Annoncé sans tambours ni trompettes lors du dernier E3 par Team 17, un éditeur qui, c’est le moins que l’on puisse dire, n’a plus vraiment son lustre d’antan, Planet Alpha est un énième platformer muet et contemplatif à scrolling horizontal, un domaine plus que concurrentiel ces dernières années.
A l’origine du projet, d’anciens développeurs de chez IO Interactive, rassemblés au Danemark sous le nom de Planet Alpha Aps, animés par la volonté de proposer quelque chose de légèrement différent des jeux qui viennent immédiatement en tête à l’évocation du genre : Inside, Limbo, Thomas Was Alone, Ori and the Blind Forest, ou Fez. La promesse d’une planète inconnue et mystérieuse, à la gravité capricieuse et d’un protagoniste animé par l’étrange pouvoir de faire alterner le cycle de jour et de nuit du monde sur lequel il est perdu. Mais si le jeu de Team 17 ne lésine pas sur la direction artistique, absolument superbe, il se perd un peu dans un gameplay régulièrement confus et répétitif.
Planète Interdite
C’est sur une planète qui évoque à la fois le cinéma psychédélique des années 70 et la SF rétro des années 50 que s’échoue un beau jour, ou peut-être une nuit, un astronaute muet et anonyme, miraculeusement rescapé d’un accident qui semble avoir été particulièrement brutal. Sans autre solution que de s’enfoncer dans la jungle hostile qui l’entoure, notre petit héros se retrouve bien vitre coincé dans un conflit entre machines autonomes et créatures autochtones, tantôt des monstruosités insectoïdes, tantôt des cétacés célestes. En tout cas, une nature qui n’entend pas se laisser dompter par de vulgaires tas de ferrailles.
C’est totalement impuissant et armé de votre seule capacité à vous accroupir que vous allez devoir traverser cette jungle inhospitalière, pour rapidement découvrir les ruines d’une civilisation manifestement pas si oubliée que ça, et vous retrouver affublé de la capacité de faire passer les heures par la seule force de votre volonté. Un énorme avantage dans un ensemble de décors où certaines plantes voraces n’agissent que la nuit et où certaines plates-formes ne poussent que le jour. Un atout essentiel en tout cas pour vous frayer un chemin de la gauche vers la droite (souvent) et de haut en bas (parfois) sur la mystérieuse planète, avec au bout du voyage une réponse possible à la question que chacun se pose parfois dans la vie : « mais qu’est-ce que je fiche ici ? ».
Si la narration muette et minimaliste de Planet Alpha est globalement maîtrisée, force est de constater qu’en terme d’univers et de péripéties, on a vu plus fascinant. Brassant aléatoirement tout un tas de thématiques assez recuites de la Science Fiction de ces soixante dernières années, le titre de Team 17 ne raconte finalement pas grand-chose, se contenant de dérouler ses tableaux comme un joli diorama un peu creux, et n’exploitant qu’à de rares moments la très forte puissance évocatrice de son décor. Car, disons le tout de go, si Planet Alpha a bien une qualité, c’est l’excellence rarement atteinte dans un jeu du genre de ses graphismes.
Beau à Pleurer
De la première à la dernière minute, Planet Alpha vous en mettra plein les yeux. Le choix de graphismes en low-poly, avec ses personnages à peines texturés et ses créatures au design minimaliste, avait de quoi inquiéter et laissait craindre une certaine facilité. Mais non, c’est simplement le signe d’une direction artistique extrêmement inspirée, compensant la maigreur des détails accordés aux personnages pour se concentrer sur la beauté à couper le souffle des décors.
Chaque environnement traversé par le joueur lors des quelques heures nécessaires à boucler le titre est un véritable bijou, de jour comme de nuit. En jouant sur la profondeur et les perspectives et en multipliant les panoramas impressionnants, les auteurs de Planet Alpha ont livré une copie quasi-parfaite en terme d’impression de grandeur et de dépaysement. Chaque moment du jeu vous fera comprendre que vous n’incarnez qu’une fourmi minuscule dans un environnement trop grand pour lui, une planète au cœur battant déchirée par un conflit au regard duquel vous n’êtes rien.
Sans multiplier les effets de manche, réservant ses quelques scènes spectaculaires à des moments clés de la narration, Planet Alpha parvient souvent, à coup de décors somptueux, de musique new age immersive et de moments de bravoures mémorables, à titiller les plus grands platformers narratifs de ces dix dernières années. Si vous souhaitez une ballade de quelques heures dans les plus beaux décors de jungle mystérieuse depuis Monster Hunter World, vous pouvez vous arrêter là et directement ajouter Planet Alpha dans votre panier, vous ne le regretterez pas.
Si l’originalité et la fluidité du gameplay ont cependant pour vous une importance déterminante, vous pouvez cependant rester un peu, j’ai quelques petites réserves à émettre.
Planet Alpha, là, c’est pas Zizou. Muscle ton jeu !
On les attend, les idées de gameplay. Pendant une heure, deux heures, sept heures. Le jeu ajoute bien progressivement des éléments à la simple déambulation horizontale. Pousser des blocs (toujours le top du top des énigmes). Faire alterner le jour et la nuit. Quelques phases « accélérées » à la Sonic. Des phases en très basse gravité. Mais rapidement, il semble évident que quelque chose cloche : tout a été déjà vu ailleurs, et tout a déjà été vu mieux.
Si les décors et la mise en scène de Planet Alpha sont un quasi sans faute, force est de constater quand même que tout le reste n’est pas très carré. Sauts approximatifs, énigmes parfois peu lisibles, caméra capricieuse : heureusement que les points de sauvegarde, distribués très généreusement après chaque mini-énigme, rendent la progression mécaniquement très fluide. Il m’est arrivé bien trop souvent dans Planet Alpha de ne pas comprendre ce qui était attendu de moi, non pas parce que je suis un fieffé crétin, mais parce que certaines phases étaient terriblement approximatives ou peu instinctives.
Après avoir bouclé le jeu (non sans plaisir), je ne peux que constater que Planet Alpha est un jeu qui n’a aucune idée que Limbo et Inside n’ont pas eu avant lui, si ce n’est une charte graphique bien plus colorée et vivante. La plupart de ses features n’en restent qu’au stade de gimmick sous-exploités, et une certaine lassitude s’installe à mesure que les énigmes s’enchaînent sans génie, souvent gâchées par la hitbox bizarre du protagoniste ou une physique des objets un poil aléatoire.
Pire encore, quelques bugs ont occasionné quelques moments de flottement assez imprévus, un poil trop conceptuels même pour l’ambiance psychédélique de Planet Alpha : fusion avec un mur, personnage qui s’envole, scripts qui refusent de se déclencher, et même un bon vieux plantage du jeu (mais sur Switch). Peu fréquents, ces bugs restent surprenants pour une production dont certains autres aspects semblent avoir été si travaillés. Planet Alpha aurait dû, pour viser l’excellence, être beaucoup plus costaud sur ces points de détail.
Une superbe promenade pour joueur peu exigeant
Je ne suis pas du tout persuadé que la notion de « joueur casuel » qui a émergé ces dix dernières années soit très pertinente pour catégoriser quoi que ce soit, tant ce label finit par se recouper avec celui de « grand public ». Néanmoins, je connais dans mon entourage un certain nombre de personnes sans goût particulier pour le jeu vidéo et assez peu au fait des codes du média, mais qui ont pu être touchés, via la publicité qui en a été faite par d’autres médias que la seule presse jeu vidéo, par d’excellents titres comme Never Alone ou Souvenirs de la Grande Guerre.
Il me semble que c’est davantage à ce public avide d’expérience artistique et insolite, curieux de nouveaux médias et de nouvelles formes de narration que s’adresse Planet Alpha, davantage qu’à moi, qui en suis à mon deux ou trois centième jeu de plates-formes depuis la borne d’arcade Shinobi en 1987. Car en tant que pur jeu, il demande extrêmement peu de skill (tout se joue avec à peu près quatre boutons, et le jeu n’oppose jamais de résistance ni pic de difficulté au joueur), et ne mettra de côté personne.
Il me semble que même si je n’ai pas passé un moment bien palpitant sur Planet Alpha, si ce n’est esthétiquement parlant, il s’agit d’un de ces titres parfaitement recommandables pour un public jeune comme un public non joueur curieux de découvrir des formes d’expressions vidéoludiques à mille lieu de Fortnite et des FPS compétitifs. Il n’aurait pas démérité à être un tout petit peu plus qu’une sorte d’Inside avec une fausse moustache psychédélique, mais il ne faut pas non plus trop en demander et savoir se contenter de ce qu’on a dans son assiette, surtout si c’est cuisiné avec amour. Même si c’est un peu brûlé sur les coins et que quand même sans déconner le menu entrée plat dessert est à 19€99.
Planet Alpha a été testé sur Switch, via une clé fournie par l’éditeur du jeu.
Beau comme le rêve d’enfant d’un futur spationaute, Planet Alpha est un véritable petit bijou esthétique, une leçon de direction artistique et d’imaginaire. Contemplatif et permissif dans ses mécaniques, il est cependant plombé par une certaine généricité et une grande répétitivité de son gameplay, décalque maladroit et parfois criblé de bugs d’autres jeux un peu plus aboutis que lui. Le titre de Team 17 reste cependant une excellente surprise de rentrée, et un des platformers qui comptent dans une année pourtant chargée en la matière.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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