Ne tournons pas autour du pot, cela fait deux semaines que dure le shitshow – assez violent pour les développeurs, les pauvres – au point que Phil Spencer lui-même soit venu s’excuser de ce launch spectaculairement raté : Redfall, petit dernier d’Arkane Austin, studio autrement connu pour son chouette Prey, est un naufrage. Un naufrage technique, ludique et narratif, bref, c’est cassé sur quasiment tous les plans.
Sans un post-mortem complet, difficile, pour le moment, de savoir comment une telle catastrophe, au sein d’un studio compétent et talentueux, chapeauté par des structures aussi solides que Microsoft et Bethesda, a pu se produire. Après l’avoir traversé, ma première théorie est qu’Arkane Austin (et, sans savoir dans quelles proportions, Bethesda) a voulu faire cohabiter beaucoup trop de choses dans le même titre. Trop de tons, trop de philosophies de gameplay, trop de concepts, certains complètement incompatibles, tous fracassés les uns dans les autres en espérant que ça accroche. Malheureusement, ça explose et nous voilà malgré nous témoins de cet accident au ralenti - environ 27 fps.
Y en a un peu plus, je vous le mets quand même ?
Avant même d’être sorti, Redfall envoyait des signaux inquiétants quand, à la manière de Deathloop, on a vu l’équipe galérer à expliquer le concept, et que chaque nouvelle preview nous rendait encore un peu plus confus. Pourtant, une fois en main, comme pour Deathloop, la formule est finalement simple à comprendre. La ville de Redfall est sous le joug de dangereux vampires et des cultes qui les ont ralliés, l’île sur laquelle elle est située s’est vue isoler du reste du monde et le Soleil caché par une éclipse. Il s’agira ainsi, en solo ou en coop, de reprendre le contrôle de ce petit open world quartier par quartier, jusqu’à éliminer les lieutenants puis chefs des vampires. Facile.
Si le titre a été aussi difficile à expliquer et marketer, finalement, c’est peut-être car au-delà de ce pitch simplissime – mais plutôt efficace –, c’est une myriade de concepts et d’idées contradictoires qui s’affrontent, aucun ne prédominant. Passé son intro assez dirigiste et claire sur les intentions du titre, la proposition explose en vol. Car Redfall essaye d’être un jeu horrifique, mais aussi un peu pulp voire cartoonesque, ainsi qu’un jeu d’action. Il essaye d’être un monde ouvert, une immersive sim solo et un défouloir coop, un FPS, un RPG, une expérience narrative, un hack’n’slash et c’est non seulement beaucoup, beaucoup trop, mais c’est aussi souvent très incompatible, et ce sur tous les plans.
Anticlimax tu gardes ton sang-froid
Si l’on prend pour exemple l’esthétique et l’ambiance, Redfall ne parvient jamais à choisir ce qu’il veut mettre en place. Il faudra saluer quelques très bonnes idées de mise en scène, une direction artistique certes moins inspirée que les autres productions Arkane (Lyon comme Austin) mais proposant quelques fulgurances bienvenues (les vagues figées et le port asséché de l’intro sont saisissants), mais tout cela est constamment vain ou gâché. Dans ses meilleurs moments, le titre parvient à mettre en place une ambiance tantôt gothique, avec ses églises et cimetières inhospitaliers, tantôt proche du Salem de Stephen King, avec ses maisons barricadées aux intérieurs ravagés, habitants massacrés et vampires rôdant dans la cave.
Parfois, la mayonnaise prend et, l’espace de quelques instants, l’inquiétude pointe, le frisson se manifeste, et l’on hésite à descendre les dernières marches, appréhendant ce qui nous attend en bas, dans la pénombre. Sauf que ce qui nous attend en bas, c’est un énième vampire. Avec un peu de chances, ce dernier est un vampire spécial, avec des capacités de drain de vie ou de bouclier – aux effets visuels grotesques – mais la plupart du temps, c’est un vampire basique, que l’on fracasse en un ou deux coups de pieu. Ainsi, un nombre considérable de combats se trouvent être parfaitement anticlimatiques. Combien de fois suis-je entré dans une église, une clinique abandonnée, un cimetière, dont la mise en scène et l’atmosphère hurlent au danger mortel, pour que l’action soit expédiée en quelques secondes ?
ACAB (All Coops Are Broken)
Et encore, ça c’est pour le mode solo, qui, lors de certaines arènes un peu chargées en ennemis, peut amener à jongler entre les armes et pouvoirs mis à disposition, et peut mener à la mort en cas d’imprudence. En coopération et à niveaux de personnages égaux, on roule sur le jeu, sur les boss comme sur les vagues d’ennemis. Un aspect qui annule complètement tout l’intérêt du loot à outrance – on ramasse des dizaines et dizaines d’armes, ressources et munitions – et de l’arbre de compétence : pourquoi s’embêter à utiliser ses pouvoirs et à les combiner avec ceux des autres, à élaborer des stratégies, quand tout peut être réglé en deux coups de fusil à pompe ou un tir de sniper. C’est bien simple, sur 4 h de jeu en compagnie de deux de mes camarades de TPP, personne ne s’est senti menacé ou en difficulté ne serait-ce qu’une fois et l'on a fini par sévèrement s'ennuyer dans cet open world somme toute assez vide - d'ennemis et de narration environnementale - et mal conçu. Ce dernier est séparé en deux zones, quitter la première au milieu du jeu est définitif et finir la seconde écrase la sauvegarde pour lancer un NG+, une aberration de game design. Alors quoi, le jeu est plutôt prévu pour le solo ? Pas vraiment.
Au bout de ces quatre heures bien décevantes, mes partenaires de jeu m’ont fait comprendre que je continuerais l’aventure seul – j'en aurais fait autant. L’occasion de comparer un peu et d’expérimenter des aspects quasi impossibles à mettre en place en coop, comme l’immersive sim et l’infiltration. Si du côté de l’immersive sim, quelques passages dans la quête principale fonctionnent et sont plutôt bien trouvés, c’est quand même globalement assez faiblard - un grand nombre de portes verrouillées sont contournables par un simple coup de coude dans une fenêtre - , d’autant que certaines séquences sont clairement conçues pour des pouvoirs bien spécifiques, et donc de la coopération entre différentes classes. Côté infiltration, en revanche, c’est la catastrophe, la faute à une intelligence artificielle complètement aux fraises qui ne repère jamais grand monde et perd le focus quasi instantanément. Peut-être que les vampires n’ont pas la permanence de l’objet, qui sait.
On reprend donc rapidement ses réflexes du mode coop, en défouraillant dans tous les sens, l’utilisation des variétés d’armes et de compétences en plus. Sauf que là encore, ça coince. Outre des dialogues très visiblement écrits pour la coop, une partie non négligeable des arbres de compétences est dédiée aux effets sur les allié·e·s – donc inutile en mode solo, qui ne propose pas de bots – quand la structure même de certaines quêtes semble oublier qu’on peut jouer seul·e à Redfall. Je repense par exemple à cette mission secondaire dans laquelle je devais défendre un point face à des vagues successives d’ennemis. Arrivé à la moitié, j’ai fini par mourir, ce qui aurait dû logiquement amener à l’échec de l’objectif. Ce qu’il s’est passé, c’est que je suis réapparu au dernier checkpoint… tandis que le compte à rebours et les points de vie de la zone à défendre s’affichaient toujours, à l’autre bout de la carte. La mission continuait sans moi. Un aspect qui fait sens en coop : si je meurs mais que mes coéquipier·e·s sont toujours là à défendre, il est normal que la mission se poursuive jusqu’à ce que je rejoigne la zone de combat. En solo, ça ne fait simplement aucun sens. Et tout, dans Redfall, fonctionne de cette manière. Jamais vraiment conçu pour le solo, mais pas vraiment pour le multi non plus.
Quoi ma goule ?
Dernier clou dans le cercueil, l’autre gros problème de Redfall – plus facilement réparable, cela dit – c’est qu’il fonctionne très mal tout court. D’un point de vue technique, c’est la honte. Le titre avait provoqué un petit tollé avant sa sortie avec ses 30 fps sur Xbox Series – les 60 fps sont censés arriver plus tard –, mais que les joueurs et joueuses consoles se rassurent : sur PC, même sur une configuration tout à fait à même de faire tourner un AAA récent, le nombre d’images par seconde s’écroule régulièrement. D’autant que le jeu n’est pas particulièrement beau, que les textures restent souvent floues ou en très basse définition, et que certains objets ou détourages sont sévèrement crénelés, même avec des paramètres graphiques élevés. Nul doute que des patchs dans les semaines ou mois qui viennent sauront régler tout ça, mais pour le moment, en plus d’un jeu cassé en termes de conception, c’est un jeu terriblement désagréable et difficile à faire tourner.
D’autant qu’en plus de ces problèmes de performances, Redfall affiche des bugs à la pelle. Vampires qui restent coincés dans le sol, arbres qui planent au-dessus de la pelouse, crashs réguliers, clavier qui se désactive : les surprises sont multiples et se déclinent sur tous les aspects, faisant parfois se demander si l’on est face à un bug ou une feature hasardeuse. On notera ces « Nests », une chouette idée sur le papier puisqu’il s’agit de niveaux à la mise en scène et au level design assez sympas, dont la sortie est chronométrée. Si le compte à rebours arrive à son terme avant que l’on ait pu s’échapper, le niveau s’écroule sur lui-même. Game over ? Non, que l’on arrive ou non à sortir, la mission est quand même validée. Le système de sauvegarde et les menus ne sont pas plus épargnés, avec des quêtes annexes parfois ajoutées à la liste des missions, parfois non, aux objectifs qui apparaissent et disparaissent quand on relance une partie, et à une interface particulièrement peu claire et redondante. C’est bien simple : pour chaque aspect un peu cool de Redfall, il y a une mécanique et un aspect technique complètement cassés pour le gâcher.
Redfall a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur Xbox Series.
Quelle immense déception et quel immense gâchis. Redfall a un indéniable potentiel. Sa direction artistique et sa mise en scène étaient prometteuses et parviennent occasionnellement à faire mouche, et son concept de FPS/hack’n’slash/RPG à la frontière de Left 4 Dead, Borderlands et Deathloop aurait pu donner lieu à une sympathique campagne coop. Malheureusement, tous les aspects du titre se parasitent et se détruisent les uns les autres, ne laissant qu’un champ de ruines frustrant, dysfonctionnel, déséquilibré et bugué. À force de patchs et de correctifs, il pourra peut-être devenir convenable et divertir un groupe de trois ou quatre abonné·e·s au Game Pass le temps d’une dizaine d’heures. Ses profonds défauts de game design et de structure l’empêcheront cependant d’être plus que ça.
Les + | Les - |
- Quelques bonnes idées de mise en scène et de DA | - Des énormes problèmes de bugs et de performances |
- Le level design a quelques fulgurances | - Ça ne marche bien ni en solo, ni en coop |
- Un open world assez vide et mal conçu | |
- Les menus et l'interface sont brouillons et redondants |
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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