L'encre n'a même pas eu le temps de sécher, notre Shift venait tout juste de le faire remarquer : en cette année 2024, les jeux de puzzle s'enchaînent à une vitesse si fulgurante qu'il semble impossible (ou au moins indigeste) d'essayer de tous les faire. Sans aucun doute, une année dingue pour les fans de casse-têtes, et on n'en est qu'à la moitié.
Ne vous y trompez pas : ce n'est pas un reproche. J'adore les puzzles, et le seul risque de cette profusion est que les développeurs des prochains jeux vont devoir se retrousser les manches pour inventer de nouvelles choses, mais l'expérience montre qu'il ne faut pas trop s'inquiéter sur ce point. Par exemple, on voit souvent apparaître dans nos casse-têtes le principe général du taquin, c'est-à-dire décaler des trucs pour faire passer d'autres trucs. C'est même l'objet de sous-branches vidéoludiques entières comme le Sokoban dont est tiré le récent Isles of Sea and Sky. Par contre, je n'avais pas encore vu de jeu complet qui repose entièrement sur le principe de base du taquin 3x3. Vous ne croyez pas cela possible ? Laissez-vous entraîner par Slider.
La grosse tuile
Dans Slider, notre petit bonhomme pixelisé se déplace donc sur une carte que le joueur va lui-même assembler à partir de tuiles qu'il récolte ici et là. Un système assez classique : on pense notamment à l'excellent Carto, à ceci près qu'ici les tuiles ne tournent pas et qu'elles sont donc contraintes dans une grille de trois par trois (à quelques exceptions près). Plus on a de tuiles, plus ça devient compliqué de les déplacer, jusqu'au moment où l'on obtient huit tuiles et qu'il faut alors résoudre l'ensemble. Pour le reste, la mécanique est effectivement la même : on se promène sur la carte en rencontrant des gens ou des situations à résoudre en réarrangeant les tuiles de la bonne façon. Je vous en spoile une fastoche pour l'exemple : si vous avez une tuile avec une Juliette éplorée, et une avec un Roméo tristounet, il n'est pas improbable que coller les deux face-à-face leur redonne le sourire.
Ça, c'est la version simple. Un peu plus loin, ça va se compliquer un tantinet. "J'espère bien !", me disais-je, fort d'avoir complété le premier niveau les doigts dans le nez. C'était avant de me heurter à quelques concepts parfois très, très techniques qui m'ont retourné les neurones (dans le meilleur des cas) et forcé (dans le pire) à ouvrir le guide heureusement inclus dans le jeu. Les règles du taquin changent évidemment en fonction du décor. Profitant de la légèreté d'un scénario qui tient tout entier dans "où est donc passé mon chat ?", le jeu s'amuse à aligner les environnements vidéoludiques les plus éculés : la mer de pirates, l'usine, la mine avec ses wagons, et même un petit passage dans le wargame résumé à coup de pierre-papier-ciseaux.
Les mondes parallèles
La première version de Slider, écrite en 48 h pour la GMTK Game Jam de 2021, est toujours disponible sur les internets. Il est étonnant de voir à quel point cette démo forme toujours, intacte, le premier niveau du jeu final. On peut d'ailleurs toujours remarquer des limitations techniques un peu curieuses, mais rien de gênant. Ce qui est notable, c'est qu'il aura fallu 48 h pour développer les mécaniques, le style graphique (certes simple, on y reviendra) et le premier niveau, et trois ans pour les huit niveaux suivants. Voilà qui tend à démontrer, s'il était besoin, que pousser un concept au-delà de la game jam n'a absolument rien d'évident. Un concept pondu à la va-vite peut faire une démo excellente, pas un jeu complet. À aller trop vite, Slider aurait pu n'être qu'une version trop étirée et répétitive de sa version initiale.
En l'occurrence, ce n'est pas le cas : chaque mécanique est pensée avec soin et s'intègre parfaitement dans son décor. Avec un gros bémol : les règles du jeu ne sont parfois pas très explicites. Bien sûr, saisir le fonctionnement fait partie de l'expérience, mais certains mécanismes sont plus subtils que d'autres – mention spéciale au système d'alimentation en électricité dans l'usine, où je me suis retrouvé à fixer l'écran sans bouger pendant très longtemps à essayer de comprendre ce qui se passe. Il y a quelques efforts pour mettre en place une progression qui permet d'appréhender les choses, mais elle reste rapide vu qu'il y a au final peu de tuiles à récupérer en tout, donc peu d'occasions de tester le fonctionnement. Préparez-vous donc à turbiner du ciboulot.
D'autant plus que Slider est plutôt linéaire. Dans le jeu de puzzle, pouvoir changer de front est souvent libérateur ; on avance par petits pas d'un côté, puis de l'autre, pour finalement revenir avec une configuration mentale légèrement différente qui permet souvent de débloquer la situation. Ce n'est pas le cas ici, à quelques exceptions près qui sont en fait probablement pires, parce qu'il doit être possible de coincer sur une situation qui n'est pas soluble tant qu'on n'a pas récupéré le bon item dans un autre niveau – et qu'on ne le sait même pas. Cela dit, et pour être tout à fait honnête, cette situation ne m'est pas arrivée.
À cheval donné, on s'arrache les yeux
À ce stade, on n'a même pas encore fait remarquer que Slider est absolument gratuit – ce qui peut surprendre, vu le niveau d'aboutissement du jeu. Cela explique qu'il ait fait le choix d'une direction artistique économique, en forme de pixel art en noir et blanc (plus une couleur bonus par niveau, qui en souligne la particularité). Un choix logique, car plus économique... mais qui se fait au détriment de la lisibilité. À force d'essayer de décrypter tous les branchements possibles dans les pixels des tuiles, mes yeux ont demandé grâce.
Et c'est vraiment ce qui m'a fait souffler de frustration. Par bien des aspects, Slider est un jeu brillant qui n'aurait pas à rougir face à la concurrence (nombreuse, redisons-le), s'il ne lui manquait cette petite dose de qualité de vie, de polish visuel et pédagogique, pour jouer véritablement dans la cour des grands. Quitte à y mettre quelques pièces.
Slider a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Avait-on besoin d'un puzzle de plus cette année ? Si vous me demandez, la réponse sera toujours "oui", surtout s'il est aussi bien conceptualisé – et gratuit. Un avertissement toutefois : Slider peut s'avérer assez raide, sur le fond comme sur la forme.
Les + | Les - |
- Un casse-tête souvent brillant | - Quelques imperfections techniques |
- C'est gratuit | - Arrache un peu les yeux sur la fin |
- Solution incluse, ouf | - Manque de clarté sur certaines énigmes |
glau
Se perd dans des mondes ouverts, dans les rouages de sa propre usine ou dans le fracas des chars, mais trouve toujours un petit chemin de fer pour rentrer.
follow me :
Articles similaires
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024
Great God Grove - Queer et élastique
nov. 11, 2024