Nous sommes en 2013. Pharrell Williams chante avec les Daft Punk, Sandra Bullock fait un tour dans l'espace. Chávez, Thatcher et Mandela tirent leur révérence, et personne ne connaît Emmanuel Macron, qui n'est même pas encore ministre de l'Économie. Bref, 2013, c'était il y a au moins deux éternités. À ce moment-là, je joue au tout premier jeu du studio Abbey Games, où l'on dirige des titans qui ensemencent une planète : ça s'appelle Reus. Onze ans plus tard, les développeurs décident de revenir sur leur plus grand succès. On pourrait penser que dans l'intervalle, le projet aurait eu le temps de devenir quelque chose de complètement différent, avec passage à la 3D, des lasers et des robots géants. Eh bien non, c'est tout le contraire.
En effet, Reus 2 reprend exactement le fonctionnement du premier opus. On a toujours exactement trois titans qui se promènent sur une planète circulaire pour y planter respectivement leurs minéraux, végétaux ou animaux (collectivement appelés "bioticas", le nom n'est pas très heureux, mais tant pis). Ceux-ci fournissent aux humains à proximité des ressources : nourriture, science, richesse. Oui, on se situe dans une configuration déiste où l'écosystème est créé d'abord à destination des humains et non pour lui-même, mais venant d'un développeur qui s'appelle Abbey Games, c'est assez cohérent. Pour récolter plus de points, il faut faire attention à la disposition : le poisson-clown aime vivre à proximité d'une anémone, l'écureuil près d'un arbre, ce genre de choses.
Savez-vous planter les choux ?
Vous pensez à un jeu de société à biosphère, façon Wingspan ou Forêt Mixte ? Vous avez parfaitement raison. Ce nouvel épisode ressemble encore plus à un jeu de plateau, puisqu'il fait sauter la contrainte de temps du premier opus, probablement le changement le plus impactant. Vous avez maintenant tout le temps de jouer vos cartes ; au bout d'un certain nombre d'actions, une période se termine et on compte les points selon les objectifs validés. Objectivement, ce serait très facile d'en fabriquer une version en papier et carton, si ce n'est qu'il serait un peu long de tout compter à la main.
Conséquence : comme pour ses confrères sur table, il y a deux façons de jouer à Reus 2. Soit vous y allez chill, en vous contentant de disposer grosso modo vos éléments un peu au jugé. Le tableau prend immédiatement vie : les pêcheurs récoltent des huîtres, les chats chassent les gerbilles dans le désert, toutes les animations sont mignonnes à croquer. Vous obtiendrez de jolies planètes, et c'est déjà ça, mais l'ensemble risque de vous lasser rapidement.
L'autre approche consiste à jouer pour le score. Retroussez-vous les manches, il y a du boulot, car Reus 2 est bougrement rude. Préparez-vous à min-maxer férocement chaque emplacement, jongler avec les biomes et les éléments, sans rater aucun bonus. Les objectifs sont hauts, décrocher trois étoiles sur un âge vous demandera un plan d'attaque extrêmement précis.
Les dieux sont tombés sur la tête
Quels objectifs, me demandez-vous ? Ils sont multiples. D'un côté, chaque communauté d'humains a des envies bien précises. L'inventeur ne s'intéresse qu'aux nouveautés scientifiques, la pirate cherche surtout à obtenir de la richesse, etc. Répondre à leurs demandes permet de développer leur colonie. Au-dessus (et en parallèle), il va falloir s'occuper d'un système de progression par âge : chaque nouvelle époque ajoute au choix du joueur des buts supplémentaires, et c'est ce qui détermine le score final – et débloque in fine de nouveaux bidules. Par exemple, l'âge des monuments requiert d'amasser énormément de richesses pour construire une pyramide. L'âge de la chevalerie fait développer les cités de façon concurrente ; traverser une épidémie requiert de la science, mais rajoute en contrepartie un bonus sur tous les éléments toxiques de la planète.
Attendez, ce n'est pas fini : pour aider à atteindre les bornes demandées, les hommes construisent des bâtiments qui ajoutent d'énormes bonus… si l'on en valide les conditions. L'étal du boucher produit une quantité importante de nourriture, mais seulement s'il peut trouver 4 animaux herbivores autour de lui, et il ne devient vraiment intéressant que s'il y en a 6. Ce qui rajoute donc d'autres cases à cocher… Au fur et à mesure de la partie, ces bonus se figent : il faut donc absolument bien les obtenir avant qu'ils ne deviennent caducs. Ça va ? Vous vous sentez un peu perdu ? Bienvenue dans Reus 2, un enfer de chiffres caché derrière un paradis visuel. Et encore, je ne vous ai pas parlé des compteurs de biodiversité ou de l'inévitable marché où l'on échange des points contre des améliorations en tout genre.
Dieu ne joue pas aux dés
Par conséquent, vous aurez deviné où le bât blesse : il est vraiment difficile de s'y retrouver au début. Même à la fin, certaines mécaniques restent bien mystérieuses, j'ai par exemple toujours du mal à comprendre la façon dont mes villages étendent leur domaine. Soyons honnêtes, Reus 2 fait beaucoup d'efforts : pratiquement tout est muni d'une infobulle explicative. Au final, l'information se révèle généralement disponible quelque part, même s'il m'a parfois fallu plusieurs heures pour comprendre où.
Heureusement, comme dans tout bon jeu moderne à parties multiples – je n'ose pas utiliser le qualificatif de roguelite, mais vous voyez l'idée – même une planète à moitié ratée sert à la progression générale. On débloque rapidement de nouveaux titans, donc d'autres biomes comme la forêt tropicale ou la taïga, mais aussi de nouveaux systèmes et bien sûr un flot de nouveaux éléments naturels. Comptez donc un bon bout de temps avant d'en faire le tour.
Genèse, version 574.42r3
En fait, je subodore que les mécaniques générales ont fait beaucoup d'allers-retours en développement, en témoignent quelques artefacts des versions précédentes (à quoi sert le déplacement des titans si finalement le temps n'a pas d'incidence ? Pourquoi la taïga est-elle le seul biome doté d'un compteur propre d'"hostilité" ?). Je ne suis pas certain des différences entre ma copie de test et la version finale, et je ne serais pas étonné que la version 1.0 subisse encore une série de modifications plus ou moins importantes. C'est un peu paradoxal puisque j'ai commencé par vous dire que Reus 2 était une simple copie de son prédécesseur, mais l'empilement de chiffres est tel que chaque modification, même légère, risque de déséquilibrer l'ensemble.
Ce qui n'arrive pas, je tiens à vous rassurer. Ce n'est pas que tout soit vraiment équilibré ; certains éléments sont beaucoup plus puissants que d'autres, mais la diversité est telle que Reus 2 reste toujours un joli puzzle où l'on a plaisir à relancer une planète pour explorer une nouvelle branche des possibles. Réussir son néolithique avec mention, puis faire la Révolution, avant d'invoquer les Grands Anciens – la fin de jeu réserve son lot de (grosses) surprises. Allez, si je dois vraiment faire un reproche, c'est justement un petit manque de variété au démarrage, qui contraste fortement avec la suite : notamment dans les éléments de départ dont on aimerait parfois rebattre les cartes, histoire de changer des fouines et des lapins.
Reus 2 a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Le gang des jeux de plateau a encore frappé : derrière une apparence enchanteresse se cache un système arithmétique velu qui poussera vos neurones jusqu'à leurs derniers retranchements. Parfois intimidant, Reus 2 sait se faire pardonner avec un assortiment de défis variés. Une bonne pioche, si on sait où l'on met les pieds.
Les + | Les - |
- Une merveille calculatoire (car vous aimez ça) | - Une horreur calculatoire (car vous détestez ça) |
- Le monde animé et vivant | - Pas toujours bien expliqué |
- La diversité des stratégies possibles | - Manque de variété de début de partie |
glau
Se perd dans des mondes ouverts, dans les rouages de sa propre usine ou dans le fracas des chars, mais trouve toujours un petit chemin de fer pour rentrer.
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