Snufkin: Melody of Moominvalley (ou Mumrik: La mélodie de la vallée des Moomins) met en lumière la licence qu'il adapte de très belle manière et montre aux plus jeunes que désobéir n'est pas toujours une mauvaise chose. Pour en apprendre plus sur le développement du jeu, on vous invite à lire l'entretien que nous avons réalisé avec Are Sundnes, directeur de Hyper Games.
Lorsqu’il a été annoncé, en 2021, qu’un jeu adaptant la licence Moomin était en développement, je n’étais que peu familier avec l’univers inventé par Tove Jansson. Les premières images m’ont pourtant tout de suite parlé, esquissant un imaginaire coloré et champêtre habité par des personnages curieux aux traits simples. En trois ans, le projet du studio norvégien Hyper Games s’est montré régulièrement, il a trouvé Raw Fury comme partenaire à l’édition et, pendant ce temps, je découvrais et apprenais à aimer ces histoires à la sensibilité peu commune, faisant monter mon excitation à l’approche de la sortie de Snufkin: Melody of Moominvalley. 4h et des poussières plus tard, l’envie de partager mon affection pour les histoires de Moomin et ses proches est plus forte encore qu’auparavant, et peut-être cette volonté de transmission est-elle le plus bel accomplissement du jeu.
Queen Tove
Relativement discrets en France, les Moomins sont pourtant les vedettes d’un phénomène culturel international qui s’est d’abord déployé sous forme de livres illustrés, puis de bandes dessinées, de séries télé aux centaines d’épisodes et de films. Un musée et un parc d’attractions leur sont consacrés, tout comme une large gamme de produits dérivés – je suis moi-même en possession de deux tasses et d’un très beau pull vert sapin. Rapidement exportés, les personnages vont trouver un écho particulier en Angleterre et au Japon, depuis la Finlande dont ils sont originaires. Par chez nous, leur présence plus mesurée s’expliquerait notamment, selon la traductrice de la série, Kersti Chaplet, par un manque d’accompagnement de l’éditeur originel, aujourd’hui rattrapé par une réédition complète chez le Lézard Noir. Ce terreau à la redécouverte des Moomins passe également par la reconnaissance globale en cours de leur créatrice.
Issue d’une famille d’artistes, Tove Jansson est passée par les Beaux-Arts de Paris, période durant laquelle elle a travaillé la peinture, avant de sortir le premier album des Moomins juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale. La série s’exportera notamment sous forme de strips dans les journaux anglais, contribuant à la popularité de ses personnages, médium que l’artiste accompagnera un temps avant de laisser les habitants de la Vallée derrière elle, suivant la publication du neuvième album des aventures du petit troll, Tard en novembre (1970, 2023 en France). Elle se consacrera ensuite à la peinture et l’écriture de fiction, dont des nouvelles étranges, mélancoliques et souvent très courtes. 23 ans après son décès, ce renouveau de consécration s’observe dans la tenue d’expositions consacrées à son travail, mais aussi d’où on la retrouve dans la pop culture, de ses travaux d’illustrations sur Le Hobbit et Alice au pays des merveilles à l’influence qu’elle a pu avoir sur Terry Pratchett, d’après ce que rapporte la fille de ce dernier, Rhianna Pratchett. Pour parachever le tout, Jansson est également constituée en tant que figure queer entourée d’une aura romantique captivante, qu’il est difficile de ne pas ressentir devant le récit des étés qu’elle passait sur une île déserte avec Tuulikki Pietilä, sa compagne depuis les années 1950.
De tout ce poids, Snufkin: Melody of Moominvalley n’hérite heureusement pas, mais rencontre tout de même le défi de s’inscrire dans une œuvre à l’identité très marquée, avec laquelle il serait facile de jurer.
Sortez de ma vallée !
Comme chaque année, Snufkin (ou Mumrik, ou le Renaclerican dans de précédentes traductions) dit au revoir à Moomin le troll alors que l’hiver arrive. C’est que les Moomins hibernent, l’hiver, au fond de leur lit et plongés sous la couette. Les deux amis se retrouveront au printemps, près du pont, comme à chaque printemps. Pendant ce temps, Snufkin s’adonnera à ses occupations favorites : marcher à travers la nature, apprécier ce qu’il voit, faire advenir les pensées. Sauf qu’à son retour, les choses ont l’air d’avoir changé, dans la vallée des Moomins. Les animaux semblent préoccupés, quand ils ne fuient pas les lieux. Des parcs avec des haies, des clôtures, des règles et des policiers pour faire respecter celles-ci ont pris la place des clairières et des sous-bois. Mais surtout : Moomin n’est pas au rendez-vous sur le pont.
De ce point de départ, on accompagne Snufkin dans sa quête de réponses sur les causes de ce chambardement général, ce qui l’amènera à croiser un grand nombre de personnages issus des livres, de Sniff le peu téméraire à Petite Mu l’attachante peste, en n’oubliant pas la tendre Tooticky, tous des amis de Moomin au caractère unique. Iels auront souvent besoin d’un coup de main ou, au contraire, leur aide à apporter au voyageur à chapeau vert, ce qui se traduit par des objets à leur fournir ou un chemin à ouvrir. On erre ainsi de-ci de-là dans la vallée verdoyante, crapahutant le long des falaises, sautant de rocher en rocher sur la plage, dans un espace relativement ouvert, mais toujours bien délimité selon les instruments à notre disposition. En bon vagabond, Snufkin voyage avec un harmonica dans la poche, dont il joue pour influencer son environnement : aider un oiseau à chanter, faire foncer un corbeau en plein vol, attirer l’impressionnant monstre marin… Mais pour arriver à ses fins, il va devoir trouver l’inspiration en se baladant, afin de jouer toujours mieux de la musique. Saviez-vous qu’on trouve généralement l’inspiration dans les fourrés ? Moi non plus, ce serait bien pratique si c’était le cas en vrai. L’idée est en tout cas simple et jolie, et encourage l’exploration dans les coins de zones plus grandes et tortueuses qu’elles ne paraissent à première vue. Au fil de l’aventure, on confiera à Snufkin deux autres instruments qui ouvriront d’autres possibilités et chemins, entre lesquels on navigue d’une touche.
Snufkin: Melody of Moominvalley se pose en jeu accessible au plus grand nombre grâce à ses mécaniques claires et instinctives, et l’aventure ne s’étend pas outre mesure (4h pour voir les crédits mais sans farfouiller partout), ce qui sied à cette variété modeste d’interactions, qu’on n’aurait pas détesté un peu plus fournie tout de même. On a pourtant l’impression d’avoir pris le temps de se balader et d’apprécier le bon air, durant cette durée relativement courte. Sûrement grâce à un aspect dessiné très réussi, une musique discrète et légère et de très chouettes séquences animées venant ponctuer la progression de l’histoire. Cette impression de calme porte pourtant en elle un discours politique cinglant, qui a le mérite de ne pas y aller par quatre chemins.
Topiaire le chauve
Les aventures dont Moomin et ses amis sont les héros se vivent comme des récits initiatiques à l’apparente simplicité, portant des valeurs positives, mais pas déconnectées du réel pour autant. La compréhension, l’empathie, le partage rencontrent la sensibilité certaine du petit troll hippo, qui ne cesse de faire des rencontres. Et tout le monde est le bienvenu dans la vallée, en particulier celles et ceux qui ont un peu de mal à trouver leur place ailleurs. Le casting haut en couleur du jeu nourrit une histoire qui pioche ici et là dans les différents opus littéraires, en particulier de L’été dramatique de Moomin (1954, 2015 en France), duquel il reprend le personnage du gardien de parc ainsi qu’une trame aux échos similaires.
Les policiers que Snufkin croise en arrivant dans la vallée travaillent pour le gardien, un individu en quête du Progrès qu’il estime nécessaire à l’amélioration de la vie de tous. Les parcs sont l’incarnation de cette volonté de contrôle. La forêt est en train d’être détruite et mise sous contrôle, avec le soutien des forces de l’ordre, protecteurs aveugles d’une volonté unique. Il est réjouissant de constater qu’un jeu aussi accessible aux enfants s’engouffre totalement dans le rôle qu’a à jouer la désobéissance dans la vie en société, par l’intermédiaire de son personnage principal qui, lorsqu’on lui intime l’ordre de se plier aux règles, répond avec colère : « Non ». Comparé aux récits dont il sort, celui de Melody of Moominvalley peut paraitre un peu moins fin, mais on peut aussi arguer qu’il renoue plus directement avec la figure politique incarnée par Tove Jansson qui, dans sa jeunesse, a travaillé dans le dessin de presse et a laissé derrière elle des traces nettes d’une sensibilité antifasciste. Il faut savoir gré à Hyper Games d’avoir choisi cette voie plutôt que d’avoir pris l’apparat de la licence sans la richesse évocatrice de son univers. Et, à l’opposé des parcs aux allées bien déterminées, certains recoins de la vallée permettent à Snufkin de se poser et de regarder le monde, au calme, pour le plaisir d’être là. Une autre manière de résister, qu’on ne manquera pas de mettre en application.
Snufkin: Melody of Moominvalley a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur Nintendo Switch.
Snufkin: Melody of Moominvalley fait honneur à la série de Tove Jansson. Le choix de Snufkin comme personnage principal permet de faire un pas de côté et d'approcher le potentiel politique de l'univers des Moomins, tout en restant fidèle à la sensibilité de ces personnages adorés. Adapté à un public jeune, le jeu est une très belle porte d'entrée à la série pour qui voudrait découvrir ces récits à la portée universelle. Celleux qui en sont déjà tombés dingues ne pourront qu'adorer.
Les + | Les - |
- Un manuel de désobéissance civile à la portée des plus jeunes | - Un peu plus de variété de gameplay n'aurait pas fait de mal |
- Vraiment respectueux de l'univers et de la sensibilité de ses personnages | |
- Des graphismes façon dessin du plus bel effet | |
- Une zone de jeu ouverte bien pensée |
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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