Trois ans après le premier épisode, Obsidian a sorti la suite de Pillars of Eternity, avec une campagne de financement participatif encore plus couronnée de succès que la première, avec 4 407 598$ récoltés sur Fig. Si le fait de demander encore une fois de l’argent peut faire sourciller, cela est malgré tout la preuve que les RPG à l’ancienne trouvent encore leur public et qu’ils ne sont pas prêts de disparaître. Pour mon plus grand plaisir, il faut l’avouer.
Après avoir découvert le secret des Dieux, vous aviez pris votre retraite bien méritée de Gardien dans votre forteresse à Caed Nua. Enfin, jusqu’à ce qu’Eothas prenne la forme d’une énorme statue d’adra et décide de surgir juste sous votre demeure. Autant dire qu’après ça, vous n’allez pas très bien, d’autant plus que le dieu a choisi de prendre un bout de votre âme avec lui. Après avoir été convoqué par Berath, dieu s’occupant du cycle de réincarnation entre autres, qui vous fait retrouver vos souvenirs, vous êtes donc chargé de suivre Eothas dans son voyage à travers l’archipel du Feu éteint. Bonne nouvelle : vous avez un bateau maintenant.
Cette critique contient des spoilers pour Pillars of Eternity I et des indices sur l’intrigue du II.
La même chose mais en mieux
Si vous avez joué au premier opus, vous ne serez pas déstabilisé par Deadfire. Les combats se déroulent toujours en temps réel avec pause et toujours avec les petites barres pour indiquer combien de temps il faut à vos personnages pour lancer leur attaque ou leur sort, selon l’armure et les armes qu’ils portent. Les plus gros changements résident dans la taille de votre équipe, qui passe de six personnages à cinq, et à une IA beaucoup plus intelligente, même si parfois votre mage décidera d’aller au corps à corps et de bloquer votre tank (mais beaucoup moins souvent).
Presque trop intelligente à vrai dire, au point de rendre le jeu beaucoup plus facile que ne l’était le premier. Dans Pillars of Eternity et Tyranny, j’étais obligée de désactiver les IA de tous les personnages si je ne voulais pas qu’ils changent de cible aléatoirement ou qu’ils aillent se suicider en allant au corps à corps avec leurs petites armures en tissu. Ici, tout fonctionne parfaitement : votre tank fait son travail de tank, votre mage évite de lancer des sorts qui touchent amis comme ennemis, votre prêtresse buff convenablement tout le monde et tout le groupe focus le même ennemi. Bref, un rêve de joueur de WoW devenu réalité. Tout juste ai-je enlevé l’IA sur le Gardien, histoire d’avoir quelque chose à faire quand même et ai-je été obligée de switcher sur la prêtresse pour la forcer à lancer des sorts de soin. Mais si les combats ne sont pas votre fort, le jeu peut pratiquement se jouer seul, sauf lors des rares gros affrontements de boss.
Et surtout, ce deuxième volet a repris quelque chose qui avait été introduit dans les extensions « The White March », les multiclasses. A vrai dire, rien de révolutionnaire. Vous pouvez choisir de combiner deux classes, ce qui fera une autre classe qui en fait ne correspond à pas grand-chose. J’ai fait une druidesse/paladin et la seule particularité du truc, c’est que j’avais des sorts de paladin et des sorts de druide plutôt que seulement l’un ou l’autre. Un peu dommage, j’aurais aimé quelques sorts uniques à ma combinaison de classes et qui ne me donnent pas juste l’impression d’être un paladin qui peut se transformer en gros chat et soigner un peu plus souvent. Pareil pour vos compagnons, vous aurez le choix entre plusieurs classes lorsqu’ils sont recrutés : soit une classe unique, soit des multiclasses. Plutôt pratique comme système car il évite le problème d’avoir un compagnon qui a la même classe que vous. Mais au final, tout ça est un peu gadget.
Adra-cadabra
Mais le plus gros défaut du jeu va être au niveau de son histoire. Non pas que le récit soit mauvais, loin de là mais il présente le défaut commun à beaucoup de scénarii de RPG : alors que votre quête principale est importante et souvent décisive du destin du monde, votre personnage se retrouve embourbé dans des querelles locales qui ne le concernent qu’à moitié. De prime abord, cet aspect est plutôt logique : votre bateau est détruit, vous ne pouvez pas continuer votre quête et vous avez donc besoin de l’aide des forces locales pour retomber sur vos pieds. Sans compter que tout le monde s’intéresse à l’adra, une sorte de métal qui permet de faire circuler les âmes dans le cycle de réincarnation, et qui est essentiel dans la poursuite d’Eothas. Mais au bout d’un certain temps, ces allers-retours pour vous attirer les faveurs des grandes factions sont lassants d’un point de vue scénaristique. Vous êtes censé poursuivre un Dieu qui détruit tout sur son passage et pourtant, vous passez votre vie à parlementer avec chacun pour essayer de les apaiser.
Cependant, les quêtes secondaires sont vraiment les plus passionnantes. Comme dans le premier, vous avez la possibilité de les résoudre soit le plus pacifiquement possible, soit en étant un gros bourrin qui tue la moitié des gens sur son passage. Toute la narration du jeu passe par elles, ce que vous deviendrez et vos relations avec vos compagnons en dépendent aussi. A vrai dire, la quête principale est extrêmement décevante et consiste en très peu de choses. Pas la peine donc de la rusher si vous ne voulez pas vivre une aventure courte et vide. Malheureusement, toutes ces quêtes secondaires intéressantes vont finir par être totalement inutiles du point de vue de l’histoire puisque après avoir fait avoir fait le coursier/messager/mercenaire pour tout le monde, vous devrez choisir votre camp et vous mettre à dos tout le reste.
Il est d’autant plus frustrant que la quête principale soit aussi courte puisque c’est elle qui a le propos le plus intéressant : le premier épisode de Pillars of Eternity nous avait plongé dans un monde désespéré où les enfants naissaient sans âme et où votre personnage, le Gardien, se retrouvait manipulé par les Dieux tout en découvrant que ceux-ci n’étaient qu’une invention, des gens qui ont décidé d’eux-mêmes de se transformer en êtres tout puissants contrôlant le cycle de réincarnation. Le deuxième opus place maintenant les gens ordinaires au centre de l’histoire. Eothas n’est là que pour donner l’impulsion à la révolution, qu’il laissera par la suite entre les mains des humains, qui devront eux-mêmes choisir leur destin. Tuer leurs dieux et être plongés dans une incertitude qui pourrait aussi bien résulter en la fin du monde qu’en salut pour le peuple ordinaire ou rester dans cette confortable illusion que les dieux correspondent bien à l’image que l’on s’en fait et laisser dans leurs mains la chose la plus précieuse qui soit, le don de la vie ? Mais donner un tel pouvoir à d’autres personnes, les animanciens, espèce de mages des âmes, n’est-ce pas en faire des dieux à leur façon ? Deadfire a une réelle réflexion sur le rôle des religions : là où Eothas ignore gentiment les prières de vos compagnons qui lui sont dévoués en leur expliquant qu’ils sont capables de faire de grandes choses sans lui, les autres dieux exploitent leurs fidèles pour leurs propres intérêts et querelles internes. Avec des divinités aussi clivantes et imbues d’elles-mêmes, la question se pose : seriez-vous prêt à tuer vos dieux si vous en aviez l’occasion ? Je serais d’ailleurs intéressée de voir si la réponse à cette question se traduit différemment en jeu selon si l’on est croyant ou pas dans la vraie vie.
Tout feu tout flemme
Ce que les gens pourront le plus reprocher à Pillars of Eternity II : Deadfire, c’est de ne pas être très innovant. Je vous ai parlé des innovations plus haut et autant dire qu’ils ne réinventent pas la roue. On pourrait aussi parler du côté semi-open world avec l’ajout du bateau, qui sert de moyen de déplacement tout en fournissant du contenu avec les batailles navales sous forme d’aventure textuelle ou la possibilité d’aller explorer des îles. Un ajout plaisant qui ne change pas radicalement le jeu. Mais après tout, est-il vraiment nécessaire de tout changer lorsque la formule de base est terriblement efficace ? La question se pose beaucoup en ce moment, surtout lorsqu’on voit que le salut d’Ubisoft est arrivé récemment en modifiant pas mal de choses à Assassin’s Creed. Mais Pillars of Eternity n’en est qu’à son deuxième volet et le changement est déjà arrivé sous la forme de Tyranny, qui n’était pas une réussite, malgré de bons points. D’ailleurs Obsidian l’a compris, les seules nouveautés tirées de Tyranny sont mineures, comme le déplacement rapide sur la carte des villes.
Mais en même temps, je ne peux pas m’empêcher de comparer Deadfire à Divinity : Original Sin 2, même si objectivement les deux jeux n’ont en commun que le fait d’être des RPG. Mais Divinity a fait tellement de bonnes choses dans la possibilité de résoudre ou de prendre des quêtes, pour rendre le monde vivant et dans l’aspect tactique avec les interactions entre les différents éléments que le côté manichéen de Pillars qui consiste seulement à parler ou à taper semble bien triste en comparaison. Sans oublier les PNJ, qui sont doublés pour apporter un peu de vie, sans vraiment réussir. Heureusement Deadfire possède une très bonne BO, qui vous guidera agréablement tout au long de l’aventure, même si certains endroits paraîtront vides lorsque vous vous rendrez compte que vous entendez plus de musique que de conversations.
Pillars of Eternity II : Deadfire est un excellent jeu et probablement mon jeu de l’année pour le moment. Mais il aurait pu être tellement plus avec plus d’attention donnée aux détails, avec une véritable volonté de construire un monde vivant, d’autant plus lorsque le titre est censé se dérouler sur des îles habitées par différents peuples avec des cultures propres. Même l’ajout des réactions des compagnons à vos actions n’apporte rien de plus (à part si vous êtes un génocidaire sanguinaire, ce qui peut, bizarrement, rebuter certains), tout au plus vous feront-ils des avances plus poussées et répétées. Qui sont d’ailleurs très irritantes à force : j’avais l’impression de ne pas pouvoir avoir une relation sincère avec mes compagnons qui n’incluait pas le fait d’avoir des relations sexuelles avec eux. Et la seule fois où il m’a été donné l’occasion de faire le premier pas, je me suis fait gentiment rembarrer. Sans oublier que certains n’ont juste pas d’histoire ou de quête correspondant à celle-ci et croyez-moi, il sera plus facile d’abandonner un compagnon à la mort plutôt que de refaire un long combat pour le sauver.
Pareil avec les marins qui vous accompagnent dans votre bateau. L’un d’entre eux meurt lors d’une interaction scriptée ? On s’en fiche, la seule fois où l’on a eu une conversation avec lui, c’est lorsqu’il s’est énervé à propos de poissons pourris ou quand, encore une fois, il est rentré dans votre cabine en se mettant littéralement à nu. Obsidian joue à l’extrême sur le cliché des relations amoureuses dans le RPG et vide par conséquent son jeu de toute chaleur humaine. Tout cela laisse une impression de manqué et peut-être est-ce explicable par leur politique de DLC, qui consiste à sortir trois petites extensions dans les prochains mois, en commençant dès juillet, coupant inévitablement du contenu qui aurait dû être dans le jeu.
Je suis toujours négative dans mes derniers paragraphes mais ne vous y méprenez pas : j’aime Pillars of Eternity II : Deadfire d’un amour fou. Peut-être que les trois ans d’attente et la déception de Tyranny y jouent un rôle car cette suite n’est pas parfaite. Plus aboutie que le premier opus, il y manque tout de même une certaine vie, dont l’absence était compréhensible dans le premier épisode et son ambiance glauque avec des enfants nés sans âme, mais l’est moins quand on se retrouve dans des îles paradisiaques foisonnant de cultures différentes. L’ajout du bateau est bienvenu en cela qu’il casse la monotonie des quêtes secondaires qui s’enchaînent même si les combats maritimes ne sont pas passionnants. J’aurais pu parler de beaucoup de choses encore : de la ville principale Neketaka qui est tellement remplie de quêtes en tout genre que j’y ai passé la majeure partie de mon temps, des arbres de talent un peu confus mais qui permettent de personnaliser au maximum un personnage en choisissant son orientation en tank/dps/heal… Il y a énormément à dire sur Pillars of Eternity II : Deadfire mais encore plus à découvrir alors je ne peux que vous conseiller de vous jeter dessus si vous êtes client de ce genre de jeux, vous ne pourrez pas être déçu.
Fanny Dufour
Rédactrice le jour et rédactrice en chef la nuit. J'aime qu'on me raconte des histoires, mais seulement dans les jeux.
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