Pocket Mirror ~ GoldenerTraum est un jeu en pixel art d'horreur surréaliste inspiré des classiques de l'épouvante gothique japonaise (Rozen Maiden, Puella Magi Madoka Magica…) et de la littérature fantastique du XIXᵉ siècle. Disons-le d'emblée, il faut avoir l'estomac bien accroché.
Pocket Mirror n'est d'ailleurs pas tout à fait un nouveau venu sur la scène du jeu horrifique produit sous RPG Maker, puisque le projet d'AstralShift, dont les origines remontent à 2014, est sorti une première fois en 2016. Il s'est alors fait un petit nom dans la scène des jeux d'épouvante indés, avant d'être développé dans une version remastérisée et augmentée parue chez KOMODO ces jours-ci. Le projet arrive donc précédé d'une petite réputation, faite d'une ambiance cauchemardesque assez éprouvante, et d'une aventure farcie d'humour noir prenant un malin plaisir à torturer ses personnages de la manière la plus cruelle possible. Il faut le dire d'emblée : Pocket Mirror est un jeu taillé pour plaire aux amateurs·ices d'un certain type de thrillers japonais inspirés de versions gothiques d'Alice au Pays des Merveilles (c'est un sous-genre à part entière). Pour arriver à rentrer dans le petit jeu sadique proposé par AstralShift, vous avez intérêt à être sensibles aux esthétiques à la Shadow House, Utena et autres Black Buttler. Ou du moins à avoir un certain affect pour les manoirs victoriens déformés par d'immondes visions de cauchemar. Si c'est votre truc et que vous êtes prêts à affronter une interface un peu cabossée, vous tenez peut-être là un de vos grands jeux de l'année.
Manoir, mon beau manoir
Introduire l'univers de Pocket Mirror sans révéler sa très belle mécanique principale relève de l'impossible, mais je vais faire au mieux pour ne pas déflorer l'ensemble de ses charmes : il s'agit d'un jeu à twists. Disons, de manière évasive, que vous allez vous réveiller dans les ballerines d'une jeune fille anonyme, ne parvenant pas à savoir qui elle est exactement et coincée dans un étrange manoir victorien décati. On vous confie un miroir de poche, en vous intimant de ne jamais (JAMAIS) vous en séparer. Croyez-moi, si vous voulez échapper à un certain nombre de Game Over, ne vous séparez JAMAIS du miroir, sauf si c'est votre dernier recours.
Il devient assez rapidement évident que des créatures étranges hantent les lieux, allant de la citrouille parlante aux peintures hantées en passant par la classique poupée tueuse. Toute la panoplie des meurtriers de romans gothiques est là, évidemment prête à vous chaparder votre précieux miroir et/ou à vous massacrer au passage si vous les regardez de travers. Chaque pièce de la demeure est l'occasion d'un nouveau mini-conte cruel dont notre héroïne sera la victime. On meurt souvent dans Pocket Mirror, chaque erreur étant une source d'apprentissage pour comprendre la logique déviante des lieux traversés.
Et puis voilà qu'au bout d'une heure ou deux, pile quand on commence à s'ennuyer un peu, l'aventure s'emballe en vous proposant de la vivre sous une tout autre perspective. Découpée en cinq actes principaux, la trame de Pocket Mirror joue ainsi pleinement sur les ruptures de ton constantes. Dès que l'on pense avoir fait la lumière sur les tenants et les aboutissants du scénario, on est baladé dans d'autres lieux, avec d'autres personnages, à un autre bout de la pelote narrative constituant l'ensemble. Initialement assez convenu, le jeu en devient progressivement assez palpitant, pour peu qu'on aime les fanfictions ultra-morbides d'Alice au Pays des Merveilles, dont il peine légèrement à s'écarter. C'est assez trash, c'est terriblement macabre et ça prend un malin plaisir à vous coller le nez dedans avec une couche d'humour noir à glacer le sang. Et le tout fonctionne à merveille, notamment grâce à un système de fins multiples assez captivant.
Point and gothic
Les premiers tableaux de l'aventure laissent à penser que la structure de Pocket Mirror s'articule autour d'une idée assez "simple" consistant à résoudre une petite énigme par pièce du manoir. Une sorte de puzzle game mâtiné de jeu d'horreur et d'un tantinet de point and click. Trouver une clé, ouvrir des coffres dans le bon ordre, placer des objets sur des statues : c'est classique. Assez vite, néanmoins, une surcouche s'ajoute en vous proposant de manière assez discrète un système d'embranchements scénaristiques multiples.
Chaque acte principal du jeu vous proposera une série d'épreuves ou de choix destinés à évaluer votre compréhension du drame en train de se jouer. Il sera généralement de bon ton d'avoir assez bien compris le sous-texte des énigmes pour parvenir à surmonter ces challenges, dont la résolution mènera à une des fins possibles. L'ensemble de ces dénouements ayant eux-mêmes une influence déterminante sur la tonalité de l'épilogue, atteint en une grosse dizaine d'heures en ligne droite.
L'aventure est donc relativement brève (surtout quand on connait à l'avance la solution des énigmes lors d'un New Game +), mais mise énormément sur son potentiel de rejouabilité : plus on débloque de fins différentes, et plus le mystère constitué par Pocket Mirror devient limpide. Tout le sel du jeu se déploie dans cet ensemble de dénouements possibles. On regrettera cependant que certaines fins (particulièrement celles cachées et quelques Game Over "gags") puissent être manquées assez facilement, et que, sans une solution sur les genoux, il soit presque impossible de compléter le jeu à fond.
Aussi amusant qu'irritant
Tout au long de mon parcours dans Pocket Mirror, j'ai bien été forcé de garder à l'esprit qu'il s'agissait d'une version "augmentée et amplifiée" du titre de 2016. Et aussi chouette que soit le titre (il l'est vraiment, c'est un excellent jeu d'aventure), je n'ai pas pu m'empêcher de déplorer que l'expérience utilisateur n'ait pas davantage été améliorée depuis la première vie du jeu.
Pocket Mirror 2023, c'est une interface très raide qui ne s'est pas émancipée du carcan du moteur RPG Maker VX, des énigmes parfois confuses, voire légèrement trompeuses dans leur formulation, un système de sauvegarde qui rend assez compliqué l'exploration des différentes fins… Le passage d'un projet solo à un jeu porté par un éditeur comme KOMODO a été l'occasion d'apporter énormément d'améliorations au jeu d'origine. Mais l'essentiel de ces améliorations se concentre sur du contenu scénaristique ou esthétique uniquement. Avec un certain brio, il faut le reconnaitre.
On aurait aimé que le même soin soit apporté à la structure du jeu en lui-même : possibilité d'accélérer les dialogues ou de sauter des scènes cinématiques déjà vues et revues, système d'arborescence scénaristique plus clair, meilleure gestion du menu d'inventaire… Si tous ces petits ajustements avaient été faits, Pocket Mirror serait sans doute un des tout meilleurs Resident Evil like en 2D jamais produit. Sans eux, il ne s'agit "que" d'un excellent jeu d'aventure à l'humour macabre et à l'ambiance délicieusement décadente.
Pocket Mirror ~ GoldenerTraum a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Version définitive d'un chouette jeu indé culte, Pocket Mirror aurait sans doute largement pu bénéficier d'un retravail encore plus profond, le portant vers un véritable remaster plutôt que vers cette version GOTY++. Ses qualités ont été boostées, mais ses petits défauts sont toujours là. Qu'à cela ne tienne, il s'agit tout de même d'une des meilleures propositions de jeu horrifique inspirée des classiques allant d'Alice au Pays des Merveilles à Silent Hill. Ce n'est pas rien. Difficile de ne pas vous recommander chaudement de l'essayer si vous êtes sensibles à cette esthétique.
Les + | Les - |
- Ambiance particulièrement réussie | - Interface assez bordélique |
- L'humour noir fonctionne très bien | - Les énigmes sont souvent présentées de manière confuse |
- Un jeu d'aventure souvent assez malin | - La version française devra attendre |
- L'intrigue révèle quelques surprises bien senties | |
- Le système de fins multiples, un peu abscons mais gratifiant |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
Articles similaires
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024
Great God Grove - Queer et élastique
nov. 11, 2024