J’arrive aux abords du navire laissé à l’abandon. La nuit est belle, la mer est calme, et l’homme qui m’accompagne n’est pas trop bruyant, il m’abreuve simplement d’histoires de marin. Ma tâche ne devrait pas prendre longtemps, je dois juste monter sur l’Obra Dinn, et déterminer ce qui est arrivé à chaque membre de l’équipage. Après tout, si certains ont disparu et qu’il y a des cadavres sur le navire, c’est juste à cause d’une mutinerie n’est-ce pas ?
Return of the Obra Dinn est un jeu à la proposition simple : vous êtes un-e agent-e d’assurance pour la Compagnie des Indes Orientales, et votre but est de déterminer le destin des 60 membres d’équipage de l’Obra Dinn afin de savoir ce qu’il s’est réellement passé sur le navire. Pour ce faire, vous aurez droit à une montre au pouvoir spécial et à un livre qui résumera tous les éléments que vous avez sur le navire et son équipage.
Dis-moi comment tu es mort, je te dirai qui tu es.
Le gameplay est relativement simple : vous vous promenez sur le navire à la recherche de cadavres, et lorsque vous en trouvez un, vous pouvez utiliser une montre qui vous montrera l’instant exact où cette personne a perdu la vie. En plus, vous pourrez entendre les derniers sons qui sont parvenus à la victime avant sa mort, afin de vous aider dans votre quête de vérité.
Et c’est tout ! Des scènes fixes dans lesquelles on peut se promener, et quelques bribes de sons afin de nous aiguiller. Ni plus ni moins. Mais c’est là que le charme opère, car avec si peu d’éléments, essayer de reconstituer les évènements du navire est véritablement gratifiant. Chaque fois que le jeu confirmait que j’étais tombé juste sur le destin de trois personnages, je me sentais comme un Sherlock Holmes en herbe. Il a fallu que je fasse des déductions à partir de presque rien, et que je lance des suppositions à la volée pour arriver au bout de cette histoire.
Par exemple, plusieurs personnages ont un habit similaire, mais je n’ai pu en identifier qu’un seul de manière certaine. Je peux alors supposer qu’ils ont tous le même rôle. Mais comment savoir qui est qui ? Vérifions qui est où, et à quel moment. Lequel d’entre eux parle à quel moment pour voir s’il a un accent ; ou même, qui est leur meurtrier pour voir si une inimitié peut être découverte…
Bref, un tas de détails qui font tout le sel de l’enquête, et qui nous entraînent dans le jeu sans prévenir. En plus, les graphismes épurés au possible, qui rendront certains nostalgiques d’ailleurs, permettent d’installer une ambiance si prenante que je me suis surpris à faire des sessions un peu trop longues sur le jeu.
Père Castor raconte nous une histoire.
Mais un jeu d’investigation n’est pas qu’un gameplay, c’est aussi un scénario. Et dans notre cas, il est bien écrit, et surtout parfaitement bien raconté. Sans trop en dire, l’intrigue nous est révélée à reculons, avec un chapitre déblocable seulement une fois que le destin de tous les passagers est découvert. L’enquête en elle-même est compliquée mais pas trop (un miracle en soi car on a très vite fait d’avoir un cas insoluble et frustrant dans ce genre de jeu), et comme dit précédemment, l’atmosphère nous absorbe vite. Certes on pourrait trouver des défauts : certains destins sont un peu tordus à trouver et demandent de la précision. Il y a aussi la lenteur des déplacements et la durée de vie assez courte (7h dans mon cas). Mais ces défauts ne sont au final qu’anecdotiques par rapport à la qualité de l’écriture de Lucas Pope.
D’ailleurs l’histoire qui nous est contée est classique en soi. On parle de trahison, de trésors, de meurtre et globalement de pas mal de poncifs des récits de marins. Mais comme on ne nous donne pas l’histoire, on doit faire l’effort de la découvrir et de la comprendre par nous-mêmes. Quelque part on doit s’approprier le récit, et c’est là que réside une partie du génie du créateur du jeu.
Dis papa, comment on fait un bon jeu ?
Avant d’aller plus en avant dans mon propos, contextualisons un peu la genèse de Return of the Obra Dinn. C’est le créateur de Papers Please, Lucas Pope, qui a eu l’idée de ce jeu, car peut-être qu’après garde-frontière, il se sentait l’envie de faire carrière dans l’assurance. Mais à part le métier à première vue banal de leur protagoniste, les deux titres partagent beaucoup plus. Tout d’abord un gameplay minimaliste, Papers Please se résumant à vérifier des papiers et à les tamponner, et aussi un aspect technique très simple (les deux pouvant tourner sur un grille pain). En fait, le véritable point commun entre ces deux titres est plutôt le poids de l’intrigue sur l’expérience de jeu : Papers Please voulant nous mettre face à de gros dilemmes moraux par rapport à notre position, et Return of the Obra Dinn nous impliquant plus subtilement en nous faisant enquêter comme le ferait véritablement notre personnage, sans aide ‘’vidéoludique’’.
Cependant, ce constat n’est pas pertinent en soi, on pourrait facilement se dire que Pope n’est qu’un fainéant qui fait des jeux simples mais bien écrits. Alors j’aimerais appeler à la barre un autre créateur de jeu qui fait des ‘’expériences immersives’’ : David de Gruttola (a.k.a David Cage).
Chez Cage, les jeux sont d’abord pensés comme des histoires sur lesquelles on tente de greffer au forceps des bouts de gameplay et où l’on tente d’impliquer le joueur par un aspect technique presque photoréaliste. Ça a pour conséquence des jeux au gameplay approximatif, très beaux, mais moyennement intéressants en terme de jeu pur.
Lucas Pope, quant à lui, a un processus inverse. D’abord on pense à un gameplay simple, voire simpliste : tamponner des papiers, explorer des souvenirs etc… Ensuite on réfléchit à une intrigue et à un contexte qui donnerait un sens à ces actions : une dictature pour Papers Please, une investigation pour Obra Dinn.
Et voilà la force de ces jeux : ce sont des titres qui n’ont du sens que lorsqu’on les parcourt. On nous donne un objectif simple et adapté aux actions que l’on peut effectuer. Mais c’est le sens donné à nos actions qui nous implique dans notre aventure, et qui change un simple jeu divertissant en une expérience narrative forte.
En résumé, Return of the Obra Dinn est un super jeu de chevet, à faire tranquillement pour s’occuper pendant quelques heures si on aime tout ce qui ressemble à une enquête. Les graphismes donneront un coup de nostalgie aux plus anciens, et pour les autres, ils poseront une ambiance particulière. L’intrigue vous tiendra en halène pour peu que vous y accrochiez. Bref c’est du bon. Mais si vous cherchez un jeu pour vous vider l’esprit après une journée fatigante, ce n’est peut être pas le bon choix, et soyez prêt à être frustré si vous n’arrivez pas à trouver le petit détail qui fera avancer vos recherches.
Un Rieur
J'aime tous les jeux, surtout les jeux un peu nazes ou cassés. C'est pas parce que c'est nul que c'est pas bon, et puis j'aime aussi la bouffe, et le JDR
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