et viscéral, et délaisse une forme de violence somme toute assez cartoonesque pour proposer lors de certaines séquences quelque chose de bien plus graphique et frontal. C’est un aspect auquel les lecteurs·rices de comics ont pu être confronté·e·s – je vous invite à lire l’arc du symbiote ou certaines apparitions du Chasseur, par exemple – mais que l’on s’attend assez peu à retrouver en 2023 dans un jeu grand public estampillé Marvel. Le choix est audacieux, mais payant, et Spider-Man 2 propose quelques-unes des séquences les plus marquantes de l’année, et une écriture dont les enjeux narratifs méritent d'être développés plus en détail dans un autre article.
On va spidey, sur une toile, dans tous les quartiers
Mais ce qui fonctionne le mieux dans ce Spider-Man 2, outre ce toujours aussi merveilleux système de déplacement de toile en toile et de building en building, c’est la construction de son open world. Là encore, Insomniac ne réinvente certainement pas la roue, mais évite un paquet d’écueils qui, personnellement, m’ont détourné depuis bien longtemps des open worlds à la Ubisoft et me font trainer la patte pour terminer Horizon Forbidden West, dont j’adore pourtant l’ambiance et l’univers. Ces écueils, ce sont des cartes trop grandes, saturées de marqueurs, de choses à faire, d’évènements aléatoires, de tours à conquérir pour en dévoiler la topographie, d’ennemis qui attendent au moindre recoin et de zones à la difficulté croissante, empêchant de se promener comme on l’entend.
Les trois jeux Spider-Man prennent le contrepied de cette construction en faisant exactement l’inverse. La carte est assez ramassée, même dans ce Spider-Man 2 qui double quasiment la surface de jeu par rapport au premier en ouvrant la rive est de New York, avec le Queens et Brooklyn, mais surtout assez épurée en termes de marqueurs et d’objectifs, et explorable intégralement dès le début du jeu. Techniquement, on y fait la même chose que dans un Batman Arkham City : des missions principales qui font avancer l’histoire, quelques grosses quêtes annexes, mais surtout plein de petits objectifs et activités annexes, souvent liés à des antagonistes mineurs ou des personnages secondaires (ici l’Homme-sable ou Mysterio par exemple), souvent pas très intéressants à mener, mais aux récompenses scénaristiques sympathiques (c'est du fan service). La différence se trouve dans la façon de faire apparaître ces points d’intérêt et ces missions annexes.
Car là où la majorité des open worlds se dévoilent zone par zone et quartier par quartier, affichant d’un seul coup toutes les activités annexes à faire dans un nouveau lieu, avant d’aller faire la mission principale, les Spider-Man en gardent sous le coude, en faisant apparaitre au compte-goutte les objectifs très annexes (la collecte des spiderbots, les planques de chasseurs, les nids de Venom) et les grosses quêtes secondaires, accessibles depuis le téléphone. C’est tout bête, mais ne jamais avoir plus d’une dizaine de marqueurs d’objectifs sur la carte d’un open world a quelque chose d’extrêmement reposant : il y a toujours quelque chose à faire, mais il n’y a jamais trop de choses à faire en même temps. D’autant que le jeu fait apparaître ces missions de manière assez judicieuse vis-à-vis de la quête principale. En tenant compte du rythme de la campagne pour placer ses activités annexes, Insomniac compense les quelques (nécessaires) ralentissements de l’intrigue pour placer de grosses missions secondaires très plaisantes, voire touchantes, et lève le pied quand le scénario s’emballe et ne laisse plus de place au reste.
Happiness in Scriptery
Cette structure donne ainsi une impression de progression très organique et fluide : pour peu que l’on joue le jeu et que l’on fasse les objectifs principaux et annexes au fur et à mesure qu’ils nous sont proposés, tout s’articule parfaitement, et on atteint la fin de l’histoire en ayant achevé la quasi-totalité des objectifs secondaires. C’est reposant, efficace, et, dans un contexte aussi chargé, assez soulageant de se trouver face à un AAA en open world qui se termine en moins de 20 h et se platine en à peine 35 h. On peut cependant se questionner sur la pertinence de l’appellation open world. Ou du moins de ce qu’on en attend.
Car si la proposition séduit par sa fluidité et son caractère ramassé, elle est aussi incroyablement scriptée et balisée. Vous pouvez vous promener dans la ville autant que vous voulez, à part quelques easter eggs et les crimes et délits qui se déclenchent périodiquement à des endroits aléatoires et sur lesquels vous pouvez choisir d’intervenir ou non, il n’y aura pas de sentiment d’aventure, de découverte ou d’exploration, pas de surprise ou de petit évènement au coin d'une rue. Ce que les développeurs veulent que vous voyiez, ils l’ont placé dans leurs missions, ils l’ont écrit dans leurs dialogues, ils l’ont mis en scène dans leurs cinématiques. La carte de Spider-Man 2 est grande, ses lieux sont variés, ses bâtiments sont marquants et reconnaissables, mais sont là pour deux choses : le plaisir du déplacement à toute vitesse, et servir de décor aux missions. Ce n’est pas grave, c’est même exactement ce que je cherchais, mais c’est une application assez radicale de la formule de l'open world, aux antipodes de ce qu’a pu proposer cette même année un Tears of the Kingdom.
C’est un peu la même pour l’aspect RPG-light du titre, qui semble plus là pour remplir un cahier des charges et répondre à une mode. L’XP et les niveaux augmentent toujours en parallèle de l’histoire, de même que les ressources nécessaires à l’amélioration des costumes et gadgets : toute cette partie level up et upgrade est très artificielle et aurait aisément pu être automatisée au fil de la progression. On ne choisit pas vraiment nos compétences puisqu’on a toujours assez de points pour tout prendre, nos costumes et objets sont toujours au niveau auquel ils devraient être : tout comme l’apparition des objectifs, la progression de nos personnages est balisée du début à la fin, et le reste n’est qu’illusion. Encore une fois, ce n’est pas bien grave : j’aime bien les aventures scriptées, et Spider-Man 2 est un sacré rollercoaster. Il faut seulement prendre le titre pour ce qu’il est : un formidable jeu d’action-aventure en couloir, caché dans un très très grand bac à sable.
Marvel's Spider-Man 2 a été testé sur PlayStation 5 grâce à vos dons sur Patreon. Merci pour votre soutien.
Spider-Man 2 mérite son statut de force de frappe commerciale de Sony à l'approche des fêtes. Plus grand, plus beau, définitivement plus spectaculaire et audacieux dans sa narration et mise en scène, plus généreux, plus maîtrisé, plus sombre et violent, plus, plus, plus. Le titre d'Insomniac Games n'innove dans pas grand-chose, mais est un aboutissement assez magistral de la formule déjà très efficace développée dans les deux opus précédents, au point qu'on peut légitimement se questionner sur ce que pourra apporter le troisième et ultime épisode déjà annoncé. Probablement la même chose que celui-ci, ce qui me va parfaitement. J'en reprends pour 30 h d'action scriptée et de voltige entre les buildings quand vous voulez.
Les + | Les - |
- Les deux Spider-Man, toujours aussi plaisants à manier, en freerun comme en combat | - La partie RPG-light est assez inutile et artificielle |
- Techniquement solide, bien optimisé et exploite à fond la PS5 | - Quelques objectifs optionnels et mini-jeux pas très intéressants |
- Un open world habilement structuré et agréable à parcourir | |
- Pas mal de séquences très audacieuses : c'est souvent spectaculaire | |
- On joue Spider-Man. J'aime bien Spider-Man |
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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