Jeu horrifique sans antagoniste, sinon un labyrinthe retors situé dans des piscines angoissantes, Pools est une courte expérience signée par le studio Tensori et s'inspirant des espaces liminaux et des backrooms. Loin d'être une simple creepypasta facile et rincée (si j'ose dire), il s'agit avant tout d'une magnifique expérience sensorielle qui arrive à produire de l'horreur avec peu de moyens, là où on ne l'attend pas vraiment.
J'aime beaucoup les piscines. Déjà parce que je suis un labrador humain content d'aller faire plouf plouf dans la pataugeoire une fois par semaine, mais aussi, car les piscines sont des espaces profondément discursifs. Si, si, je vous assure. Tout le monde a son avis sur les piscines. La piscine, c'est politique. À la piscine municipale pas chère et populaire qui doit baisser le chauffage faute d'argent s'oppose le complexe aquatique public-privé qui veut rentabiliser le modèle de manière cynique. Et les deux sont des équipements par essence collectifs qui s'opposent, dans un contexte de rareté de l'eau, à l'égoïsme bourgeois de la piscine individuelle. La piscine est une expérience sociale, parfois traumatisante, dont on a fait des chansons. À côté des piscines gravitent parfois des éléments allant de la sensualité de l'imaginaire des saunas et des hammams au joyeux bazar des sento et des jjimjilbangs peuplés de retraités asiatiques en train de brailler. Mais la piscine, c'est aussi un ensemble de rituels souvent inquiétants, particulièrement pour les enfants. Des rituels faits de nudité, de bruits entendus comme des échos lointains, de couloirs trop longs et de carrelages trop froids. De légendes urbaines, aussi. Quand j'étais petit, on parlait abondamment de l'homme dont le frère du cousin connaissait un type dont le voisin avait attrapé une IST via une seringue piégée dans un vestiaire de la piscine Lothaire, à Metz. Plus triste (car bien réel, pour le coup) : la psychose parentale causée par un gamin qui s'était effectivement noyé après avoir été coincé par une grille d'évacuation en l'absence de tout maître-nageur à la fin des années 80 près de chez mon paternel. Bref, il y a beaucoup à dire sur l'objet piscine en tant que lieu de terreur. Et Pools le fait d'une manière exemplaire.
Mouvements du bassin
Si je mentionnais cette histoire d'enfant noyé dans une piscine mosellane il y a trente ans, c'est parce que ce fait divers m'a collé une frousse bleue pendant toute mon enfance : tout ce qui soufflait ou aspirait de l'eau dans un bassin m'a profondément terrifié jusqu'à la fin de mon adolescence. Par la suite, j'avais oublié cette histoire, mais Pools a passé deux ou trois heures à me la remettre en tête de manière assez perturbante. Car au fond, qu'est-ce que Pools, sinon une dissertation très angoissante sur "tout ce qui peut mal se passer à la pistoche" ?
La structure du jeu est assez simple : chacun des six niveaux va vous demander de marcher jusqu'à la sortie, et c'est à peu près tout. Pas de monstre, pas de poursuite, pas d'énigmes, pas de jumpscares, même pas d'interface, en réalité. Vous êtes à la piscine : il faut sortir. Chaque niveau possède simplement une thématique et une identité propre. Ici, c'est un ensemble de toboggans qui relient les bassins, là, on est plutôt dans des bains luxueux ornés de statues en marbre, ici encore, on en revient à la bonne vieille piscine de jardin. Simplement, tous les éléments constituant habituellement une expérience banale, au pire légèrement désagréable, ont été amplifiés à l'extrême pour créer un sentiment de malaise flottant.
Il faut comprendre que dans Pools, vous ne pouvez pas juste suivre les panneaux vers la sortie de secours. Chaque structure que vous allez arpenter est un labyrinthe particulièrement tortueux où tout concourt à vous perdre complètement. Rien ne ressemble davantage à un couloir terminé par un bassin éclairé à la lumière blanchâtre que son jumeau, ne différant que par l'orientation de la porte de sortie. Plus on progresse dans les différents niveaux de l'aventure, et plus les espaces deviennent tour à tour vertigineusement grands ou au contraire désespérément étriqués. Dans sa seconde moitié, Pools s'autorise même quelques moments de folie, en jouant sur des architectures a priori impossibles ou des paradoxes géographiques contribuant à vous paumer encore un peu plus.
Je vais dans les backrooms du sauna : ça tourne mal
Ce qui fonctionne le mieux dans Pools, c'est bien sa manière de se concentrer sur très peu d'éléments pour causer le malaise et l'angoisse, et de mettre les potards à fond sur lesdits éléments. Des échos qui se répètent à l'infini, des bruissements bizarres dans les grilles d'évacuation, des lumières beaucoup trop blafardes ou des éléments de décor "ludiques" en beaucoup trop grand nombre… Tout participe à ce qu'on se sente mal dans des espaces de bassins pourtant familiers.
La démarche du personnage que l'on incarne, qui devient gauche et pataude dès qu'on a le malheur de mettre un pied dans l'eau, nous rappelle ostensiblement que notre avatar n'est pas, contrairement à votre serviteur, dans son élément. Les quelques (rares) manières de mourir dans Pools nous le stipulent très clairement : on ne sait pas nager. Mais à part ces éléments de malaise lourdement accentués, le jeu est quasiment dépourvu des habits habituels de l'horreur vidéoludique.
Il n'y a pas de croquemitaine, pas de timer, (pratiquement) pas de pièges mortels et pas de perte de lien avec la réalité. Mais nos sens sont continuellement perturbés par des éléments visuellement légèrement inadéquats, des salles trop longues, des formes étranges, une opacité brutale et légèrement anormale.
La seule concession au registre purement horrifique serait à chercher du côté des statues de marbre ornant certains niveaux de manière clairement menaçante, à la manière des sentinelles tueuses montant la garde dans The Forgotten City. Certes, elles ne bougent pas et se contentent de faire leur travail de statues. Mais les trouver au détour d'un escalier exigu bouchant le passage produit un petit surgissement d'une frayeur plus classique dans cet espace qui en est le reste du temps assez dépourvu.
Ma seule réserve sur ce voyage particulièrement étrange serait à trouver du côté du sixième et dernier niveau du jeu. Ce dernier essaye assez clairement de raccrocher Pools à l'esthétique et à la thématique parfois un peu envahissante des creepypasta situées dans les fameuses backrooms. Dès lors, on passe une bonne demi-heure dans des espaces relativement déconnectés du concept de piscine, qui se retrouve un peu mis de côté au profit d'autres types de bâtiments et d'architectures, clairement moins maîtrisées. Mais à cette petite réserve près (on parle de quelques minutes de jeu un peu en dessous du reste), je crois que Pools constitue une des propositions les plus ambitieuses pour un petit jeu d'épouvante qu'il m'ait été donné de voir depuis très longtemps.
Pools a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Un bon jeu, c'est souvent avant tout un concept simple, travaillé sous toutes les coutures et poussé dans ses derniers retranchements. Pools a l'intelligence de ne presque jamais faire autre chose que cela : nous rappeler à quel point un univers aussi familier qu'un bassin plein de bouées ou un sauna plein de vapeur peuvent rapidement produire de la bizarrerie, voire du malaise. Sans jamais céder à la facilité de basculer dans l'horreur graphique, le titre de Tensori préfère s'en référer à notre capacité de projection et à nos peurs ancestrales liées à la noyade, à la perte de repères et à l'exiguïté. Voilà qui m'aurait presque dissuadé d'aller faire ma séance de brasse hebdomadaire. Presque.
Les + | Les - |
- Arrive très bien à créer du malaise avec un sujet simple et familier | - Le dernier niveau est légèrement hors sujet |
- Ne s'éparpille quasiment jamais dans des idées inutiles | |
- L'architecture des niveaux est très intelligente et se renouvelle à merveille | |
- Le sound design et le jeu sur les lumières sont exemplaires |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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