Vous le savez aussi bien que moi : il est difficile de résister à un bon trailer. Il y a probablement là-dessous des restes de nos souvenirs d’adolescent·es et jeunes adultes qui se hypent devant les bandes-annonces plus ou moins bidonnées de l’E3, mais, je dois l’avouer, un bon trailer ça marche toujours pour moi – et ça a remarché il y a tout juste un mois avec l’annonce de Saros, le nouveau Housemarque, même sans la moindre image de gameplay. Et c’est ce qui m’est arrivé quand South of Midnight a été dévoilé durant la conférence Microsoft de l’E3 avec une fausse moustache de 2023. Quand bien même on ne voyait pas une seule image de gameplay, et qu’il y avait écrit Compulsion Games dessus.
Je fais partie des frustrés de Compulsion Games. Le studio canadien a des qualités esthétiques indéniables, des concepts forts : Contrast et We Happy Few, sur le papier, ça fait hyper envie, visuellement c’est beau et original, les univers sont travaillés, et puis patatras, le gameplay vient coller un chassé dans les tibias de nos espoirs. Et une fois encore, l’équipe a réussi à me refaire monter dans le train de la hype avec South of Midnight. Du Southern Gothic, du stop motion, une BO formidable en trois albums, de l’action platformer 3D, il n’en fallait pas beaucoup plus pour que je me laisse tenter. Et pour une fois, mes espoirs n’ont pris qu’une simple béquille dans la cuisse.
Dans la brume éclectique
Vous l’aurez bien compris : l’attraction principale de South of Midnight est bien sûr son ambiance et son scénario. À bien des égards, le titre se rapproche d’un Alice au pays des merveilles mais en Louisiane, tant pour l’aspect conte et folklore qui font irruption dans le réel, que pour les similitudes entre son gameplay et celui d’un Alice Madness Returns. Et, même si j’ai de grosses réserves sur certains aspects de la narration, je me dois de reconnaître les immenses qualités visuelles et esthétiques du jeu. C’est techniquement très beau, dans l’animation, dans la modélisation des visages, dans les lumières (c’est en plus très bien optimisé, mon PC vieillissant le fait tourner sans tousser), mais c’est aussi esthétiquement superbe, tant dans le chara design des créatures et des personnages humains que dans les environnements et choix de couleurs. C’est parfaitement réussi de ce côté-là, et ça a joué un rôle énorme dans mon appréciation du jeu. J’ai été constamment charmé par ce qu’il avait à me montrer, et cela, même dans les décors les plus sombres du dernier tiers de l’aventure.
Vient ensuite la, ou plutôt viennent les couches couches narratives. Car il y a clairement deux loups qui vivent dans la narration de South of Midnight. D’une part, il y a celle qui raconte réellement l’histoire. C’est de la très chouette narration environnementale, des documents à collecter, des cinématiques fort bien mises en scène, des paroles de chansons : ce n’est jamais très subtil, mais, cumulé à l’atmosphère, ça marche hyper bien sur moi et ça aborde pas mal de thèmes qui me parlent. La quête de Hazel pour retrouver sa mère disparue durant le passage d’un ouragan est surtout un prétexte pour dresser le portrait d’une région portant toujours les stigmates du racisme, de l’esclavage et du colonialisme, et parle très frontalement de lutte des classes, de misère sociale, d’alcoolisme, de services sociaux rendus inopérants par le manque de moyens et de personnel, tout en sachant célébrer une culture, un folklore et une identité du Deep South, toujours en jouant avec les frontières de la réalité et du conte et sans perdre de vue son histoire principale et ses péripéties.




Et, dans ces moments, South of Midnight sait être vraiment touchant. J’ai été assez content de retrouver quelques sujets abordés dans We Happy Few, notamment autour de la perte (parfois volontaire) de prise avec la réalité pour échapper à de trop lourds traumatismes, ou la présence de drames familiaux bien précis. C’est toujours intéressant de voir des auteurs·rices continuer de développer leur réflexion dans des œuvres distinctes, et c’est ce qu’il se passe ici : le studio Compulsion traite de manière différente certaines thématiques communes entre We Happy Few, assez sombre et cynique, voire nihiliste, sur certains abords et South of Midnight globalement plus naïf et optimiste. Si Hazel ne peut pas toujours résoudre les problèmes, elle peut au moins soulager les victimes de tragédies en traitant leurs traumas, et cette démarche va finalement devenir un des fils rouges de l’aventure, avec des effets plus lumineux dans ce conte folklorique que dans le récit dystopique d’une Angleterre fascisée.
Excès d'Hazel
Mais il reste le deuxième loup. Celui qui parasite toute la narration en ajoutant une surcouche bavarde et prescriptive. Le personnage de Hazel est particulièrement représentatif de cet aspect : elle ne la boucle jamais, pour ne presque rien dire d’intéressant hors cinématique. C’est un très bon personnage, avec un chouette chara design, une doubleuse formidable (Adriyan Rae), une personnalité marquée, des enjeux scénaristiques et un développement crédibles : on a envie de s’attacher à elle, mais le jeu passe son temps à lui faire raconter tout et n’importe quoi, en permanence. D’une part, car les devs semblent terrifiés à l’idée qu’on ne trouve pas la solution à une énigme, et poussent à fond les potards du syndrome God of War (il suffit de mettre un orteil dans une pièce pour que Hazel donne à voix haute la solution du puzzle) et de l’autre, car ils semblent également terrifiés à l’idée que l’on s’ennuie et/ou qu’on ne comprenne pas ce qu’il se passe.

À la moindre occasion, Hazel va faire l’audiodescription de ce qu’il se passe à l’écran "Ah ! J’ai failli me faire écraser !", "Oh, c’est effrayant !", ou être surprise et incrédule à chaque micro-évènement après plusieurs heures d’éléments surnaturels ("Nooooon, mais ça ne peut pas être le même crocodile ??" Si, bon sang, on a tous compris ça depuis déjà 35 minutes, concentre-toi). J’imagine que le but est de donner de la consistance et de la crédibilité à Hazel, en la faisant réagir à son entourage et à son environnement, mais l’exécution me pose plusieurs problèmes : c’est très mal dosé, au point d’être parfois envahissant, ça détonne souvent avec ce qu’il se passe à l’écran ou avec la personnalité du personnage, et ce n’est généralement pas très bien écrit. Résultat, ce qui était censé me rapprocher de Hazel me l’a rendue assez antipathique, alors que le personnage a techniquement tout pour m’intéresser. Il y a sûrement un bon équilibre à trouver entre les personnages complètement mutiques des années 2000/2010 et les moulins à paroles de 2020.
Surtout que, dernier clou dans la redondance narrative, à la fin de chaque chapitre, une (très très belle) cinématique vient nous résumer tout ce qu’il vient de se passer. C’est très dommage, car les deux doubleurs font un travail formidable dans ces séquences et que le procédé ancre encore plus le récit dans un format de conte, mais il aurait été préférable que ces passages fassent office d’ellipse plutôt que de raconter une nouvelle fois ce que l’on vient de voir. On se retrouve ainsi avec une bonne histoire, racontée une première fois par les cinématiques et le gameplay, puis une seconde fois par une protagoniste qui commente et souligne tout, puis une troisième fois par un récap' de fin de chapitre : c’est terriblement lourd.

Tant pis pour le Sud
Reste enfin le gameplay, qui, lui aussi, me laisse avec un sentiment ambivalent. Ce n’est, à vrai dire, jamais le point fort des jeux de Compulsion, mais disons au moins que, cette fois ce n’est ni cassé, ni profondément rédhibitoire. J’irai même jusqu’à trouver la plateforme assez agréable, même si malheureusement assez peu mise en valeur par un level design très quelconque. C’est un peu frustrant de voir de bonnes mécaniques aussi peu exploitées, à l’image de cette excellente idée de pouvoir se déplacer verticalement pendant les wallruns, présente dès le début et à peine utilisée en toute fin de jeu, mais allez, ne crachons pas trop dans la soupe : ça fonctionne correctement et ça bouge bien. Contrairement à la partie combat, qui, elle, reste désespérément mollassonne du début à la fin, avec une très faible évolution des attaques et des ennemis, et se passe toujours dans les mêmes arènes. C’est bien simple : dès le premier tiers du jeu, on prend conscience que l’on fait toujours la même chose, et qu’on le fera jusqu’à la fin. Seuls les combats de boss viennent apporter un peu de variété, mais seulement pour une nouvelle forme d’ennui et de médiocrité, qui ne rendent vraiment pas justice à leurs designs et musiques.
Mais tout ceci est finalement assez anecdotique. Rien n’est franchement difficile, ça n’occupe que peu d’espace dans le temps de jeu, ce n’est jamais insupportable à manier (sauf peut-être cet interminable combat final), et, surtout, rien de tout ceci n’est obligatoire. Compulsion ayant été racheté par Microsoft en 2018, je ne serais pas étonné que le choix vienne de là-bas, vu la politique de l’éditeur en matière d’accessibilité et de difficulté granulaire, quoi qu’il en soit, il faut reconnaître que South of Midnight est exemplaire dans le domaine. Vous n’aimez pas les combats de boss ? Passez-les. Vous n’aimez pas les combats tout court ? Passez-les aussi, sans le moindre regret. Vous n’aimez pas les minuteurs dans la plateforme ? Ça dégage. Vous ne voulez pas des séquences de course-poursuite ? Zou, ça vire aussi. En quelques curseurs, South of Midnight peut devenir un quasi-walking sim à la troisième personne, dans lequel il ne vous restera plus qu’à ramasser quelques documents et vous laisser porter par l’histoire et l’atmosphère. J’ai bien conscience que ce n’est pas possible à faire pour tous les jeux. Il aurait été préférable que l’action et la plateforme soient de meilleure facture plutôt que de me sentir soulagé quant à leur caractère optionnel, mais, quand on parle d’accessibilité et d’adaptabilité, c’est vers ce genre de philosophie et d’options qu’il faut se diriger, et ce, indépendamment de la qualité du gameplay.

South of Midnight a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur Xbox Series.
South of Midnight est un jeu assez compliqué à recommander. L'atmosphère, l'esthétique, la bande-son, les personnages sont si plaisants qu'ils sont à même de faire avaler un nombre considérable de couleuvres si on accroche. Je dois moi-même avouer que, malgré tous mes griefs envers la narration, la paresse de la plateforme, la nullité des combats, j'en ressors avec un sentiment bien plus positif que si n'importe quel autre jeu m'avait fait ce coup-là, sachant qu'en plus, les options d'accessibilité peuvent gommer les aspects les plus pénibles. Reste que si la sauce ne prend pas, ou pas suffisamment, il n'en ressort qu'un action platformer 3D assez médiocre et même plutôt ringard. Allez-y donc avec prudence, et n'en espérez de toute manière rien de plus que 10/12h de promenade dans le bayou.
Les + | Les - |
- Visuellement et musicalement irréprochable | - Les combats, poussifs et répétitifs |
- La plateforme est assez agréable... | - ... mais le level design n'en fait pas grand-chose |
- L'accessibilité et l'approche de la difficulté sont exemplaires | - La narration a de grosses lourdeurs |

Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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