Annoncé en 2015, le remake du légendaire Resident Evil 2 a fait assez peu parler de lui avant sa sortie, sinon via des cinématiques qui laissaient entrevoir une expérience superbe, et largement modernisée. Après trois ans d’attente, il est enfin temps de revisiter ce classique vieux de vingt ans.
Peu de styles de jeu ont subi des modifications aussi brutales que le survival horror. Le besoin de surprendre, d’installer des ambiances effrayantes et de plonger le joueur dans une situation de stress constante est intimement dépendant des possibilités techniques et ludiques offertes par l’époque. En singeant Alone in the Dark pour y ajouter des éléments tirés des films de zombies et de l’école du gameplay japonais, Capcom avait révolutionné le genre. Après lui, Dead Space ou The Evil Within ont absolument ringardisé une formule classique qui semblait vouée à disparaître, et la série Resident Evil s’est ensuite abîmée dans l’action nanardesque, avant de revenir en force avec le radical mais palpitant Resident Evil VII. En proposant une revisite de son hit de 1998, sobrement intitulée Resident Evil 2, c’est un nouveau défi que relève l’éditeur : parvenir à ramener à la vie un jeu qui subsiste avec vigueur dans la mémoire des joueurs de l’époque, mais dont l’expérience serait quasiment injouable en tant que telle aujourd’hui. Et c’est par un enchaînement de coupes et d’ajouts subtils que Resident Evil 2 se réinvente presque à la perfection : une leçon de game design qui ne souffre que de quelques petits accrocs.
Jouer sur les attentes
Très rapidement, dès les premières secondes en fait, Resident Evil 2 version 2019 livre un message très clair au joueur : c’est un remake, et pas un portage HD paresseux. Oubliez ce que vous croyez savoir si vous avez fait le jeu originel 50 fois. S’il garde sa structure d’origine (des zombies dans une petite ville et un commissariat bizarre à explorer), il vous fait rapidement comprendre que beaucoup de choses ont changé. Emplacement des objets, construction des énigmes, place des ennemis : tout est là pour vous rappeler 1998, tout en piétinant sans arrêt votre horizon d’attente. Le jeu est plus fluide, plus écrit, et ne gère plus les jumpscare comme il pouvait le faire à l’époque, via des cinématiques dont on devinait le lancement dix secondes à l’avance à cause des bruits de chargement du disque dans la PlayStation. L’expérience, plus organique, se permet même de faire carrément sauter quelques passages cultissimes de l’original, comme l’arrivée du fameux licker, ce monstre répugnant qui en aura fait frisonner plus d’un il y a vingt ans.
Il se trouve que, par hasard, j’ai rejoué à l’ancien Resident Evil 2 il y a moins de deux ans, via son portage PS Vita. Si j’avais constaté que le jeu se jouait toujours agréablement, j’avais aussi remarqué tout ce qui ne fonctionnait absolument plus. Le game design ahurissant, forçant un backtracking pénible, la gestion idiote de l’inventaire, les déplacements chaotiques des personnages, rien n’avait très bien vieilli là-dedans. Et même l’ambiance et le scénario, pourtant au cordeau dans mes souvenirs, se sont en réalité avérés assez cheap, voire carrément indignes. J’avais particulièrement tiqué, par exemple, sur le fait que les personnages semblaient parfois très proches, voire intimes, alors qu’ils n’avaient échangé dans le scénario que quelques phrases et s’étaient croisés moins de cinq minutes montre en main. Rien de tout ça ici : du marbre général nommé Resident Evil 2, les équipes de Capcom ont fait une nouvelle sculpture, réécrite et repensée.
La prouesse la plus marquante reste le fait d’avoir su moderniser le gameplay et l’écriture du jeu sans les travestir. Le commissariat est toujours là, avec ses clés magiques et ses fusibles manquants, les personnages vont et viennent avec leurs airs louches et leurs secrets de films de série B Direct to DVD, les combats avec les boss sont toujours aussi grand-guignol. Mais partout où l’expérience devait être réécrite, elle l’a été, et d’une main de maître. Presque partout, du moins.
Un remake qui va au bout de sa démarche…
Véritable baffe graphique, Resident Evil 2 version 2019 enfonce à grands coups de marteau la concurrence, améliorant encore la jolie copie proposée par Resident Evil VII : jeu sur les ombres et les lumières, souci du détail quasi maniaque dans les décors, les objets, les affiches aux murs, ressenti du froid, de la chaleur, mécanique des fluides, tout est un travail d’orfèvre. Que de chemin parcouru depuis les caméras fixes des années 90 et les modèles grossiers qui peinaient à se décoller d’un mur sans devoir faire trois pas en arrière ! Resident Evil 2 a définitivement tourné la page du classicisme et recrée son commissariat infernal avec une modernité et un dynamisme fou.
La mise en scène des cinématiques, le dynamisme des combats, l’ambiance sonore : tout semble avoir suivi un cercle vertueux, en conservant l’ambiance de série B sanguinolente qui constitue l’ADN de la série mais en s’inspirant des meilleurs : de Resident Evil V et VI, on garde le bestiaire grotesque et dégoulinant, de The Evil Within l’ambiance de tension et la dramaturgie des combats, de Dead Space le sentiment d’oppression et de solitude du design sonore. De véritables concessions sont même consenties à la recette initiale : finie la rareté extrême des munitions. Par contre, chaque ennemi est infiniment plus résistant et plus agressif. Le peu de confiance que vous amassez en craftant des munitions à qui mieux-mieux se transforme vite en panique quand vous réalisez que le moindre mob se redresse en gémissant pour la troisième fois. Possibilités techniques obligent, le nombre d’ennemis affichés à l’écran permet de faire suinter deux, trois, dix zombies depuis les fenêtres, rendant la ré-exploration de la map beaucoup plus périlleuse. Jusqu’aux rencontres les plus légendaires (le Tyrant T-103, le crocodile des égouts…), tout bénéficie d’un travail minutieux qui troque les scripts balourds de la PS1 par des poursuites et des affrontements dynamiques qui, manette en main, donnent une impression de modernité que la série n’a quasiment jamais eue.
En brisant sans arrêt l’horizon d’attente pour changer sa proposition, Resident Evil 2 est à la fois un point d’entrée idéal pour les nouveaux venus de la série, et une réinvention complète de ce qui a fait le plaisir de la découverte en 1998. Pour peu que votre tolérance au gore et à l’obscurité soit un peu solide et que vous n’ayez pas onze ans et demi, ce jeu s’adressera à vous, qui que vous soyez.
… Presque au bout de sa démarche
J’ai cependant regretté quelques menus détails lors de mes 15 heures sur le jeu (comptez en sept ou huit pour finir le jeu une première fois et un peu moins pour le scénario B impliquant l’autre personnage jouable). Comme c’est parfois le cas avec un remake qui entend jouer sur l’équilibre entre l’ancien et le nouveau, Resident Evil 2 2019 manque parfois de la radicalité nécessaire à lui faire remiser tous les oripeaux du passé pour de bon.
Ainsi, le jeu reste plombé par son bactracking pénible qui vous fera traverser et retraverser parfois dix fois les mêmes salles pour aucune autre raison que l’architecture absurde du commissariat. Si la géographie de la carte a été retravaillée, il n’en reste pas moins que des absurdités de game design persistent et alterent l’expérience : les personnages sont par exemple incapables de faire un bond de 20 centimètres, et doivent, pour franchir un minuscule trou, se procurer un cric pour déplacer une bibliothèque deux étages en-dessous. Bref : Resident Evil 2 reste bizarrement attaché à un système d’énigmes et de puzzles parfois totalement extra-diégétiques, quand certains éléments ont justement été rajoutés pour justifier la bizarrerie. Par exemple, l’architecture tordue du bâtiment est désormais justifiée par le fait qu’il était supposé être à l’origine un musée d’art conceptuel (d’où l’entrepôt d’œuvres d’art dans tous les coins, qui n’avait jusque là aucun sens), ce qui n’était jusque là précisé que dans des projets annexes comme Resident Evil Outbreak. On est alors d’autant plus surpris quand certains éléments ne sont pas justifiés du tout et n’ont l’air de demeurer présents que parce qu’ils sont des énigmes. Ainsi, des composants électroniques essentiels à la bonne marche des portes automatiques des cellules de la prison du sous-sol se retrouvent emballés et cachés à l’intérieur d’une cloche inaccessible dans une Tour de l’Horloge fermée à clé. Pourquoi conserver des scories de puzzles aussi peu organiques héritées d’Alone in The Dark ? Dommage.
Dommage également que certains aspects de l’interface n’aient pas été améliorés. Alors que certains ont été corrigés voire sublimés, par exemple, la carte du commissariat qui est un exemple d’accessibilité et de clarté, d’autres restent engoncés dans des principes d’un autre âge (l’inventaire, le système de sauvegarde inutilement compliqué du fait de l’ajout d’autosave, ou le fait qu’il faille se débarrasser à la main des objets qui n’ont plus d’utilité). On regrettera aussi que la condensation des quatre scénarios originaux du jeu (Leon A, Leon B, Claire A, Claire B) en deux n’ait pas été l’occasion de retravailler davantage l’expérience, pour ne pas donner l’impression que le deuxième run est un mod du premier. Avec cette absurdité qui consiste à ce que les énigmes résolues dans un premier run n’influencent pas le second. Les murs explosés se recomposent, les portes se reverrouillent, les médaillons magiques se recachent. Autant pour l’immersion du joueur dans une expérience qui se veut immersive. De ce point de vue, on a l’impression que Capcom stagne depuis Resident Evil Code Veronica qui commence tout de même à dater. Mais je chipote : ces quelques petites lourdeurs dans le déroulé du jeu et l’interface sont largement compensées par le soin apporté à la refonte de l’ensemble. Avoir fondu les scénarios A et B de chaque personnage EST une idée brillante. Les deux runs sont certes redondants, mais finie cette impression de faire quatre fois le même jeu que le Resident Evil 2 laissait en bouche.
En jetant les poubelles de 1998, on récupère quelques saletés de 2019.
Néanmoins, Resident Evil 2 a beau avoir jeté tout ce qui faisait du gameplay survival horror de 1998 une expérience pénible, il ramasse aussi au passage quelques petites inélégances propres à sa nouvelle époque. J’emploie volontiers ce terme plutôt que de parler de « défauts » tant l’ensemble reste un quasi sans-faute.
Ainsi, quelques petits effets graphiques restent assez déroutants : l’eau qui ressemble à de l’huile, les textures de peaux encore trop cireuses, la caméra qui ne sait parfois plus trop quoi montrer, quelques effets de particule qui gênent. Ce n’est jamais grave, mais on sent que la maîtrise du RE Engine peut et doit encore être perfectionnée lors des prochaines années. Autre signe des temps : la volonté permanente d’occuper le joueur, de ne lui laisser aucun temps mort pour regarder des choses ou s’ennuyer passée la première moitié du jeu. L’ambiance se perd en dialogues, en coupures de presse, en respawn de zombies, en poursuites, en bruits et en fureurs. Plus l’aventure progresse, plus la solitude et le mystère du début laissent place à un rollercoaster où la crainte que le joueur ait le moindre moment de paix intérieure semble terrifier l’éditeur du jeu.
Force est de constater enfin que le jeu ne semble pas vraiment réussir à trouver un équilibre dans ses combats, plus nombreux que dans l’expérience originale, mais paradoxalement frustrants par la résistance accrue des zombies. Finie la satisfaction de réussir un headshot et de gagner quelques précieuses secondes : on a l’impression de tirer sur des sacs à points de vie qui se décomposent mais jamais ne tombent. Incapable de choisir entre un combat axé sur la défense et la fuite et une expérience tournée vers le bourrinage, Resident Evil 2 joue la carte de la violence moins bien que Dead Space et celle de l’infiltration moins bien que Metal Gear Solid V. Dommage que les partis-pris n’aient pas été plus nets, et que les sensations liées au maniement des armes ou aux courses poursuites, plus travaillées. C’est d’autant plus visible qu’à ces quelques réserves près, le jeu est un exemple de ce qu’il faut faire en terme de revisite du patrimoine vidéoludique.
Resident Evil 2 a été testé sur PS4 pro, via une copie fournie par l’éditeur. A noter pour les trois dans le fond que ça intéresse que le jeu affiche sur ce support un 60fps constant en 4K sans le moindre bug ni la moindre chute de framerate. Si vous l’achetez sur un PC qui date un peu, renseignez-vous tout de même avant.
Resident Evil 2 version 2019 est la meilleure version jamais sortie de ce titre. Remake admirable, soignant et réparant à merveille les plaies infligées à l’original par vingt ans d’évolution du gameplay, le titre de Capcom est un incontournable de ce début d’année. Son seul défaut est de ne pas avoir poussé le vice jusqu’à finir de gommer tout ce qui renvoyait Resident Evil 2 à sa nature de « simple jeu vidéo » : sauvegardes bizarres, inventaire incohérent, game design peu crédible, incohérences dans le scénario. Alors que Resident Evil VII balayait tout le reste pour proposer une expérience plus en rapport avec les standards d’excellence contemporains, cette revisite de 1998 reste encore trop collée à des logiques de game design qui ne renvoient plus aux manières de jouer actuelles. La prouesse reste immense : Capcom a rendu à nouveau accessible un chef d’oeuvre clé de la longue histoire des jeux de survie horrifique. Faut-il vraiment en demander davantage ?
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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