Premier jeu des Taïwanais de Puff Hook Studio, le court thriller psychologique Recall: Empty Wishes nous plonge dans un drame scolaire et familial sombre, mais pas dénué d'espoir.
Je vais commencer cette critique avec les sourcils froncés et un regard sévère : chers devs, quand vous réalisez un point and click essentiellement narratif et textuel presque sans gameplay, il est INTERDIT d'y coller des phases d'infiltration dans le dernier tiers de l'aventure. C'est comme ça, c'est pas moi qui fais la loi. Ne faites pas ça, vraiment. D'autant plus quand votre jeu aborde des questions aussi passionnantes, aussi intimes et d'une manière aussi élégante. Car, à ces quelques phases de gameplay pourraves près, Recall : Empty Wishes est une proposition particulièrement solide, surtout au regard de son équipe extrêmement réduite (moins d'une demi-douzaine de noms au générique).
Allô ? À l'aide !
Au milieu des années 2010, le jeune Tommy Lin, adolescent modèle prometteur et adoré, promis à un grand avenir dans le monde de la musique et de la peinture, disparaît soudainement sans laisser de traces. Il laisse derrière lui des amis éplorés, un fan club déboussolé, et une famille brisée. Yonny, sa sœur, qui n'a jamais bénéficié des mêmes facilités artistiques et de la même considération de la part des autres, se retrouve seule avec sa mère, cette dernière étant déjà sérieusement fragilisée par la mort de son mari quelques années plus tôt. Extrêmement isolée et obsédée à l'idée de prendre la place et même l'apparence de son frère disparu, Yonny et son amie Phoebe vont tenter un rituel interdit pour tenter de retourner dans la mémoire des différents protagonistes du drame. Sans surprise, la cérémonie occulte tourne très vite à la catastrophe. Voilà dans quel triste bazar nous plonge l'introduction particulièrement macabre de cette aventure horrifico-surréaliste. Autant vous dire qu'on comprend en moins de deux minutes qu'on ne va pas trop se taper les cuisses en riant à gorge déployée.
Pour autant, le dispositif mis en place par Recall: Empty Wishes parvient à éviter pas mal de pièges faciles en ne versant jamais dans le gore ou le macabre inutile. Pendant l'essentiel du jeu (dans lequel on va incarner tour à tour quatre personnages), on navigue entre des protagonistes parfaitement conscientes d'être dans un "simple" rêve, en naviguant à l'intérieur de celui-ci via des objets liés à la téléphonie. Ici, les téléporteurs et les indices prennent la forme de cabines téléphoniques, jouets en forme de combinés, smartphones, répondeurs... Un point qui résonne très fortement avec le passé des deux adelphes, liés dans l'enfance par un objet similaire. Alors que leur enquête progresse, Yonny et Phoebe sont plongées dans la peur et la confusion, certes. Mais elles ne sont formellement jamais en danger, si ce n'est celui de découvrir des secrets particulièrement éprouvants ayant conduit à la disparition de Tommy.

Ce ton onirico-cauchemardesque assumé permet à l'aventure de jouer avec la notion d'hallucination, de flou et de narration décousue sans verser dans le n'importe quoi narratif. On vogue de rêve en rêve et de souvenir en souvenir à mesure que l'on déniche les numéros de téléphone permettant de sauter d'un protagoniste à l'autre, le tout via des énigmes globalement assez simples. Il est rare de bloquer plus de cinq ou dix minutes sur un puzzle, et le rythme du récit ne faiblit jamais. C'est autant de place laissée à l'examen du traumatisme au cœur de la disparition du frangin.
Sur le fil
Au-delà de son joli pixel art un peu plombé par ces fameuses phases de gameplay d'infiltration et quelques énigmes nécessitant des allers-retours pénibles dans les différents tableaux, Recall: Empty Wishes est avant tout le récit façon puzzle de plusieurs drames complexes entremêlés.
Là où la facilité aurait consisté à donner une cause unique à la disparition de Tommy, l'aventure se concentre plutôt sur la narration de plusieurs petites catastrophes ayant lentement pris de l'ampleur jusqu'à devenir incontrôlables. Le récit s'étale sur plus d'une décennie, des premières fissures dans la famille des protagonistes jusqu'à des drames ayant poussé certains personnages à des actes sans retour. Recall: Empty Wishes tourne beaucoup autour de la notion de culpabilité dans une société (le Taïwan en plein développement éclair du début du XXIe siècle) où une pression extrême s'exerce sur les individus.
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La culpabilité de la mère de ne pas avoir créé la "famille parfaite" et d'être soumise au poids du regard des autres. La culpabilité de Yonny de ne pas avoir réussi à "être son frère" et à avoir le même parcours scolaire et artistique. Celle de Phoebe de ne pas avoir réussi à trouver une solution magique pour annuler le drame en cours. Celle de Mocky, le meilleur ami de Tommy, qui s'est drapé dans des considérations superficielles à un moment où il aurait fallu se comporter de manière mature. Celle de Tommy lui-même, enfin, sur lesquels les espoirs de toute une communauté se concentraient, et qui n'a pas pu empêcher la survenue d'un drame irréparable au sein de son école.
C'est toi qui raccroches
Pour autant, même si tout ceci est évidemment fort éprouvant et parfois souligné par des scènes horrifiques assez graphiques, je retiendrai de Recall: Empty Wishes le parti pris inverse à celui de beaucoup de jeux d'horreur d'être un jeu loin d'être dénué de lueurs d'espoir. Plus Yonny s'approche de la vérité de ce qui s'est réellement produit dans la vie de son frère et qu'elle n'avait pas su percevoir quand il était encore là, plus l'aventure pourrait faire le choix de se vautrer dans un pessimisme teinté de voyeurisme. Ce n'est heureusement pas le cas.
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À plusieurs reprises, les personnages dont on explore les souvenirs vont ainsi trouver une forme de rédemption et de paix avec leur "fautes" supposées, avec un sous-texte assez clair sur le fait que malgré les drames, la vie doit continuer. Et qu'on peut se souvenir d'un drame sans nécessairement le ressasser pour toujours. Et là encore, Recall: Empty Wishes aurait pu tomber dans un écueil consistant à dire "tu fais une dépression ? Arrête !", mais ce n'est pas du tout le propos. Le récit ne dit jamais que la résilience, la reconstruction ou le fait de se pardonner sont des choses faciles. Il dit cependant qu'au bout de tout ce douloureux processus, il y a potentiellement de la lumière au bout du tunnel.
À cet égard, les dernières minutes de l'aventure sont un moment de grâce autour de la notion de reconstruction familiale rarement abordée dans un jeu vidéo horrifique. La facilité de beaucoup de titres d'épouvante est de se terminer en queue de poisson sur le mode de la punition de ceux qui ont commis des actions qu'ils jugent condamnables. Au contraire, Recall: Empty Wishes dit qu'il est possible, et même nécessaire, de s'en sortir. Pas d'oublier, pas de tout pardonner, mais d'aller de l'avant. C'est particulièrement pertinent, rare et émouvant.
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Recall: Empty Wishes a été testé sur Nintendo Switch via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PC et sur PlayStation 4 et 5.
Bien sûr, je ne peux pas vraiment vous recommander Recall: Empty Wishes si vous détestez les ambiances horrifiques et les drames familiaux. Le jeu de Puff Hook Studio ne lésine pas sur les moments éprouvants et sur des scènes franchement perturbantes pour faire passer son message. Mais si vous êtes sensible au propos en question, qui est qu'une tragédie peut être surmontée sans néanmoins devoir être effacée ou niée, je ne peux que vous recommander cette courte mais intense expérience narrative.
Les + | Les - |
- Le scénario est assez original et évite les clichés du genre | - Quelques phases d'infiltration un peu calamiteuses |
- Le message final est dur, mais bienveillant | - Allers-retours fastidieux dans les niveaux (surtout que les personnages marchent fort lentement) |
- Les personnages sont finement écrits | |
- Le pixel art est plutôt fin et joli |
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zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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