Une fois de plus, après le superbe Pentiment et le moins superbe Inkulinati, le jeu vidéo s'intéresse à l'iconographie médiévale. Après les enluminures et les parchemins des deux jeux précédents, Saga of Sins livre un titre inspiré de l'art des vitraux sous la forme d'un puzzle platformer en 2D dans le monde torturé des sept péchés capitaux.
Les auteurs de Saga of Sins ne sont pas vraiment des inconnus, puisque la compagnie allemande Bonus Level Entertainment opère dans le monde du platformer à petit budget depuis pas loin d'une dizaine d'années. Leur maîtrise relative du genre leur a même valu de se retrouver embarqués dans l'immense arnaque de la fausse console Amico (et donc de perdre des années de travail pour un jeu visiblement avorté). Saga of Sins marque un retour à un mode de publication plus classique, sur des supports existants, mais également une prise de risque. On troque ici le pixel art façon Super Nes pour une animation plus sombre et plus rigide où des personnages torturés déambulent dans des décors cauchemardesques inspirés des danses macabres médiévales. La peste noire, les incubes rôdant dans les marais et les visions d'apocalypse sont au rendez-vous. Hélas, tout ceci s'avère être un très pénible chemin de croix, la faute à des combats manquant cruellement de rythme et une structure générale maladroite poussant à refaire les mêmes choses en boucle ad nauseam.
Les sept péchés capricieux
Je ne suis pas certain que "t'es beau quand tu bouges pas" soit un compliment que qui que ce soit ait envie d'entendre, quel que soit le contexte. Visiblement mal élevé, je me sens obligé de tout de même le proférer à l'endroit de Saga of Sins. Parce que oui, quand ça ne bouge pas, ça passe. L'aventure nous place dans les tristes bottes de Cecil, un chevalier revenu dépité d'une vaine croisade et découvrant son village natal ravagé par une épidémie de peste. Pour couronner ce sombre dimanche, le preux combattant va découvrir que les rues de la bourgade sont ravagées par des crimes forts peu chrétiens, comme si l'essentiel des locaux s'était soudainement retrouvé possédé par un démon. Le mystérieux (et fort louche) prieur de l'église locale lui confie donc la mission de nettoyer les esprits des pécheurs pour purifier la ville des maléfices qui la tourmentent. Pour ce faire, Cecil va devoir pénétrer dans des âmes rongées par l'avarice, la luxure ou la colère sous forme d'animal mental inspiré des vitraux monstrueux ornant les murs de l'église.
Formellement, Saga of Sins est ainsi un jeu de plateforme dans lequel Cecil, sous forme de griffon, de démon cornu ou encore de gargouille, va traverser les psychés tourmentées de villageois corrompus et combattre assez littéralement leurs démons intérieurs. Chaque péché capital a son propre décor et ses propres périls : la luxure est pleine de puits sans fonds, l'avarice déploie des ennemis qui vous dérobent votre or, la paresse a un sol collant qui vous ralentit, etc. Et vraiment, le constat est le même dans la trentaine de niveaux traversés : c'est très très beau tant qu'on ne touche pas à la manette, pour peu qu'on ait une petite sensibilité envers l'art religieux. Mais c'est, hélas, le seul compliment sincère que j'arrive à faire à ce jeu. Le reste est… un peu difficile à aimer, je le crains.
Si je devais désigner un problème unique pour les gouverner tous, cela tiendrait au fait que Saga of Sins est un des jeux les plus incroyablement mous qu'il m'ait été donné d'approcher dans ce genre. Des déplacements lents, des ennemis pachydermiques, des plateformes et des pièges apparaissant et disparaissant au rythme des ronflements d'un sénateur en pleine digestion, le tout terminé par des combats de boss incroyablement convenus et peu intéressants. On traverse tout cela sans grand challenge ni véritable envie de voir la suite, si ce n'est pour découvrir de nouveaux décors, toujours superbes et thématiquement réussis. Tout juste haussera-t-on un sourcil satisfait lors des niveaux bonus, dans lesquels il faudra parcourir l'esprit d'âmes innocentes et où les péchés à combattre sont remplacés par des challenges de plateforme plutôt malins. Mais c'est tout de même un peu faible, d'autant que Saga of Sins compense son contenu relativement bref par la volonté de vous faire reproduire les mêmes choses en boucle.
Perseverare Diabolicum
Je ne pense pas que le faible nombre de tableaux proposés par Saga of Sins soit un problème : je préfère une trentaine de niveaux courts, mais malins à une centaine de trucs redondants vides de sens. Il semble que Bonus Level Entertainment n'ait pas été de cet avis, puisque assez rapidement, leur jeu va s'efforcer de vous faire parcourir à nouveau deux, voire trois fois chaque monde déjà bouclé.
Vous aurez ainsi besoin de refaire le tour des esprits déjà libérés pour récupérer des nouveaux morceaux de vitraux, des fruits à donner à un personnage secondaire, trouver des coffres cachés, etc. Pire : le déblocage complet de l'arbre de compétence de Cecil va rapidement vous demander de rassembler énormément de pièces d'or, sans lesquelles vous ne pourrez pas atteindre certains niveaux bonus indispensables pour ne pas vous farcir la mauvaise fin du jeu.
Saga of Sins est à ce titre parfaitement limpide sur son intention de vous en faire baver : en milieu de partie, il ne fait pas vraiment mystère de ce qui risque de vous tomber sur le râble si vous décidez de vous précipiter vers la fin sans avoir reparcouru les niveaux déjà validés. S'installe alors une certaine lassitude, basée sur le fait de retraverser une aventure déjà un peu lente, au level design parfois très faible, pour ramasser des coffres cachés et tabasser les mêmes diablotins en boucle en quête de pièces d'or. Une prolongation assez artificielle, car elle ne tire pas réellement parti de la capacité de Cecil à changer de forme monstrueuse pour redécouvrir les différents niveaux.
Certes, la gargouille peut brûler une partie des décors et le griffon peut s'accrocher à certains murs. Mais contrairement à un Wonder Boy ou à un Sonic & Knuckles, le changement de personnage n'induit que de très faibles variations de level design. Alors plutôt que de découvrir des niveaux entièrement transformés par l'acquisition d'une nouvelle forme ou d'une capacité de dasher plus loin, on se contente de parcourir des versions légèrement étendues de labyrinthes déjà connus par cœur, sans y prendre beaucoup de plaisir.
Saga of Sins a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5, sur Nintendo Switch et sur les consoles Xbox.
Saga of Sins a une bonne idée, et une seule : sa direction artistique à base de vitraux, beaucoup mieux exploitée que ne le faisait par exemple l'épouvantable Gleamlight. Sorti de cet incontestable point fort, il s'agit d'un platformer soporifique multipliant les poncifs et les boucles de gameplay peu satisfaisantes. J'aurais adoré vous le recommander, tant le jeu vidéo se nourrit d'expériences esthétiques réussissant le pari de s'écarter des canons esthétiques du genre. Mais vraiment, le compte n'y est pas.
Les + | Les - |
- L'esthétique des vitraux est intéressante | - C'est vraiment soporifique |
- Les niveaux bonus, plutôt malins | - La quasi obligation de refaire les niveaux deux, voire trois fois |
- Boss très peu inspirés | |
- Tout est lent et rigide |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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