En proposant un jeu de craft et de survie, directement dans la veine de Don’t Starve, avec une esthétique proche de Broken Age et Earth’s Dawn, le premier jeu de Solar Sail Games marche sur un terrain particulièrement dangereux. Les armes de Smoke and Sacrifice pour se jeter dans la bataille ? Une aventure largement plus scénarisée que ses concurrents, et une direction artistique Dark Fantasy plutôt étonnante.
Autant vous avertir tout de suite : je ne suis pas très client des jeux de survie. Le craft a tendance à m’ennuyer, et les mécaniques de construction de base et d’objets me gonflent souvent assez vite. Mais il ne faut jamais dire jamais, et comme les huîtres et les brocolis, je retente le coup une fois par an. Je m’attendais, de plus, à ce que l’esthétique étrange et l’approche d’une vue en 3D isométrique pour figurer l’action rendent l’expérience confuse et désagréable. Mais à ma grande surprise, et avec toutes les réserves que j’apporterai plus bas, j’ai pris, sans ironie aucune, beaucoup de plaisir à jouer à Smoke and Sacrifice.
Mother Sachi
Un village agricole à la vie paisible et monotone, qu’on devine post-apocalyptique aux étranges machines rouillées qui le parsèment. Peut-être le seul village encore habité des humains, cerné de déserts de glace peuplés de monstres hideux, et dirigé par un conseil de sages chargés de s’occuper du mystérieux Arbre Solaire, machine supposée apporter la prospérité à la communauté. C’est ici que nous faisons la connaissance de Sachi, la jeune femme que nous incarnerons dans Smoke and Sacrifice. Une jeune femme contrainte de sacrifier son premier-né dès le début du jeu, parce que c’est généralement comme ça que ça se passe dans les villages post-apocalyptiques dirigés par des prêtres masqués.
Suite à des événements tout aussi déprimants, Sachi sera précipitée dans un endroit différent, encore plus sinistre. Une version souterraine et marécageuse du monde, submergé par une brume toxique, et hanté par de mystérieux chasseurs-cueilleurs flottant au dessus du sol, engoncés dans des tenues protectrices et des masques leur donnant l’allure de médecins luttant contre une peste virulente. C’est là que Sachi apprendra que dans ce monde de cauchemar, son fils sacrifié est peut-être encore vivant, là, quelque part.
La quête de Sachi est donc simple : apprendre à survivre dans un monde où presque tout est un danger mortel, et enquêter sur la disparition de son fils. Les premières étapes seront assez basiques : apprendre à créer de la lumière pour lutter contre la brume, fabriquer un filet pour attraper des insectes, assembler des remèdes simples pour éviter une mort rapide, et bien entendu : forger des armes et des armures. Smoke and Sacrifice est un jeu très axé sur le craft et la recherche d’ingrédients nécessaires pour avancer jusqu’à la difficulté suivante, et ce jusqu’au bout d’une aventure d’une conséquente quarantaine d’heures.
Cependant, à l’inverse de l’excellent Don’t Starve ou du récent State of Decay 2, Smoke and Sacrifice est une expérience avant tout pilotée par sa trame scénaristique, et par la quête de la protagoniste. Assez discrète, plutôt peu bavarde, et assez rythmée, l’aventure de cette mère désespérée, entre la Cité des Enfants Perdus, Mother Sarah et Jamais sans Ma Fille se laisse suivre sans déplaisir. Son seul bémol tiendrait en quelques formulations de quêtes parfois un peu nébuleuses, et une propension du moindre PNJ à vous dresser imperturbablement une liste de courses, vous transformant à chaque instant en livreuse de l’extrême, y compris au profit de gens ayant de manière incontestable davantage de moyens que vous pour aller récolter ce dont ils ont besoin.
Nuit et Brouillard
Smoke and Sacrifice se présente sous la forme de différentes zones, plongées la moitié du temps (l’équivalent de la nuit) dans une brume hostile qui vous aspirera vos points de vie en quelques secondes. Chaque zone est séparée des autres par un dangereux no man’s land couvert de mines et pauvre en ressources naturelles. Les premières heures sont particulièrement rudes : vos équipements sont très limités, les objets que vous fabriquez se brisent vite, et vos moyens de défense sont faibles.
Comme dans la plupart des jeux de ce type, vous pratiquerez la plupart du temps des activités relativement répétitives : partir de votre base pour récolter des ingrédients, taper sur des monstres au passage, revenir au bercail pour réparer ce qui a été abîmé et transformer vos récoltes en objets plus élaborés. Et mourir, souvent. Smoke and Sacrifice est difficile, et très punitif. Son système de sauvegarde vous incite à prendre des risques, les monstres frappent fort, et tout se dégrade très vite (normal vu l’ambiance du jeu très axé sur la corruption et la pourriture). Vos moments de répit seront courts et peu gratifiants.
Cependant, contrairement à certains de ses concurrents, Smoke and Sacrifice guidera assez étroitement votre progression, et ne vous abandonnera presque jamais avec une liste de grandes recettes en espérant que vous dénicherez le prochain hub par vous même. Au contraire, vous avez toujours quelque chose de très précis à faire, clairement pointé sur la carte du monde ou dans votre journal de quête. Le scénario est donc linéaire, mais pas la manière de parvenir à chaque sous-objectif. La carte est immense, le nombre de recettes à créer est très important (dont une partie à découvrir de manière optionnelle), et vous aurez à beaucoup tâtonner pour progresser et découvrir tout ce que le jeu entend offrir.
L’équilibre entre un travail mâché par les PNJ (« va ici, fabrique ça… ») et le sentiment de solitude qui vous serre parfois la gorge (« je dois trouver des champignons et des lucioles, et je ne sais plus exactement où ils sont alors que la nuit tombe… ») est assez fin. Il est rare qu’une expédition ne vous apporte rien du tout, ou qu’une mort ne soit pas riche d’enseignements. Même des sessions de jeu plutôt courtes pourront vous faire progresser. A l’inverse, le fait que certains ingrédients récoltés se périment parfois très vite vous forcera parfois à d’irritants allers-retours un peu artificiels pour créer des objets dont vous n’avez pas nécessairement besoin à un instant T. Fort heureusement, plus vous avancez dans le jeu, plus divers dispositifs vous dispensent de certaines de ces tâches et vous laissent vous concentrer sur la suite de la quête.
Coquilles dans la Brume
J’étais a priori inquiet de l’esthétique si particulière de Smoke and Sacrifice, avec sa 3D isométrique souvent synonyme de grosse galère. Les trailers parus au fil de ces derniers mois n’étaient pas très engageants. Mais une fois le jeu lancé, cette direction artistique se fait en réalité rapidement oublier. Si elle n’est pas toujours très heureuse, elle a le mérite de la cohérence, et de porter une véritable proposition graphique qui se démarque radicalement de Don’t Starve. Son approche entre fantasy préhistorique et cyberpunk post-cataclysme fonctionne même par moment plutôt bien, et installe en permanence une ambiance de malaise et d’oppression servie par un bestiaire gentiment horrifique.
Les quelques défauts de Smoke and Sacrifice sont plutôt à dénicher du côté du système de combat, qui a le mérite de la simplicité mais l’inconvénient de commandes parfois imprécises, et d’objets souvent malcommodes à utiliser. Les combats contre les boss ou les ennemis les plus coriaces s’en ressentent lourdement, provoquant parfois la mort du personnage pour une simple histoire de saut bancal.
On déplorera également un rythme parfois en dent de scie, un démarrage un peu lent (les premières heures sont si limitées en terme de possibilités qu’elles peuvent décourager), et une ergonomie souvent douteuse. On aurait aimé pouvoir trier son inventaire bien plus vite, bénéficier de descriptions des recettes et des objets, pouvoir réorganiser ses quêtes annexes via des marqueurs de suivi… Autant de petites imperfections qui, mises bout à bout, peuvent agacer. Je l’ai moi-même constaté en laissant le jeu de côté plusieurs jours. Si une pratique intense de Smoke and Sacrifie fait bien vite oublier ces défauts d’interface, l’abandonner ne serait-ce qu’une semaine puis y revenir demande un long temps de réadaptation à des commandes et des menus qui sont tous sauf intuitifs. Rien de véritablement rédhibitoire, mais le gameplay de Smoke and Sacrifice peine à se faire oublier.
Mais au fond, le principal écueil dans lequel tombe parfois le jeu de Solar Sail, et bien qu’il soit de manière évidente une excellente surprise, est celui d’une certaine généricité. Certes, Smoke and Sacrifice a pour lui son scénario et la qualité de son exécution graphique. Il peut se targuer de présenter un rare exemple de personnage principal féminin de jeu vidéo touché par des questions maternelles, sans pour autant que cela soit tourné au ridicule ou au cliché grotesque. Mais si je devais retenir une killer feature du jeu, je n’aurais rien de très pertinent à mettre en avant. Smoke and Sacrifice c’est avant tout des mécaniques et des logiques vues un peu partout ailleurs, parfois mieux, parfois moins bien. Mais si vous me passez l’expression sortie tout droit des enfers : rien n’est véritablement disruptif là-dedans. En ce qui me concerne, peu importe, le jeu est excellent, et cela me suffit parfaitement. Mais si vous avez saigné à blanc chacun des centaines de RPG axés craft et survie sortis depuis dix ans, vous serez sans doute assez blasés de retrouver encore et toujours les mêmes mécaniques. Mais reprocher à un bon jeu de n’être qu’un bon jeu serait cruel, et Smoke and Sacrifice ne le mérite pas.
Smoke and Sacrifice n’est peut-être qu’un RPG teinté de Don’t Starve parmi des dizaines d’autres, mais il est incontestablement dans le haut du panier du genre. Avec sa direction artistique inspirée, son scénario assez bien écrit et sa durée de vie conséquente, le jeu de Solar Sail Games ne souffre que de légers problèmes d’interface, de quêtes annexes se contentant souvent de vous faire jouer au coursier, et d’un gameplay manquant parfois de polish. Rien qui ne devrait arrêter tout amateur du genre, mais il manque un petit quelque chose à ce jeu pour devenir la référence incontestable dans son domaine.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
Articles similaires
Toads of the Bayou - Crapaud l'artiste !
nov. 25, 2024
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024