Road 96 : Mile 0 nous ramène quelque temps avant les événements de Road 96. Un retour qui s’accompagne de deux gros changements, à savoir la focalisation sur deux personnages et l’ajout de phases musicales.
Puisque Road 96 : Mile 0 est une préquelle de Road 96, rappelons rapidement ce qu’est ce dernier. Il s’agit d’un jeu d’aventure procédural et narratif sorti le 16 août 2021 sur PC et Switch, puis le 14 avril 2022 sur PlayStation 4 et 5 et sur Xbox One et Series. Le jeu a été créé par DigixArt, studio montpelliérain fondé par le créateur de Soldat Inconnu : Mémoire de la Grande Guerre. Road 96 a été très bien reçu (91% d’avis positifs sur les plus de 11 000 évaluations Steam) et salué par plusieurs Pégases, notamment grâce à son humour, son idée de narration cadrée au déroulement aléatoire, et ses personnages attachants. La plupart des reproches viennent du côté volontairement caricatural, du gameplay un peu mou et un contexte politique trop superficiel alors qu’il est en toile de fond de tout le jeu. Voyons donc quels ont été les choix de DigixArt pour Road 96 : Mile 0 au regard du travail réalisé sur Road 96.
Quittez la route, vite !
Commençons par voir l’orientation prise par cette préquelle. Ce qui est sûr, c'est que les développeurs ne se sont pas contentés d’un simple décalage dans le temps. Road 96 : Mile 0 prend directement ses distances avec Road 96 dans certains aspects et spécifiquement le procédural, avec l’abandon de la narration à base de saynètes personnalisées qui faisait pourtant la force du titre original. Fini donc de guider des adolescent(e)s à la frontière pour leur permettre de fuir l’État de Petria façon road-trip en rogue-lite. Dans Mile 0, on suit uniquement l’histoire de deux personnages : Kaito et Zoé. Le premier vient d’un autre jeu de DigixArt, Lost in Harmony (on y reviendra plus tard) et la seconde est une des personnages non jouables au centre de l’intrigue de Road 96. Lors de certains changements de chapitres, on passera du contrôle de l’un à l’autre. Quelque chose que l’on reverra aussi dans les phases musicales.
Sur le gameplay en lui-même, on garde majoritairement des dialogues à choix dans une aventure découpée par phases, même si ici des chapitres plutôt classiques viennent remplacer les étapes du road-trip. Côté direction artistique, rien n'a changé ou presque, même si la sensation n'est pas tout à fait identique puisque dans Mile 0 on est devant des espaces et décors bien plus fermés. En effet, tout se passe au sein de 4 zones principales (et quelques autres finales) : le parc présidentiel, le quartier riche, la place Tyrak, et un terrain en construction. Heureusement, différents événements vont se dérouler dans ces lieux au fur et à mesure, ce qui fait qu’ils vont un peu évoluer et nous éviter le sentiment de tourner en boucle dans les mêmes zones.
On garde aussi du premier jeu des petites actions à faire ici et là, telles que des interactions avec l’environnement ou la recherche de cassettes. On conserve aussi les phases de mini-jeux qui viennent agrémenter les discussions (un tag à personnaliser avec des bombes de peinture récupérables, des journaux à livrer version FPS, etc.). Au final, deux choses changent principalement : l’ajout de phases de rythmique qu’on verra en dernière partie, et la narration axée sur deux personnages qu’on va voir tout de suite.
Virage politique
Comme je l’indiquais plus haut, l’un des intérêts principaux de cette préquelle est donc le pari de quitter une narration où on jouait des jeunes adolescents différents pour se focaliser sur deux en particulier, Kaito et Zoé. Tous les deux vivent à White Sands, zone résidentielle où loge l’élite politique et intellectuelle, mais leurs milieux sociaux ne pourraient être plus différents. Kaito est issu d’une famille au bas de l’échelle sociale, originaire de Colton City, capitale de Petria rongée par la pollution, vivant dans un minuscule appartement insalubre d’un quartier mal entretenu. Il a abandonné l’école pour aider ses parents, eux-mêmes au service de cette fameuse élite. Émotionnellement, il est hanté par la mort de sa meilleure amie, Aya, décédée d’un cancer qu’il impute au gouvernement. Zoé, qu’on connait plutôt bien, si on a joué à Road 96, est fille du ministre du pétrole et vit donc sans le moindre souci financier. Cependant, elle ne supporte pas la surveillance permanente que son père a mise en place pour suivre ses mouvements, et a très mal vécu que sa mère les abandonne, elle et son père.
Si ça n’est pas vraiment expliqué, on peut vite comprendre ce qui les unit : un refus de l’ordre établi. Or, les deux adolescents ne vont pas se conscientiser politiquement de la même façon et cela sera représenté par une barre qui va fluctuer selon les décisions (dans les dialogues) et les actions effectuées (arrachages d’affiches, tags, etc.), avec très vite des conséquences scénaristiques importantes. Ainsi, Kaito pourra tenter de prendre du recul par rapport à sa colère ou, au contraire, afficher un soutien de plus en plus prononcé aux Brigades Noires, le groupe qualifié de terroriste par le pouvoir en place. Zoé, quant à elle, est au départ plutôt assurée du bien-fondé de l’action du gouvernement et du président Tyrak (logique, compte tenu du job de son père), mais pourra être peu à peu amenée à douter de la réalité de la situation politique. Une amitié qui va se révéler de plus en plus complexe suivant leurs choix, leurs évolutions personnelles et les changements en cours dans le pays.
Si, évidemment, on est dans un schéma vu et revu de narration politique, à savoir le pauvre tendance révolutionnaire et la jeune riche qui doute, leur profil émotionnel donne une couche moins caricaturale à Road 96 : Mile 0. On les accompagne dans leurs questionnements politiques, plutôt simplistes - mais c'est compréhensible pour des adolescents - et l'impact que cela a (ou non) sur leur amitié et leur vie de manière générale. Pour beaucoup, l’attrait principal de cette préquelle tient à un "effet Before the Storm" (la préquelle de Life is Strange) avec cette idée de découvrir ce qui a amené Zoé, la fille d’un ministre, à devenir ce qu’elle est dans Road 96. Mais pour moi, le versant de l’histoire de Kaito est au moins aussi intéressant. On partage facilement sa colère, son envie de changement, voire de révolte. Les deux évolutions donnent quoi qu’il en soit plus de force au contexte politique qu’on avait souvent du mal à ressentir dans le jeu précédent. Et surtout, Mile 0 nous montre Petria de l’intérieur, avec sa surveillance, ses faux-semblants, sa propagande qui s’intensifie, ou encore sa mise en place d’un culte de la personnalité. Le tout sans jamais trop s'éloigner de la surcouche d’humour inhérente à l’univers de Road 96.
Sk8er boi (et roller girl)
Cet humour, on le retrouve parfois dans le second gros changement par rapport au jeu de base : les phases musicales. Et je ne parle pas de l’écoute de morceaux, même si ça reste comme dans le titre précédent un élément clé, avec encore une fois une BO géniale qui s’écoutera parfaitement en dehors du jeu. Ici, on a bien des moments de gameplay dédiés à la musique, avec les déplacements dans des niveaux à base de skate (pour Kaito) et de roller (pour Zoé). Cette idée, DigixArt a été la chercher, comme je le disais en début de critique, dans un de leurs précédents jeux : Lost in Harmony, où Kaito était le personnage principal (accompagné d'ailleurs d’une certaine Aya).
On y retrouve l’idée d’un runner musical, où la rythmique se mélange avec de la gestion d’obstacles. Les contrôles peuvent être assez déroutants, notamment pour l’appréhension des collisions, ce qui est aussi imputable à une caméra qui privilégie la mise en scène et l’efficacité visuelle plutôt que le contrôle du personnage. Quelque chose qui se remarque pas mal lorsque certains déplacements nécessitent de la précision et l’évaluation de la profondeur.
En tout, il y a 10 phases musicales, chacune thématisée à la fois autour du moment qu’elle représente et de la musique qui tourne en fond. Cela donne des moments loufoques comme la musique très eighties avec Sonya et le garde du corps, malins comme la piste où Zoé voit ses idées préconçues sur Petria remises en cause, ou plus sombres avec le ressenti politique de Kaito face au système totalitaire de Tyrak. Ça fourmille de bonnes idées, sur la mise en scène autant que ce que ça raconte, et c’est dommage que, même si le gameplay y est donc un peu perfectible, on n'ait droit qu’à ces dix-là. D’autant plus qu’à la fin, on a un score et une note allant jusqu’à S+, le tout agrémenté d’une petite place dans le classement mondial (et dans votre liste d’ami(e)s). Pas satisfait(e) ? Vous pouvez relancer directement ou le faire depuis le menu du jeu afin de poncer au maximum votre récupération de collectibles et faire la course au meilleur score.
Road 96 : Mile 0 a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur PlayStation 4 et 5, Xbox Series et One, et Nintendo Switch.
On a finalement avec Road 96 : Mile 0 une préquelle très sympa qui fait un choix intéressant : celui de laisser tomber l’aspect run aléatoire de l'opus précédent, tout en gardant les choix de dialogues, leurs conséquences et les mini-jeux. Une décision inattendue qui ne plaira pas forcément. La narration plus linéaire sert toutefois à mieux se focaliser sur les destins entremêlés de Kaito et de Zoé, encore plus mis en valeur par un chapitrage délimité par des phases musicales prenantes (et rejouables pour les adeptes du scoring).
Les + | Les - |
- Renouvellement avec une narration davantage politique | - Abandon de l'aspect procédural |
- Excellente BO surtout dans les phases rythmiques... | - ... malgré quelques soucis de caméra |
- Continuité avec le jeu original respectée | |
(- Je vise tous les top 15) | (- Je vise encore tous les top 15) |
Veltar
Joueur de jeux vidéo qui aime la politique. Du coup j'écris surtout des trucs qui parlent des deux. Stratégie, Outer Wilds, Metal Gear Solid et indés en pixel art.
follow me :
Articles similaires
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024
Great God Grove - Queer et élastique
nov. 11, 2024