Développé par le tout jeune studio JUMPSHIP, Somerville est le fruit de la collaboration entre Chris Olsen, animateur britannique à la base du projet et développeur du prototype, et de Dino Patti, ex-PDG et co-fondateur du renommé studio Playdead (LIMBO, INSIDE). Loin d'être du remplissage ou une formalité d'introduction, cette présentation est essentielle, puisque plane en continu sur Somerville l'ombre de Playdead.
Malheureusement, cette paternité entre les titres de Playdead et Somerville est loin de lui rendre justice et le titre souffre à chaque séquence de la comparaison avec ses prédécesseurs. Et, encore plus malheureux peut-être : si l'on prend le nouveau-né de JUMPSHIP à part, en y jouant comme une nouvelle IP d'un tout nouveau studio, l'expérience reste décevante et frustrante.
Marche ou crève (d'ennui)
Tout comme ses frères spirituels, Somerville est un puzzle platformer au gameplay minimaliste, mettant plus l'emphase sur l'ambiance et la mise en scène que sur ses mécaniques. Si le titre de JUMPSHIP n'atteint jamais les sommets d'INSIDE ou LIMBO en termes de séquences choc et lève largement le pied sur l'imagerie horrifique chère à Playdead - on est ici largement plus dans la science-fiction à tendance Guerre des mondes que dans l'horreur macabre de LIMBO ou le body horror d'INSIDE - on peut tout de même lui reconnaître de sacrées fulgurances esthétiques et de mise en scène. On retrouve une narration minimaliste et muette, mais surtout une patte low poly très proche d'INSIDE, autant dans les textures que dans les couleurs, l'éclairage ou dans les modèles 3D et soyons honnêtes : ça fonctionne très bien de ce côté.
Somerville nous met dans la peau d'un père de famille en pleine invasion extra-terrestre, matérialisée par des bombardements planétaires de centaines de milliers de monolithes détruisant villes, infrastructures et campagnes. Et si le titre s'avère rapidement assez vide de propos - jusqu'à nous désintéresser des enjeux pourtant titanesques - force est de constater que le studio a pourtant mis le paquet sur la mise en scène et la représentation de l'apocalypse. Plans très larges de destruction de zones urbaines, champs de monolithes aliens, structures laissées à l'abandon : on saisit toute l'ampleur du désastre et du désespoir en quelques plans bien choisis et bien placés. Somerville n'est ainsi jamais aussi bon que quand il se contente de nous faire traverser les vestiges d'une civilisation humaine dévastée en l'espace de quelques heures.
Le souci, c'est que Somerville s'évertue à placer des séquences de gameplay entre ses séquences de contemplation, gameplay paradoxalement plus riche que ses modèles, mais incroyablement moins bien exploité. Sans même parler de leur qualité - profondément inégale, mais nous y reviendrons - les séquences de plateforme, de puzzle ou d'infiltration choquent de par leur aspect artificiel et presque forcé. Là où la mise en scène et les passages de walking sim fonctionnent parfaitement et parviennent à nous immerger dans ces prémisses de fin du monde, le gameplay vient systématiquement casser cette atmosphère à grands coups d'énigmes hors sujet, de plateforme aux règles mal définies et d'infiltration crispante et punitive, mais surtout qui n'arrive jamais à aller au bout de ses ambitions et abandonne ses idées bien avant d'en avoir fait le tour, voire d'en avoir fait quelque chose d'intéressant.
Tout était calculé, mais je suis mauvais en maths
Somerville est plutôt court, comptez six heures au grand maximum - en restant bêtement bloqué ou en prenant votre temps, donc - et arrive, dans ce laps de temps, à mettre trop de choses en place et n'en utiliser aucune à fond. Il aurait clairement fallu tenter moins de choses, ou faire durer le titre un peu plus longtemps, histoire d'étoffer des mécaniques et des idées qui donnent plus l'impression d'une note d'intention.
Côté énigmes, au-delà des classiques - et un peu ennuyeuses - séquences de caisses à pousser et de leviers à actionner, la mécanique principale repose sur un pouvoir donné au héros en début d'aventure, permettant de faire fondre les fameux obélisques tombés du ciel et ainsi de se frayer un chemin à travers les différentes zones du jeu. Plus loin dans le titre, un deuxième pouvoir fera son apparition, permettant de resolidifier cette matière devenue liquide, donnant lieu à quelques énigmes environnementales assez intéressantes. Intéressantes, mais seulement sur le papier : si le titre a quelques sursauts dans lesquels la technique et les idées se mettent d'accord pour fonctionner ensemble et laissent entrevoir ce qu'aurait pu être Somerville avec plus d'inventivité et un gros coup de polish, la plupart du temps, ça tombe à l'eau de manière dramatique et exaspérante.
Le plus gros reproche que j'aurais à adresser à l'encontre de Somerville, c'est d'avoir voulu faire un « INSIDE en 3D », sans prendre la peine d'adapter la formule à une dimension supplémentaire. Le titre de JUMPSHIP est terriblement, impardonnablement, imprécis. Somerville reprend le type de level design que l'on trouvait chez Playdead, tout en les ouvrant à la 3D et en agrandissant la taille des tableaux, mais conserve la lenteur et l'inertie du personnage. Les allers-retours et les phases de résolution de puzzles en deviennent parfaitement crispants, d'autant plus quand l'absence d'interface et l'esthétique grisâtre, certes élégante, empêchent de voir avec quels objets il est ou non possible d'interagir. Mais ce n'est rien en comparaison avec l'imprécision absolue dont fait preuve notre personnage.
On se retrouve parfois à trouver le bon levier à actionner ou le bon objet avec lequel interagir et il ne se passe… rien du tout. Il ne se passe rien une fois, deux fois, trois fois, puis à la quatrième tentative, notre héros se décide à bouger, car on a enfin réussi à trouver le bon demi-pixel. Ou, pire encore, on trouve la bonne solution à notre énigme, mais la physique du titre part en vrille. Alors on cherche et teste désespérément tout ce qui semble possible et pas trop bête, on appelle même les copains de la rédac à l'aide, on brainstorme et retente plusieurs fois les mêmes méthodes et… ça finit par marcher, à force de retenter les mêmes choses en boucle. Un aspect qui torpille profondément un titre qui, sans ça, aurait déjà peu de choses intéressantes à offrir, et qui empire encore sur la fin du jeu, quand Somerville introduit des séquences d'infiltration (assez peu inventives) ou de poursuite et dans lesquelles cette imprécision n'est pas seulement agaçante, mais provoque surtout la mort de notre personnage.
Somerville a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur Xbox One et Xbox Series.
Quel gros gâchis que ce Somerville. Alors qu'il déploie quelques fulgurances de mise en scène et d'esthétique, que son gameplay à base de pouvoirs jouant sur une physique des fluides et de la lumière promettait de bons casse-têtes, le résultat se trouve gâché par une imprécision et une lenteur au mieux exaspérantes, au pire punitives, au service d'énigmes très peu organiques et d'un scénario assez vain. Et je ne vous ai même pas dit ce qui arrivait au chien, je crois qu'on est tous·te·s déjà assez fâché·es et déçu·e·s.
Les + | Les - |
- De bonnes fulgurances dans la mise en scène | - Terriblement mou et imprécis, jusqu'à en être punitif |
- C'est vraiment joli | - La physique est aux fraises |
- Quelques énigmes qui surnagent | - Les puzzles s'intègrent très mal avec la narration et tombent comme un cheveu sur la soupe |
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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