Quelque part entre Limbo et L’Odyssée d’Abe, Silt vous propose d’incarner un scaphandrier piégé au fond d’abysses mystérieux, mais doté de la capacité à posséder mentalement la plupart des créatures marines hantant les lieux. Un puzzle game à l’originalité toute relative, mais un voyage pour le moins splendide.
Faire son premier jeu, ce n’est jamais une mince affaire, surtout à l’ère de la surproduction où un titre chasse le suivant et où l’originalité est devenue l’exception et non la règle. Particulièrement dans le domaine ultra compétitif des jeux d’énigmes en 2D à narration environnementale mystérieuse. Aussi, quand le studio britannique Spiral Circus Games a débarqué avec son trailer de puzzle game muet en noir et blanc à défilement horizontal avec des mécaniques semblant tirées au hasard dans les clichés du jeu 2D actuel, j’étais UN POIL dubitatif. Par chance, Silt m’a détrompé et compense le côté un peu plat de sa proposition par une direction artistique sublime qui saura ravir les amateur·ice·s d’horreurs venues des profondeurs… au prix d’un gameplay étrangement mou et largement perfectible.
Je possède une mémoire de poisson rouge
Je me suis toujours demandé si les développeurs qui accolaient l’adjectif « surréaliste » à leur pitch de jeu avaient une idée, même vague, de ce que qui caractérisait le courant artistique du surréalisme. Parce que dans le cas de Silt, c’est visiblement juste un synonyme de « cryptique » et de « bizarre ». J’imagine que c’est moins vendeur de dire « Silt est un puzzle game à l’ambiance un peu étrange » que « c’est une aventure narrative surréaliste ». Et pourtant, c’est bien ce qu’on a entre les mains.
Dans Silt, on se réveille en tenue de plongeur, casque de scaphandre vissé sur le crâne, attaché par une chaîne d’acier à ce qui semble être le fin fond d’une étendue d’eau indéterminée. Bref, pas exactement la définition d’un week-end idéal. Très rapidement, le jeu – complètement muet – nous fait comprendre que notre seul moyen de nous tirer de ce mauvais pas, c’est de sortir de notre corps sous forme d’un filament blanchâtre pour posséder le corps d’un petit poisson dentu qui passait dans le coin afin de lui faire ronger la chaîne en question pour nous rendre notre liberté. Évidemment, pas question de remonter ni une ni deux à la surface, puisqu’on va bientôt découvrir que non seulement il sera question d’aller de plus en plus loin dans les profondeurs de notre lieu de captivité, mais que nous nous trouvons dans les ruines d’une civilisation enfouie et mystérieuse. Et que, probablement, nous n’incarnons pas tout à fait un simple plongeur de passage.
Tout au long de notre périple, Silt va nous proposer une série de puzzles impliquant presque tous cette mécanique de possession : chaque animal marin que l’on peut incarner a un comportement et des capacités différentes. Les petits poissons mordeurs peuvent couper des liens, les méduses peuvent dasher et se téléporter à travers des murs, les anguilles peuvent électrifier des mécanismes, la carapace des crabes leur permet de résister à certains chocs, etc. J’ai été positivement surpris par la grande variété des situations proposées et la manière dont le jeu parvient très bien à cumuler les différents pouvoirs, à les combiner efficacement dans des énigmes super créatives. Il n’est ainsi pas rare de devoir posséder un crabe pour casser un engrenage, puis retourner dans le corps du scaphandrier pour bouger un ascenseur que l’on va devoir par la suite électrifier avec une anguille, avant de repérer le bon timing pour incarner un banc de poissons empoisonnés et le faire avaler par un ennemi à première vue isolé et invincible, etc. On sent que les développeur·euse·s de Silt ont pleinement travaillé leur concept et n’ont pas lésiné sur les idées, nous proposant quelques-uns des puzzles les mieux conçus de l’année pour ce genre de jeu. C’est, hélas, sur l’exécution technique de ces puzzles et la seconde partie de l’aventure que ça se gâte un peu.
Abysse répétitif
Si on peut louer le fait que (au moins sur Switch) Silt soit un jeu quasiment dépourvu de bugs, on peut tout de même regretter qu’il s’agisse aussi d’un jeu au rythme souvent extrêmement mou, ce qui parasite constamment l’expérience. D’une part parce que, comme dans tout bon niveau sous-marin vidéoludique qui ne se respecte pas, on se déplace dans ce jeu avec la lenteur d’une enclume dopée au Valium. Chaque mouvement est lent, coûteux et fastidieux, et ce dans des arènes relativement grandes qui conduisent à parfois ne rien faire d’autre que longer lentement des murs pendant des dizaines de secondes. Mais ce n’est hélas pas le pire : Silt c’est aussi un système de puzzles qui s’avère étrangement punitif au regard de cette lenteur d’exécution des commandes.
En résumé, à l’exception de certaines énigmes situées sur plusieurs tableaux vous permettant de valider des étapes intermédiaires, presque tous les puzzles du jeu doivent être effectués de bout en bout avant de pouvoir obtenir un point de sauvegarde. La plupart du temps, ce n’est pas bien grave, mais très régulièrement (particulièrement pendant les combats contre les boss), Silt va vous proposer des puzzles comprenant cinq, six, huit étapes à accomplir dans un certain ordre. Voire des tâches à répéter sans se tromper plusieurs fois d’affilée, par exemple empoisonner une série de plantes carnivores avant un banc de poissons. Mais la moindre erreur étant fatale, toute faute d’inattention ou de mauvaise compréhension d’une étape intermédiaire va vous forcer à recommencer tout le puzzle de bout en bout, y compris parfois des choses extrêmement fastidieuses comme posséder plusieurs poissons d’affilée et traverser l’intégralité du niveau à deux à l’heure.
Cette lenteur et cette absence de sauvegardes intermédiaires au sein des tableaux ralentit considérablement le rythme de Silt et gâche franchement l’expérience de découverte de cet univers sous-marin pourtant superbe et déroulant son histoire de manière plutôt bien pensée. On ne s’écarte jamais des canons du genre « exploration d’un temple mystérieux peuplé de créatures lovecraftiennes », mais en tant que tel, ça fait admirablement le job. Hélas, l’impression de traverser tout ça au ralenti avec des boulets aux pieds et les auteurs du jeu nous empêchant presque de dérouler leur idée de manière fluide vient vraiment gâcher la fête lors de la seconde partie de l’aventure, qui a un poil tendance à être une sorte de compilation des énigmes précédentes dans des niveaux plus longs, plus lents encore et peinant sur la fin à continuer à capter notre attention.
Silt a été testé sur Nintendo Switch via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur PC, PlayStation 4, PlayStation 5 et sur les consoles Xbox.
Avec sa tête de sous-Limbo de pataugeoire, j’avais mal jugé Silt qui est un jeu fourmillant d’idées graphiques et qui, à défaut d’avoir des puzzles très originaux, exploite à fond sa seule idée originale. Mais pouvoir incarner une méduse ou un amas de corail explosif dans des temples mystiques et des usines dystopiques ne suffit pas tout à fait à faire un grand jeu. S’il était sorti quelques années plus tôt, il est incontestable que le premier jeu de Spiral Circus Game aurait fini dans pas mal de listes des indispensables du puzzle game du moment. En 2022, on ne peut cependant pas tout à fait s’empêcher de surtout remarquer ses gros problèmes de rythme, le côté pataud de son gameplay et le manque d’options de confort dans la résolution de ses énigmes. Il s’agit néanmoins d’un jeu que nous recommanderons sans peine à chaque amateur·ice de belles expériences esthétiques ainsi qu’à celleux qui se retrouveraient en manque de petits casse-têtes vidéoludiques dignes de ce nom.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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