Je me réveille dans les bois. On me dit d’aller dans une cabane voisine, et d’y tuer la Princesse qui y est attachée. On me prévient : elle va vous mentir. Il ne faudra pas écouter ses mensonges. Mais au fait : la personne qui me raconte tout ça, elle, dit-elle la vérité ? Bonne question, et bienvenue dans Slay The Princess.
Moi, les narrateurs de jeux vidéo, je les connais, hein. J’ai joué à Bastion, The Stanley Parable et Shadow The Hedgehog, je sais qu’on ne peut pas leur faire confiance. Alors, j’ai dit non, n’en déplaise aux développeurs·euses de chez Black Tabby Games. Non, j’irai pas tuer la Princesse. Le Narrateur m’a répondu : si, si, tu vas y aller mon gars. J’ai insisté : pas question. Les aventuriers ne vont jamais tout droit, et autres proverbes du genre. Le Narrateur a commencé à s’énerver. C’est une question de vie ou de mort, et la Princesse est très, très dangereuse. J’ai refusé encore et encore, je ne suis pas un assassin, nom de nom. Alors, Slay The Princess a commencé à devenir très, très bizarre. Quelque chose de fort désagréable m’est arrivé. Et je me suis réveillé dans les bois.
Et ils vécurent Re : Re
Le Narrateur me dit d’aller dans une cabane voisine, et d’y tuer la Princesse, qui y est attachée. Elle va me mentir, me dit-on. Je réponds que l’on m’a déjà expliqué tout ça, et le Narrateur me répond : mais enfin, non, pas du tout. J’insiste. Notre relation se détériore. J’ai du mal à me concentrer : j’entends désormais des voix dans ma tête. Des voix qui s’accordent sur un point : je n’ai pas vraiment d’autre choix que d’aller dans la cabane. J’y vais, et tout devient bizarre à nouveau. Le Narrateur finit par admettre que bon, PEUT-ÊTRE qu’on a déjà vécu cette scène. Allez savoir. Peu après, quelque chose de fort désagréable m’est arrivé. Et je me suis réveillé dans un bois.
Le Narrateur me dit d’aller dans une grotte (ah bon ?), et d’y tuer la Princesse, qui y est détachée. Elle va probablement me tuer, me dit quelqu’un avec qui d’autres personnes semblent ne pas être d’accord. Tout le monde s’engueule. Le bois est devenu sombre et humide. Mon opération commando dans la caverne tourne à la catastrophe. Je me réveille. Tuer Princesse. Narrateur. Bois. Catastrophe. Tout ça pour en venir à ce que vous attendiez tous et toutes : le moment de Slay the Princess où je me réveille dans un bois, et où le Narrateur me dit d’aller dans une cabane voisine, et d’y tuer la Princesse (qui y est attachée, figurez-vous).
Princesse Speech
Bien sûr, la Princesse et moi, on commence à bien se connaître. Après tout, c’est la première fois que nous nous voyons. Je sais ce qu’elle va me dire, elle sait ce que je vais lui dire : notre longue relation dure depuis plusieurs secondes, pas vrai ? Je commence à comprendre ce qu’elle veut. Ce qu’elle veut, c’est que je la tue. Ou que je l’épouse. Non, attendez, elle veut juste sortir de cette fichue cabane dans laquelle elle vient d’être enfermée depuis des centaines d’années. Je pense que moi, la réalité et la logique, on commence à voir se détériorer notre triangle amoureux que je pensais assez stable.
La Princesse me propose de venir la rejoindre dans son château. Enfin, sa cabane. Enfin, non, c’est pas elle qui me dit ça, c’est le Narrateur. Et puis de toute manière, la Princesse est dans un autre château. Pourquoi on est là, déjà ? Ah oui, c’est sans doute une histoire de romance. Après tout, c’est une Princesse à délivrer, c’est ce qu’on fait dans ces cas-là. Princesse, cabane, couteau, romance, bois, couteau, cabane, Narrateur, Princesse, rebelote. Attendez, pause, il faut que je fasse le point. Mais je ne peux pas. Je sais que je ne peux pas.
Cela fait quelques heures que je suis pris dans ce tourbillon alternant entre comédie, horreur et Princesses. Je fais de mon mieux pour ne pas perdre complètement la boucle. Enfin, je veux dire, la boule. Une fois de plus, me voici digéré par le cycle infini. Pourtant, on me rassure : impossible de faire deux fois le même choix. Sauf que chaque choix que je fais ferme une porte et en ouvre une autre. Il n’y a pas deux routes similaires, mais il y a une infinité de routes. J‘aurais peut-être dû écouter le Narrateur, il y a longtemps, lui obéir. Tuer la Princesse au lieu d’essayer de la baratiner. L'ai-je déjà fait ? Je ne sais pas. Je ne sais plus.
Play the Srincess
J’ai désormais accepté le fait que mon existence se réduisait à ce paradigme : Aller Cabane / Prendre Dague / Tuer Princesse. Est-ce que je deviene fous ? Mystère. J’ai fait la paix avec le fait de ne plus avoir à me poser ce genre de question. Mon étymon existentiel était là, depuis le début, dans cette prémisse consistant à renoncer à toute autre ligne de fuite vidéoludique que ce pinacle narratif : il faut tuer la Princesse.
Ou se faire tuer par elle. Ou tuer le Narrateur. Ou tuer les voix dans ma tête. Ou tuer la cabane. Ou sauter par la fenêtre de la cabane. Ou jeter l’arme par la porte. Ou jeter la porte sur l’arme. Si j’ai appris quelque chose tout au long de ce long et éprouvant voyage, c’est que tout était là, entre mes mains, depuis le début. Trois mots, quelques éléments de décor, une infinité de possibles.
Je souhaite désormais que tous les nouveaux jeux vidéo que je pratiquerai dans ma vie me proposent exactement la même chose : remonter sur un sentier, rencontrer la Princesse, recommencer. Pourquoi voudrais-je autre chose ? Vous pensez que je suis dorénavant conditionné par ce bon vieux Narrateur ? Non, vous avez tort. Il faut tuer la Princesse. Encore une fois. Juste une fois de plus. Après, c’est promis, c’est fini. Non, je n’ai aucun problème. Je ne vois pas ce que vous voulez dire. J’arrête quand je veux.
Slay The Princess a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Quelques mots un peu plus sérieux me semblent nécessaires pour achever ce texte : depuis sa sortie, Slay The Princess a accumulé le score absurdement positif de 98% d’évaluations positives sur Steam, sur la base de plusieurs centaines d’avis. C’est absolument mérité. J’ai eu beau me creuser la tête pour trouver quelque chose à redire, rien ne me venait en tête, à quelques micro-détails et incohérences près. Je ne peux donc que vous recommander extrêmement chaudement ce jeu d’aventure absolument époustouflant, en vous suppliant de vous spoiler le moins d’éléments possible sur ce qu’il contient en réalité. Je suis convaincu qu’il faut déflorer cette histoire avec le même niveau d’information que notre avatar au début de son aventure : nul. Il y a des bons jeux, il y en a d’excellents, il y a des prétendants au jeu de l’année, et puis, dans une catégorie légèrement à part, il y a ceux du calibre de Slay The Princess. Ceux dont on sait avec certitude qu’ils sont un point d’étape important dans l’avancée du jeu vidéo en tant que média.
Les + | Les - |
- Surprenant de bout en bout | - Aurait été plus accessible avec une VF |
- Direction artistique irréprochable | |
- Pousse son concept dans ses derniers retranchements de manière éblouissante | |
- Doublage mémorable | |
- Un grand jeu narratif, en somme |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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