Aux frontières du metroidvania et du point & click se tient Somnipathy, qui vous propose de plonger dans les tréfonds des cauchemars d'une jeune adulte victime d'insomnies pour le moins extrêmes.
Somnipathy est un projet issu d'une game jam, ces compétitions de création de jeux à thème imposé. Plus précisément, il s'agissait d'une proposition issue de la Ludum Dare #50, dont le thème était "retarder l'inévitable". Et c'est bien de cela dont il s'agit ici, en nous proposant de suivre les mésaventures d'une protagoniste prise dans une multitude de crises, de problèmes de santé et de choix de vie malheureux qui l'ont plongée littéralement et métaphoriquement au fond du gouffre. Et avant de voir le bout du tunnel, il faudra passer par des nuits traumatisantes, notre héroïne étant victime à la fois de cauchemars abominables et de paralysie du sommeil. Et, aussi chouette et originale soit cette proposition, il vous faudra également vous farcir une quantité de bugs et un manque de finition qui gâchent pour le moment un peu le tout.
Les dodos ont disparu
Dans Somnipathy, disons-le avec un brin de vulgarité, vous avez une vraie vie de merde. L'aventure suit les traces d'Aggy, une jeune femme récemment quittée par son compagnon, coincée dans un logement bruyant et insalubre dans un quartier douteux. Elle survit tant bien que mal avec un bullshit job dans un open space miteux dirigé par un manager insupportable. Entre ça, la saleté ambiante et la quasi-overdose de café qu'Aggy s'envoie pour tenir le coup, cette dernière a tout simplement troqué ses nuits de repos contre de bonnes vieilles paralysies du sommeil remplies de cauchemars indescriptibles.
C'est le point de départ d'une aventure qui va vous faire alterner entre deux réalités toutes aussi glauques. D'un côté, les journées mornes et assommantes d'Aggy (qui peine à sortir de chez elle à cause d'une anxiété sociale, bien compréhensible vu la situation). Et de l'autre, ses nuits dans lesquelles son appartement se transforme en bouche infernale vers son subconscient. C'est ici que l'on passe l'essentiel du jeu : à explorer le donjon des peurs et des angoisses du subconscient de l'héroïne, tourmentée à la fois par sa lampe de chevet en forme de chat infernal et le "Creeper", une créature monstrueuse qui se nourrit du peu de repos qu'il lui reste.
Au fil de la partie et de l'exploration de ce monde intérieur, alors que l'on doute de la part de réalité et de celle du fantasme dans le drame qui est en train de se jouer, une dynamique assez transparente (mais assez efficace) va se mettre en place. Les obstacles rencontrés la nuit (dans le monde cauchemardesque d'Aggy) ne pourront, la plupart du temps, être débloqués qu'en résolvant des problèmes bien réels la journée. Il vous faudra par exemple arriver à gagner la confiance d'une cliente acariâtre du supermarché du coin amatrice de tricot. Ce qui la fera se matérialiser sous forme de monstre dans le donjon pour qu'elle vous aide à utiliser un métier à tisser. Plus tard, vous aurez à convaincre un de vos voisins de vous faire entrer chez lui pour qu'il vous aide à résoudre une problématique de porte fermée. Et ainsi de suite.
Propos empathique, gameplay empoté
Fort heureusement, le propos de Somnipathy ne se résume pas à ce type d'action très mécanique de type "placer pizza sur porte pour débloquer donjon". La plupart des énigmes impliquent directement ou indirectement pour Aggy de surmonter un problème très concret : fréquenter un lieu public, accepter de se soigner, s'autoriser à prendre un jour de congé ou encore faire partiellement le deuil d'une relation brisée encore à vif. En cela, il me semble qu'il s'agit d'un des jeux indés (pourtant, ils sont nombreux) qui aborde le plus frontalement la question de la manière de se sortir d'un état dépressif.
Concrètement, Aggy n'a face à elle aucun remède miracle : chaque pas va lui coûter énormément, chaque victoire lui paraîtra minuscule, et elle sera régulièrement confrontée à des phases immenses de découragement, parfaitement symbolisées dans le jeu par exemple par une pile d'e-mails en retard ne cessant jamais de s'accumuler. Ou encore par l'absence continue et implacable de reconnaissance de la part de son manager, quoi qu'elle puisse entreprendre à ce sujet. C'est donc sur d'autres plans qu'Aggy "avance" et nettoie son donjon intérieur en entamant des débuts de processus thérapeutiques : accepter de modifier quelques détails de son appartement pour le rendre moins glauque, se lier d'amitié (et peut-être plus) avec des collègues ou encore accepter qu'elle ne peut pas surmonter certaines difficultés seule.
Oui, Somnipathy est un jeu qui veut vous dire que même au fond du trou, il est toujours possible de chercher des moyens d'en sortir, sans jamais nier l'immense challenge que cela représente. Ni tomber dans l'écueil de la pensée positive façon "Tu es dépressif ? Arrête.". Et en cela, les dix heures de l'intrigue principale (qui certes traine un peu en longueur et en rajoute un peu dans le bestiaire horrifique de type body horror) se tiennent globalement très bien. Ma principale réserve face à cette vraie réussite narrative, c'est qu'on ne puisse pas en dire autant du gameplay, qui donne l'impression assez nette que le jeu est sorti trop vite, dans un état particulièrement incomplet.
À l'heure où j'écris ces lignes, le destin de certains des problèmes de Somnipathy semble scellé : ses combats patauds sous forme de QTE mal calibrés ou la gestion absolument calamiteuse de l'inventaire d'Aggy, par exemple, semblent condamnés à demeurer en l'état. En revanche, j'espère vraiment que des travers plus critiques seront réparés sous peu. Des bugs de collision rendent certaines séquences proprement injouables, des plantages à répétition grèvent largement l'expérience et, plus grave encore, il est beaucoup, beaucoup trop facile de softlocker sa partie en faisant certaines actions dans le mauvais ordre ou en étant victime d'une erreur de level design. Il m'est par exemple arrivé de ne plus pouvoir progresser du tout parce que mon personnage était dans une pièce d'un bâtiment dont la sortie était un téléporteur… vers cette même sortie. Et je tiens à le préciser : à ce moment précis, Aggy n'était pas en train de cauchemarder.
Somnipathy a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Il est assez regrettable que Somnipathy nous soit parvenu dans un état aussi incomplet. La quantité de bugs et d'approximations de gameplay rendent pour le moment un peu difficile un jugement définitif : Tearcell Games a d'ores et déjà patché le jeu plusieurs fois depuis sa sortie, mais il faudra encore quelques pansements pour que le tout devienne vraiment agréable à jouer. En attendant, on peut toujours rendre un verdict sur le fond, et constater, au moins, que la proposition scénaristique, esthétique et thématique du jeu est, elle, très aboutie. Des problèmes de sommeil à l'anxiété sociale en passant par le mal-logement ou les bullshit jobs, Somnipathy est un jeu qui met les pieds dans le plat, et le fait sans se vautrer dans les clichés habituels. Il y a un peu d'espoir au fond du message très sinistre de l'aventure : "avec de l'aide, vous pouvez vous en sortir". C'est déjà quelque chose.
Les + | Les - |
- Style graphique déroutant, mais unique | - Des bugs (parfois critiques) à foison |
- Le scénario réserve de vraies belles surprises | - Le système de carte, franchement pas pratique |
- Quelques énigmes vraiment itéressantes | - Gestion de l'inventaire très laborieuse |
- Des boss très intéressants... | - ... mais des combats sous forme de QTE qui le sont nettement moins |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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